L’émergence des jeunes réalisateurs au Cameroun

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Le développement de la vidéo au Cameroun change la donne face à la déliquescence du cinéma.

La sortie du premier long métrage Confidences de Cyril Masso est prévue pour février 2005. Le tournage à Yaoundé a été achevé fin juillet 2004. Le film a réuni sur un même plateau la nouvelle génération de jeunes artistes comédiens et chanteurs tels que Patrice Minko’o, alias Koppo, Deneuve Djobong, Thierry Ntamack, Tatiana Matip. Avec un budget prévisionnel estimé à 852 millions, il reste le montage, l’étalonnage et la post-production qui se fera en France.
Appelé au départ Just say no, dire non, à la drogue, Confidences a mis huit ans à voir le jour. C’est l’histoire d’un élève de 18 ans qui fait des confidences sur ses mésaventures dans le milieu de la drogue au Cameroun. Le film est entièrement tourné en Haute définition (HD cam). Motivés par cette expérience supplémentaire, le fort désir des jeunes d’avoir accès aux moyens d’expression audiovisuelle rencontre l’évolution de la technique à quoi s’ajoute la prolifération des caméras vidéo qui crée l’opportunité plutôt qu’une quelconque idéologie. Ce désir de filmer longtemps contenu chez les jeunes trouve aujourd’hui une base. Avec 500.000 FCFA, on peut acheter une Panasonic numérique. Cet outil permet aujourd’hui à tout jeune camerounais de raconter en images le quotidien de ses compatriotes, même si les qualités techniques et artistiques sont souvent approximatives. Voilà la première et grande difficulté : la formation des vidéastes. A Yaoundé, le réalisateur Vincent Ndoumbè a créé une association nommée Films (forum de l’image, de la lumière, du montage et du son) permettant aux jeunes de joindre leur enthousiasme pour produire des films.
Les pionniers
Comment réaliser des films dans un pays où il y avait au maximum deux caméras ? Ceux qui savaient les manipuler les mystifiaient, histoire de demeurer les seuls maîtres en la matière. Les pionniers sont donc ceux qui ont joué de modestie en cessant de nourrir des complexes entre la vidéo et le grand cinéma. Ils ont compris que la vidéo n’est qu’une plume supplémentaire pour écrire la réalité. Certains précurseurs, comme Vincent Ndoumbè, réalisateur à la CRTV, avoue ne jamais avoir eu la prétention de faire du « grand » cinéma. Pourtant, grâce à une équipe solide, il a pu s’entourer de jeunes talents comme Jean-Jacques Ondoua, Eyoum, Zama Minkoulou. Cela encourage les autres. Le manque de connaissances a fait que les productions vidéos soient issues de mouvements collectifs, car pour s’en sortir, il fallait s’organiser en associations et c’est dans cette optique que sont nées des structures comme Bécon, Classes de cinéma de Bassek ba Kobbhio.
Dans cette mêlée où plusieurs forces devaient se mettre ensemble, d’autres ont choisi de cheminer seul. C’est le cas de Cyril Masso qui pour Confidences a même pu bénéficier d’une aide du ministère de la Culture camerounais, de 15 millions de Fcfa ; ce qui n’est pas fréquent ! Il est à la fois réalisateur, producteur et propriétaire de la maison de production Malo Pictures. Après avoir eu l’opportunité de faire des études à la Femis (Ecole nationale française de l’image et du son), il a réalisé une dizaine de courts métrages et une dizaine de documentaires dont le plus célèbre,  » Au prix du verre  » lui a permis d’être primé à Cannes (prix Djibril Diop Mambety). Ses réalisations et les subventions qu’il a pu obtenir des bailleurs de fonds aussi bien internationaux que nationaux commencent à faire de lui, la locomotive de la jeune génération des cinéastes au Cameroun
La formation par la pratique
Comédiens au départ, la majorité des jeunes cinéastes diversifient leurs compétences, se font cameramen, monteurs, scripts, photographes…Leurs difficultés n’ont rien d’original : travailler sans être rémunéré et sans perspectives. Mais cela n’empêche pas des structures mises sur pied à Yaoundé comme Films ou Celav (Cellule audiovisuelle, devenue Vidéo_Pro et transférée à Douala depuis 2003 et dirigée par le journaliste-réalisateur Eloï Bella Ndzana) de former les jeunes des deux sexes à l’outil vidéo. Tous les enthousiastes à l’idée de faire de la vidéo un métier y sont admis. Ils y trouvent le matériel et des personnes qualifiées pour se former, de façon pratique et en groupe. La Vidéo-Pro procède par ateliers, séminaires ou modules de longue durée, avec à la clef la réalisation d’un document individuel et en groupe, avec la possibilité de payer ses cours chaque fin du mois .
En revanche, le centre de formation professionnelle de l’audiovisuel (Cfpa) d’Ekounou à Yaoundé, qui recrute sur baccalauréat, est très sélectif. Le coût, un million de FCFA par an, n’est pas à la portée de toutes les bourses. L’institut Siantou supérieur a également une filière audiovisuelle Contrairement aux autres structures, le Cfpa et l’Institut Siantou supérieur développent des formations théoriques dont la vétusté et l’absence de matériel pour la pratique rendent la formation difficile, voire incomplète.
Aborder autrement les problèmes de société
