Le respect et l’écoute de l’Autre sont essentiels

Entretien de Soeuf Elbadawi avec Aziz Sehmaoui

Paris, mars 1998
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Aziz Sehmaoui est l’un des piliers de l’Orchestre National de Barbès. Un groupe que l’on ne présente plus sur la scène française, qui a su incarner, en moins de trois ans, la nouvelle vague world du Maghreb, en fédérant les différentes tendances musicales du bled (chaabi, raï, musique gnawa…) sur fond de groove urbain et en débitant un humour particulièrement contagieux et étroitement lié – aujourd’hui – à ce quartier parisien (Barbès…) qui fut à l’origine de leurs premières aventures.

La rencontre entre les musiciens de l’ONB aurait certainement pu avoir lieu ailleurs que dans l’Hexagone. Mais est-ce que le fait de vous être rencontrés en France… vous a apporté un plus ?
Pour moi en tous cas, ça m’a ramené une partie du monde. Je suis Marocain. Je n’ai jamais été en Algérie, ni au Soudan, ni en Asie. C’est en arrivant en France que j’ai rencontré l’Algérie, le Soudan et l’Asie. Je crois que la France est un grand fleuve dans lequel coule beaucoup de civilisations, beaucoup de cultures. C’est quelque chose de très fort, qui amène une transformation en nous, une transformation qui répond un petit peu à cette soif de savoir, à cette soif de recherche… musicale ou autre. Dans notre cas, elle est musicale. Mais avant tout, elle est humaine. Et c’est quelque chose de très grand. Je crois que le fait d’être en France pour beaucoup de gens, en tous cas pour certaines choses, est tout simplement positif, parce qu’il s’y passe de bonnes choses au niveau de l’échange avec l’Autre. Ce n’est pas toujours facile. Il est parfois terrible d’y vivre, dans la mesure où tu bouches un trou, tu te retournes, il y a un autre trou qui s’ouvre derrière. Parfois, tu passes ton temps à te bagarrer contre ça. Mais cela apporte une réponse à certaines questions que l’on se pose. Et cela a permis d’avancer et d’élargir nos propres horizons au sein du groupe.
On vous rattache à la Bougnoule Connection, vous avez failli vous appeler Couscous Band, vous avez finalement opté dans un dernier jet pour l’Orchestre National de Barbès…
Je pense que le nom reste quelque chose d’abstrait. C’est le travail qui se fait au sein de ce groupe qui lui donne un sens. C’est la création, ce sont les rencontres avec d’autres musiciens, c’est l’écoute de l’Autre… Ce sont tous ces éléments qui donnent un vrai sens au nom d’un groupe… Orchestre National de Barbès ou Couscous Band ou Bougnoule Connection… C’est vrai que certaines personnes vont vouloir s’accrocher à ça. Mais je pense que l’essentiel n’est pas là. C’est le résultat de ce que fait le groupe qui a du sens, pas le nom.
Ces appellations jouent quand même de façon humoristique sur l’imaginaire français par rapport aux Maghrébins… On pense à tous les a priori développés autour des Arabes. Comme une envie de dire avec un peu de dérision : cessez d’avoir des fausses peurs, l’Arabe vous apporte quelque chose de positif, vous fait danser…
Votre question est aussi une réponse. Bougnoule connection par exemple, c’est une idée que Jilali a trouvé à un moment donné. C’était pour bousculer un peu, pour choquer, provoquer… Et pour dédiaboliser le mot C’est vrai que c’est ironique quelque part. C’est de l’humour aussi, parce que les gens ont besoin d’humour… face à leur souffrances, à leurs galères au quotidien. L’humour amène quelque chose de positif. Moi, j’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui font les one-man-shows, des gens qui arrivent à faire éclater de rire toute une salle, avec un humour pointu, extraordinaire. Je crois qu’il est de notre devoir de procéder comme ça. Pour la continuité. Imaginez, on arrive avec un nom comme ça. Et on l’installe… Bien sûr, ce n’est ce qui fait le succès du groupe. Mais c’est important aussi de choisir un nom qui ne fait pas peur, un nom qui passe, cool, qui met les gens à l’aise. Et davantage quand ils savent ce qui se passe réellement dans le groupe. Au fond, ce que nous voulons, c’est faire avant tout de la musique.
