Le prix de l’engagement

Entretien de Virginie Andriamirado avec Michèle Magema

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Née à Kinshasa en 1977, Michèle Magema vit en France depuis l’âge de 7 ans où sa famille s’est exilée. Diplômée de l’Ecole des Beaux-arts de Cergy en 2002, pétrie de sa double culture, elle propose une œuvre engagée et lucide à l’image de son regard sur le monde et sur sa conception du travail d’artiste. Primée à Dakar pour sa vidéo installation Oyé Oyé, repérée par les commissaires d’exposition*, elle garde cependant la tête froide.

Une fois passé l’effet de surprise, comment avez-vous vécu votre prix à Dakar ?
C’est mon premier grand prix et je l’ai reçu comme un encouragement. D’autres artistes sélectionnés méritaient aussi de recevoir ce prix. J’ai conscience qu’un prix est toujours décerné dans un certain cadre, avec des critères prédéfinis qui cette fois étaient axés sur la vidéo, le multimédia, l’engagement des artistes et leur approche de la mondialisation.
Votre vidéo met en scène l’histoire du Zaïre sous le règne de Mobutu que vous avez finalement en partie vécu à distance. Qu’est ce qui a motivé ce sujet ?
Quand j’ai vu le film de Thierry Michel Mobutu roi du Zaïre à partir duquel j’ai travaillé, le choc a été violent. Je me suis alors interrogée sur l’impact qu’avait eu Mobutu sur ma vie. Qu’est-ce que je faisais durant mes sept premières années (de 1977 à 1984) où j’ai subi sa dictature ? J’allais à l’école et je portais une robe bleue et blanche – l’uniforme imposé par le régime – que l’on retrouve dans la vidéo. Prenant le parti de traiter les images en noir et blanc pour accentuer le réalisme des images, j’ai mis en scène mon propre corps m’opposant à lui et traduisant ainsi ma manière de lui donner la réplique en tant qu’artiste et femme. La femme, qui, à travers les danses, les louanges, les hommages, en l’honneur de Mobutu, était l’un des instruments de sa propagande. En référence à Masse et Puissance d’Elias Canetti, j’ai travaillé l’image du dictateur face à la foule que j’ai caricaturée parce que, quelque part, j’aurai pu être une de ces petites filles présentes sur la première image de la vidéo.
N’est-ce pas aussi une façon de garder le lien direct avec votre pays d’origine ?
Oui pour moi c’est vital. Je me suis rendue compte que je faisais aussi les choses à cause de ce manque de chez moi. J’ai quitté Kinshasa il y a 21 ans, mais j’ai la chance de parler couramment le lingala. Je fais en quelque sorte le chemin inverse : je me réapproprie les choses, en me documentant sur mon pays, en étudiant son histoire, ou en regardant les œuvres des artistes zaïrois comme celles de Chéri Samba qui fait pour l’histoire du Zaïre quelque chose de fabuleux. C’est une manière de me recharger et de me ressourcer.
L’engagement d’une œuvre est-elle pour vous inhérente au travail de l’artiste aujourd’hui ?
C’est très important. Mon père s’est toujours engagé politiquement et j’en ai donc été imprégnée. Le fait que ce soit ma vidéo Oyé Oyé qui ait été primée est pour moi capital. Ce n’est pas rien de présenter un tel sujet en Afrique aujourd’hui… Quant à la deuxième œuvre La porte, elle aborde deux points fondamentaux de l’histoire de l’humanité que sont l’esclavage et le génocide juif.
Que pensez-vous des critiques entendues à Dakar sur l’omniprésence du numérique et de la vidéo?
Ayant été primée avec une œuvre de vidéo, je serais mal placée pour rentrer dans le débat. Cependant, nous sommes en 2004 et on ne peut pas empêcher les artistes d’utiliser les nouveaux outils. Cela ne signifie pas pour autant que c’est la mort de la peinture ou de la sculpture. Les arts sont heureusement suffisamment ouverts pour que les choses puissent circuler. Le médium est avant tout là pour servir le projet et l’idée. Aujourd’hui, j’utilise la photo et la vidéo, ce qui ne signifie pas que je ne reviendrai pas demain à la peinture.
Envisagez-vous de retourner en République Démocratique du Congo ?
Bien sûr, mais comme je suis consciente que ce retour au pays va bouleverser des choses en moi, je préfère ne pas le précipiter. J’attends de voir si certains projets peuvent se concrétiser. Ce que je sais, c’est que ce retour va changer des choses qui auront une incidence sur mon travail. Jusqu’en 3ème année aux Beaux-arts, je faisais un travail très intime à partir de mon corps. Même si depuis il y a eu une évolution, une ouverture vers autre chose, le retour au pays va opérer une remise en question de tout ce travail. Le point de vue dépend toujours de l’endroit où l’on est. Si je travaillais en RDC, mon travail serait certainement différent.

* Beauté.Afriques@Nantes, Lieu Unique, Nantes, du 15/10/04 au 09/01/05
Afrika Remix, Museum Kunst Palast, Düsseldorf, 24/07/04 au 07/11/04, l’exposition tournera ensuite à Londres, Paris et Tokyo.///Article N° : 3545

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Les images de l'article
Michèle Magema, La Porte, 2002, vidéo 12'.





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