Il y a une décennie, la CRTV gavait ses téléspectateurs de fictions vidéo traitant de problèmes de société. Dans cette grille, on a regardé des téléfilms comme L’Etoile de Noudi, sur les conséquences du mariage forcé, La succession de Wabo Deffo, relatant les fraudes et la tricherie qui caractérisent l’accession au pouvoir en Afrique, Le Retraité, histoire d’un fonctionnaire qui n’a pas su préparer ses vieux jours… Tous ces films ont été réalisés par Daouda Mouchangou, cadre à la CRTV. Mais depuis, plus rien d’attrayant n’a été produit et on a gardé de vieilles habitudes, par exemple continuer de filmer avec le Béta, même à l’ère du numérique (mini Dv et formats Dvd) qui apporte une amélioration aussi bien quantitative que qualitative à la production locale. Dans cette mêlée, Hervé Guiffo et Narcisse Mbarga ont choisi le thème du sida comme cheval de bataille. Le premier a réalisé Sida et le second Alerte, qui a été primé (meilleure interprétation féminine) lors du Festel 2002 à Yaoundé.
Le modèle nigérian à succès de la vidéo domestique est dans toutes les têtes. Narcisse Mbarga, par exemple, a compris la recette : « il faut de l’action, de l’argent, du sexe et de la violence pour que les gens aiment », dit-il en compagnie de sa nouvelle actrice canon, Marie-Astrid Boula Mba. Monteur à Canal 2 International, une chaîne de télévision locale basée à Douala, il passe ses loisirs à tourner des courts métrages tournés en DV et financés avec son seul salaire. Ses films, comme Loving you, se situent dans les bas quartiers urbains et cherchent à faire comprendre pourquoi on devient délinquant. Avec Playboy, Alain Fongue, qui monte par ailleurs les films de Bassek ba Kobhio, met en scène un Don Juan qui refuse les capotes. Dans son documentaire Les footballeuses du Cameroun, Honoré Noumabeu détaille les difficultés rencontrées par les femmes qui veulent évoluer dans le sport-roi. Dans son premier film, L’Honneur des femmes, Paul Kobhio met en scène la vengeance d’une femme dont l’amant ne veut pas quitter sa femme imposée par sa famille. Même avec le souci d’accrocher le public, le divertissement est peu de mise : chaque film cherche à pointer un problème de société.
Déjà, Parfait Zambo, dans Nanga Boko, jetait un pavé dans la mare en montrant les sans domicile fixe, de plus en plus visibles dans nos rues. Vincent Ndoumbè a produit une série, Cité campus, sur Dvc pro, une comédie de situation de douze épisodes traitant des problèmes de fraude et de tricherie en milieu estudiantin en période de  » stage bloqué  » ou à la veille des examens. A 32 ans, Cyril Masso souhaite aider les jeunes réalisateurs camerounais à produire leurs projets. En tant que réalisateur producteur, il prévoit lui-même un long métrage tous les ans.  » Si j’avais un conseil à donner à un jeune qui se lance dans le cinéma, c’est de commencer par la vidéo numérique, dit-il. Parce qu’un produit réalisé sur ce support a la possibilité d’être kinescopé et d’être exploité en salle.  » Réalisant davantage des documentaires, il travaille avec le support numériqueo. Au prix du verre dénonce les conditions infernales de travail des femmes dans une décharge clandestine, Figures plastiques, co-réalisé avec Njoya Harouna, parle de l’art dans l’Ouest du Cameroun. Avec Osvalde Lewat, il co-réalise Itilga ou les destinées qui jette un regard croisé sur les problèmes rencontrés par deux jeunes artistes camerounais, une footballeuse et un chanteur de rap au sein de leur famille à cause de leur art. Il est également producteur délégué du documentaire d’Osvalde Lewat, Au-delà de la peine, qui dénonce les bavures du système judiciaire camerounais. Un homme condamné à quatre années de prison va en fait y passer 33 ans.
Engouement et dépassement
Alors que la CRTV diffuse davantage des productions étrangères et pense avoir encore le monopole de la diffusion, beaucoup de jeunes réalisateurs essayent de se faire connaître en proposant leurs productions à de nouvelles chaînes privées comme Canal 2 international ou Ariane TV. Ecrans noirs 2004 a réalisé son projet  » Cinéma pour tous  » en créant une salle de projection numérique à partir d’un lecteur dvd à l’université de Yaoundé II à Soa, avec l’aide de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie..
L’Institut Goethe est aussi un espace de diffusion, le Centre culturel français lui emboîte le pas en abritant festival de courts métrages Yaoundé-Tout-Court, animé par Mérimé Padja, qui a rencontré un incroyable succès lors de sa première édition en 2003 : Ce festival est en train de devenir une vitrine : tous les jeunes étaient venus voir les films réalisés par leurs congénères. On y était debout dans la salle et une queue attendait encore dehors de pouvoir rentrer. Le festival a aussi son magazine, Sud Plateau, qui rend compte toute l’année des productions et débats. Mais alors pourquoi encore si peu de films ? « On a des caméras, les stations de montage numérique pullulent mais ce qui manque ce sont des producteurs, de l’organisation pour commercialiser », répond Hervé Guiffo, qui a reçu le Grand Prix du festival pour son film « Par ignorance ».
D’autres vidéastes réagissent : « Il n’y a pas assez de chaînes de télévision », dit Georges Bineli. « On est pas assez organisés alors qu’il y a vraiment une jeune génération, une nouvelle vague ». « Au Nigeria, les investisseurs prennent des risques », renchérit Pierre Zi. « Les Camerounais sont trop frileux pour ça. Et il faut nous débarrasser du snobisme de l’étranger, d’être consommé par l’extérieur ». « Chacun veut être la star », ajoute Michel Kouate. « Si on arrive à sortir de la culture du one-man-show, on fera de grandes choses ».

///Article N° : 3524

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