De la musique avec un petit peu d’humour…
Exactement. L’essentiel, c’est de faire de la musique. Mais on ne se prend pas au sérieux, on est cool. Nous sommes une bande de copains, on se connaît depuis longtemps, on veut s’éclater un peu. En tout cas actuellement… ça prend ce sens de la fête… tous les concerts, jusqu’à maintenant, se sont passés de cette manière. Donc tant mieux, si on peut rigoler un petit peu, oublier les amertumes de la vie, en ramenant ce plaisir.
Y-a-t-il une philosophie ou un discours ONB ?
Vous savez, nous avons parmi nous des Français, des Tunisiens, des Marocains, des Algériens. Chacun avec son éducation. Il y en a qui sont croyants. Il y en a qui ne le sont pas. Il y en a qui mangent le hallouf. D’autres n’en mangent pas. Mais tout se passe sur une base saine : respect, compréhension et écoute de l’Autre. Je crois que c’est ce qui donne encore une fois un sens à cette formation.
Bien sûr qu’il y a un discours ONB… Le discours ONB, c’est cette joie que le musicien ramène à celui qui vient le voir. C’est cette énergie que l’on communique à l’Autre. Quand l’Autre ressort de nos spectacles avec la banane, c’est grand, c’est quelque chose de très fort, de formidable. C’est une image extraordinaire, dans la mesure où dans le public, tu trouves des Blacks, des Blancs, des Berbères, des Arabes… Et tous ces gens-là sont d’accord. Et ils sont tous d’accord parce qu’il y a un seul tempo, y a une seule danse, y a un seul pas. Je ne sais pas si vous sentez ça. Mais c’est une chose extraordinaire de pouvoir rassembler tous ces gens et de les mettre d’accord. On leur installe un nouveau climat, basé sur l’échange. C’est le groupe qui fait ça… Chacun constitue une pièce. Et ces pièces ensemble donnent quelque chose de formidable. Une bonne construction. Une construction bénéfique à tout le monde. Une construction qui se passe dans nos têtes certainement, dans nos esprits. Mais qui donne une forme de grandeur à l’individu lui-même. Alors qu’il devient léger. Alors qu’il se libère un petit peu de ses tourments. S’il y a un discours ou un langage ou un message à l’ONB, ça serait ça. Grâce à la musique. Car elle a réponse à toutes les souffrances, à tous les problèmes qui sont sur terre. Je suis sûr que vous aimez la musique. Quand vous chantez le matin, alors que vous êtes triste, vous arrivez à vous évader. Vous oubliez beaucoup de choses. Et ceci est une réponse. C’est ça le message. C’est ça la réponse à votre question.
Et Barbès, vous lui donnez quelle place dans votre musique ? On sait que vous y avez tous habité à un moment ou à un autre de votre parcours…
Pour tout dire, ce quartier est en train de nous rendre service, parce qu’il est plus vieux que nous. Et dans notre tradition, il est normal d’avoir du respect pour les plus âgés. C’est la coutume. Barbès est en train de nous faire connaître. Barbès est en train de jouer un rôle important comme tous les rôles qu’ont joué les grands carrefours dans le monde. Celui de Tombouctou, celui de Samarkand… Nous aussi, d’une certaine manière, on lui rend hommage à Barbès, en l’adoptant comme nom. C’est un échange. Et tant mieux… Barbès est en train de prendre une nouvelle image, dans la mesure où avant c’était associé aux a priori sur les Maghrébins. Tu disais Barbès à un Français, il flippait le gars ! Alors que maintenant, c’est l’endroit où on rencontre les frangins, les cousins, les cousines, les Blacks, les Blancs, les Français, les Indiens, les Maghrébins,… Tout ce qui se passe au niveau musical aussi. Le marché musical, en grand partie, tourne là-bas. Il y a presque toutes les musiques. De l’Afrique. De l’Inde. On trouve beaucoup de choses à Barbès. On y trouve surtout le  » monde « . C’est ça qui est essentiel.

///Article N° : 382

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