Ce n’est pas une odyssée, ce n’est pas un conte, les héroïnes anonymes ont en général des vies toutes simples, banales, mais qui nous élèvent. L’histoire de Faith, c’est la quête ordinaire et digne d’une jeune femme tombée dans un réseau de prostitution contre une promesse dorée. Manipulée et violentée, il lui faudra beaucoup d’énergie, mais aussi la bonne volonté et la bienveillance de quelques personnes justes croisées en chemin pour se sortir de ces liens pervers et menaçants.
Les deux autrices ont d’abord mené une enquête de terrain comme journalistes, mais c’est ensuite l’urgence à agir et pas seulement à dire, l’urgence à dénoncer, qui les a poussées à aller plus loin qu’un reportage, jusqu’à la fiction pour raconter la violence avec une certaine douceur des mots, les coups de poing comme les coups du destin sous la crudité du trait et des couleurs. Le silence du juju donne aussi à voir et à entendre les tout petits détails, les filles qui changent de perruque et enfilent des minijupes loin de la lumière des phares, transformation inversée du papillon rendue à sa geôle de chrysalide, les changements du ciel et les croyances maléfiques qui emprisonnent plus encore que le besoin d’argent, donnant au personnage principal de la chair, tout en créant un équilibre subtil entre l’empathie nécessaire et la distance critique.
Le lecteur ne s’identifie pas à Faith, il ne la juge pas, ne la plaint pas. Il tente sans doute de regarder son histoire comme ces récits à la fois proches et lointains, auxquels on n’accorde pas foi ou ne donne pas de consistance, tant qu’on ne les a pas touchés du doigt, ces récits pourtant où des vies bien réelles basculent. Heureusement, dans la complexité humaine, les destins peuvent chavirer et sombrer, comme les radeaux des passeurs sans vergogne, mais il arrive aussi qu’ils se relèvent et qu’ils témoignent pour notre grandeur et notre honte.
Annie Ferret
Armandine Penna et Diane Morel, Le silence du juju, Éditions du faubourg, 2024