L’encre est ma demeure

De Georges Castera

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L’anthologie de Georges Castera donne à lire une poésie engagée, à la recherche du mot juste.

Établie et préfacée par Lyonel Trouillot, L’encre est ma demeure est une anthologie de poèmes de Georges Castera, publiés entre 1992 et 1999. Poète haïtien né en 1936, Georges Castera fils a passé trente années de sa vie en exil (de 1956 à 1986) ; il vit aujourd’hui en Haïti. Mais ce n’est pas de cet exil extérieur, hors du pays natal dont il parle ici.
Le poète est aussi dessinateur et directeur d’une collection littéraire aux éditions Mémoires. Dans sa vie de poète, il a d’abord poussé la porte de la langue créole, non sans difficulté, puisque c’est là où « le travail solitaire de l’écrivain créolophone » (1), semblait l’attendre avec un certain nombre de questions relatives à la langue, mais aussi à la reconnaissance. Castera fils utilise « l’encre » aussi en français, pour faire du poème cette « demeure » au quotidien de la lutte pour la vie et contre la dictature. Sa poésie, comme le note Trouillot, « ce n’est pas au passé mais à la rébellion qu’elle est restée fidèle ».
Cette défense et illustration de la vie se dit par ce « je » qui ne trouve ni repos ni bonheur, dans cet « espace mensonger / l’incertitude de ce pays / aphone à force de faire des promesses » (2). L’engagement du poète est, en premier lieu, celui de la poésie elle-même « ces mots / toutes voiles fermées » qui prennent « le poids de l’oiseau / en plein vol » (3). La poésie habite le temps sans porte, celui de l’enfermement de part en part. Ainsi, l’engagement est quête de sens « jusqu’à la cime des mots » (4)…
Poésie du corps
Et la poésie engagée de Georges Castera est toujours mots parlés à l’autre, au corps de l’autre, ce corps, qui, comme celui du poète, est tout aussi mortel. Mots elliptiques effleurant l’entre-deux du cri et du silence, cherchant la lumière sans fin des yeux, des mains, du visage : « ton visage / calmement ton visage / comme le premier soleil / qui boit / à la lampe de gas-oil » (5). Ce corps mortel et fragile devient matière précieuse par les mots qui lui prêtent une vie qui perdure par delà la mort ambiante. La poésie engagée est celle dont l’encre fait parler le corps de l’autre, le rendant joyeux parce que désiré et aimé : « ton corps a l’élégance / des portes ouvertes » (6).
L’encre est sans doute la demeure du poète parce qu’il y a cette matière première, à la fois proche et lointaine, qui lui permet de s’orienter dans l’infinité de l’espace, d’en faire un lieu de vie, de le rendre habitable. Ainsi, le poète peut continuer à vivre en posant son regard et ses mots sur tout ce qui l’entoure parce qu’il a, lui aussi, un corps, je dirais une peau, un cœur premier signe de vie. Oui, car la tache d’encre s’est répandue en premier lieu dans le cœur, comme la poésie, avec laquelle Georges Castera s’est réveillé à l’aube (7).
Ici, la poésie engagée n’est donc pas un enfermement dans quelque slogan ou idéologie (même si l’auteur a, au cours de sa vie, traduit en créole le Manifeste du Parti Communiste). Elle est liberté de l’image inattendue, du mot juste qui n’est jamais celui vite dit ou le mot le plus précis. Le mot juste, qui pourrait porter en quelques syllabes le poids du monde, la tragédie d’un enfermement, d’une solitude indicible, le silence de la faim et de la soif, mais aussi les bruits impatients du désir. Ce mot accompagne toujours le corps et le souffle de l’autre humain pour éviter à la poésie de parler seule, dans un désert. On pourrait donc dire que la recherche de l’espace habitable, de l’oxygène vivable, c’est cette « cime des mots » qui pousse le poème à aller plus loin, à l’essentiel, en quelques strophes, parfois en un ou deux vers, sans jamais brûler les étapes, parce que le poète « joue avec la pluie » (8). La poésie de Castera est ce chemin pas comme les autres, « pour rameurs sans âge », en quête de parcelles et d’étincelles au moment où, précisément, comme il le dit dans ce poème qui ferme l’anthologie pour mieux l’ouvrir : « les chemins se suicident / dans la mer. » (9)

1. Georges Castera, « De la difficulté d’écrire en créole », Notre Librairie n° 143, janvier-mars 2001.
2. « La lettre sous la langue », p.15 (Les cinq lettres, 1992).
3. « La lettre du sixième sens », p. 16
4. « La lettre sur la mer », p19
5. « De toutes les voix », p.27 (Voix de tête, 1996)
6. « Clameurs », p. 42 (Quasi parlando, 1993)
7. « Billet sanglant » (Ratures d’un miroir, 1992)
8. « Déshérence », p.77 (Brûler, 1999)
9. « À suivre », p.82
Georges Castera, L’encre est ma demeure, Anthologie établie et présentée par Lyonel Trouillot, Actes Sud, 2006, 82 p.///Article N° : 4503

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