C’est aux côtés du groupe de rap marseillais 3e il qu’il déclame ses premières rimes et s’accoutume à la scène. Depuis la sortie de son premier album Être en 2010, tout cela ressemble à de l’histoire ancienne. Autant dans le style qu’a travers ses samples, Ahamada Smis a forgé un feeling qui lui est propre, une identité qui se définit par une quête et une revendication permanentes de l’histoire de sa Grande Comores natale. Programmé le 24 novembre 2012 à la salle Le Mille Club – Le Bourget dans le cadre du festival Africolor, il prend de l’avance sur le temps et révèle à Africultures comment l’aventure qui est la sienne est un beau voyage qui ne fait que commencer.
En 1983, à l’âge de 11 ans, vous immigrez des Comores à Marseille pour retrouver vos parents. Quel déclic vous a amené à choisir la voie du hip-hop ?
Je suis issu de la culture swahilie qui est essentiellement orale, avec une relation naturelle avec les mots, la poésie. J’ai reçu l’oralité de mes grands-parents à travers les contes. Les contes des personnes âgées du village pouvaient aisément varier entre des aventures épiques et de véritables histoires d’horreur. Une fois en France, j’ai eu beaucoup de peine à suivre le mode de vie de mes parents qui avaient – comme la majorité des Comoriens – leur corps ici et leur cur au Comores. Moi je voulais découvrir le monde dans lequel je me trouvais. C’est ainsi que je passais beaucoup de temps dans la rue, parfois dans des foyers d’accueil. Cette situation habituelle pour les jeunes comoriens de ma génération, est ce qui m’a fait rencontrer le hip-hop. Ce courant nous parlait. Nous nous rendions compte que nous n’avions pas besoin de savoir chanter pour nous exprimer, pour crier notre désespoir, écrire nos rêves. Et puis, il y a l’aspect vestimentaire qui me convenait également. Et c’est naturellement que je me suis retrouvé à dire des textes. La suite, vous la connaissez avec le groupe 3e il
Votre premier album, vous l’avez produit via votre label Colombe Records en 2010. Près de trois ans plus tard, que s’est-il passé dans votre carrière ?
En quittant 3e il avec qui je me suis fait un nom dans le hip-hop, j’aspirais vraiment à autre chose. Pour moi, les samples électroniques n’étaient pas assez expressifs. Je recherchais un moyen de doter mes textes d’instrumentations plus vivantes. J’ai alors cherché à côtoyer des « vrais musiciens ». De jouer avec eux. J’ai donc dû voyager, faire des rencontres aussi intéressantes les unes que les autres. On peut aimer ou pas cet album, il restera qu’il a obtenu le respect des professionnels et du public qui y reconnaissent un travail bien fait. En cela se trouve ma première source de satisfaction. Quand on fait des recherches comme moi, on court le risque de fâcher quelques soi-disant puristes qui ne se reconnaîtraient ni dans le rap, ni dans la world music, ni dans le jazz, présents sur cet album.
Dans l’un de vos titres, Les Kids, vous dépeignez le quotidien des familles des cités
violences juvéniles, abandon parental et inaction des forces publiques dans les années quatre-vingt-dix. Fréquentez-vous encore les cités ?
Je vais toujours dans les cités où j’anime des ateliers. C’est un détour intéressant. Entre les jeunes des cités de Marseille et moi, ça se passe bien. J’apprends d’eux, eux de moi. Ce que je dis dans cette chanson n’engage que moi. Je décris ce qui se vit dans des cités telles que le parc Bellevue. Dans ma démarche, il n’y a aucune prétention. Ce que je décris, c’est la violence dans laquelle ces jeunes s’épanouissent, la dureté des conditions de vie de nombreuses familles
D’ailleurs, je ne saurai donner des leçons à quiconque. Tout ce dont je suis convaincu est que n’importe quel enfant placé dans des cloisonnements pareils finirait à coup sûr dans la violence, à la rue, dans des deals de toute sorte.
On retrouve une pluralité de rythmes et de cultures sur vos instrumentations. On dirait même, à l’écoute de titres comme Comores, Massiva et Racine enregistrés entre Moroni et Kinshasa, que vous êtes en quête d’identité
Les influences instrumentales de mon travail découlent du fait que j’écoute toutes les musiques. Pour moi, la musique est bonne quand elle est bien faite. Ce qui compte, c’est de transmettre l’émotion. Je cherche la meilleure façon de sortir la musique qu’il y a en moi à chaque occasion et c’est ce qui donne le résultat qu’on a dans le disque. Pour revenir à la quête d’identité, je parlerai plutôt d’un retour à la source. Ma vie en Europe m’a amené à me poser des questions sur l’histoire des Comores. Ça m’a pris cinq ans pour obtenir quelques dates et des faits historiques parce qu’il n’y a pas grand-chose d’écrit à ce sujet. J’ai pu retourner régulièrement là-bas et je peux vous assurer que la richesse des Comores se trouve dans sa culture. Mon prochain album y consacre une part belle, un cocktail de musiques traditionnelles avec un esprit afrobeat. Restez à l’écoute.
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