Les moins-que-rien !

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Tirailleurs Sénégalais ou Anciens Combattants ? La guerre des mots, si elle devait avoir lieu, servirait juste à masquer une réalité peu respectueuse de ces anciens soldats, embarqués, malgré eux pour la plupart, dans une histoire qui n’était pas forcément la leur. La maigre pension qu’ils perçoivent aujourd’hui témoigne du mépris qui pèse sur eux.

 » Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneurs. « 
Léopold Sédar Senghor, Hosties noires, Seuil 1948.

Un peu d’histoire
Les manuels scolaires sont là pour témoigner. La complexe aventure des soldats basanés de l’empire français croupit dans les oubliettes d’une Histoire qui mérite d’être réécrite. On spécule sur ces forces de la nature, sur leurs avancées héroïques contre les ennemis de la France, sur la générosité avec laquelle ils ont accepté de servir la patrie. On n’oublie surtout de préciser qu’à l’origine, ce fut un ‘commerce’confortable que la France impérialiste et colonisatrice a su entretenir pour son confort. Des armées qui ne coûtaient pas chers et assez nombreuses pour éviter au bon peuple de servir de chair à canon : quel général n’en rêverait ? On a souvent dit que les tirailleurs avaient connu la même dure réalité que les paysans mobilisés de la France profonde. Possible. Mais leur avait-on demandé leur avis, eux que l’on considérait moins que des hommes ?
Militaires ou esclaves ?
Les traditions sont quelques fois difficiles à balayer. Les Tirailleurs sénégalais, force réunissant des individus venant de plusieurs pays, à qui l’on a donné ce nom par mépris, font partie d’une spirale de l’histoire militaire française et occidentale où l’on comptait sur l’image négative de ces soldats noirs (des barbares, des sauvages, des créatures du diable, capables de tout) pour affaiblir l’ennemi. César avait ses nègres, ne l’oublions pas. Tous organisaient leur recrutement autour des mythes tendancieux et des préjugés raciaux que développe ‘la grande civilisation face aux primitifs’. Plus la peau tirait vers la couleur sombre, plus l’homme (quand on daignait le considérer comme tel) se rapprochait de la bête. En clair, on pensait à l’époque que ces ‘sous-hommes’étaient capables d’exécuter les actes ignobles d’une guerre qui s’annonçait ‘inhumaine’. C’est sur cette base que fut créée la première compagnie de tirailleurs en 1823. (*)
Un certain capitaine Obissier écrira plus tard en 1905 pour renforcer les convictions qui ont poussé à la création de cette armée noire que Napoléon III saluera par un décret en 1857 : « Le Soudanais convenablement dressé, même d’une façon sommaire, est entre nos mains un incomparable instrument de conquête et de domination » (Soudanais / Sénégalais, la différence n’est guère importante, pourvu qu’ils continuent à être aussi féroces qu’on le souhaite). Les premiers individus qui ont servi la « force noire » sont venus de l’esclavage. Ils ont été rachetés à des prix allant de 300 à 400 FF. C’est un dénommé Schmaltz, colonel de son état, qui eut cette idée en pleine période abolitionniste pour remplacer les soldats français supportant mal les tropiques.
La France a toujours su tirer profit de cette situation
Les Tirailleurs ont servi contre des peuples asservis par l’empire. Madagascar, l’Indochine, l’Algérie… Certains députés comme Hamani Diori ou Jean Felix Tchicaya s’indigneront en 1947 du cas malgache. Le premier dira : « Ils utilisent des noirs pour cette besogne indigne de notre race ». Le second ajoutera : « Ce sont des combattants dont on a fait des tueurs ». Normal ! Ils étaient devenus les gardiens de « l’ordre » colonial, tout en restant subalternes, mal payés et méprisés (« indigènes »). Une situation qui n’empêchera guère la France d’envoyer au front le corps des Tirailleurs durant les deux guerres mondiales. Une armée dans laquelle nombre se retrouvaient contre leur gré. L’enrôlement se faisait parfois par pressions sur les chefs de village ou par rafle comme à l’époque de l’esclavage. C’était même devenu ‘l’impôt du sang’que versait les régions soumises, avec l’appui parfois de certaines personnalités africaines (le député Blaise Diagne du Sénégal s’est ainsi occupé d’une campagne de recrutement). Il y eut 14-18, 39-45. Ces soldats feront campagne. Avec leurs heures de gloire. Mais au final, le sacrifice consenti sera énorme. Et les pertes lourdes. Au lendemain de ces guerres pourtant, on les obligera à reprendre leur place, non pas comme citoyen ayant servi la République, mais comme ‘sujet de l’empire’. Une variante moderne du jeu du maître et de l’esclave qui prendra toute sa force symbolique au camp de Thiaroye : une tragédie de ‘moins-que-rien’à qui la République a voulu donner une bonne leçon (cf. le film d’Ousmane Sembène).
‘Moins-que-rien’ils resteront
Pour la majeure partie de ces ‘poilus’, bien qu’ils aient démontré leur bravoure et leur loyauté devant l’ennemi. Et parce que certains rejoindront les luttes indépendantistes, on les détestera encore un peu plus du côté français. Mais le pire fut la « cristallisation » (non-augmentation) de leurs maigres pensions : une façon de leur refuser les mêmes droits que leurs frères d’armes français à cause de leurs ‘nouvelles’nationalités. Au Secrétariat d’Etat français aux Anciens Combattants en 79, un dénommé Maurice Mazeaud fait cette déclaration ingrate : « Les pays africains ont voulu prendre leur indépendance. Ils l’ont fait en connaissance de cause et leurs anciens combattants ont donc perdu officiellement tout droit à la pension. Tout Français qui renonce à sa nationalité, renonce aussi à sa pension. Tout ce que nous leur donnons, c’est cadeau ». Réplique immédiate des anciens combattants d’Afrique, comme Sekou Diabakhaté du Mali : « On nous dit que nous n’avons droit à rien, parce que nous ne sommes plus Français. Mais nous ne l’avons jamais été ! On nous appelait « les indigènes ». Après tout, la France paie bien aux légionnaires étrangers les mêmes pensions qu’aux français. Alors, pourquoi pas nous ? » En mars 1927 déjà, on entendait ce cri d’indignation dans ‘La voix des Nègres’, organe fondé par un ancien combattant : « Lorsqu’on a besoin de nous, pour nous faire tuer, nous sommes Français. Mais quand il s’agit de nous donner des droits, nous ne sommes plus des Français, nous sommes des Nègres ». Une situation condamnée par le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, qui demandait à la France en 1989 de traiter tous ses anciens combattants sur « le même pied d’égalité ». Une maigre consolation pour des soldats qui, malgré Thiaroye ou les luttes d’indépendance, n’ont pas toujours été respecté non plus par leurs compatriotes africains. Par simple ignorance de l’histoire. 

* Selon l’historien Myron Echenberg, de l’Université Mc Gil de Montréal, qui indique par ailleurs que l’origine du régiment remonte à la Sénégambie du 17ème siècle, époque où les recruteurs militaires britanniques et français engagèrent des Africains comme  » laptots  » (marins) et soldats pour renforcer les unités militaires européennes. Le décret officiel portant création d’un corps de  » Tirailleurs sénégalais  » date de 1857. Un article du journal dakarois Le Soleil, daté du 9/12/97, indique cependant qu’un bataillon de Noirs aurait été créé le 11 mai 1803, qui prit part à la bataille de Russie. ///Article N° : 1211

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