Le festival parisien Vibrations caraïbes dédie sa sixième édition, éclectique et « trans-océanique » à la conque de lambi, instrument musical immémorial des Antilles, le plus écologique de tous, qui enfin refait surface dans les musiques actuelles.
[
] la voici danser la danse sacrée devant la grisaille du bourg
la voici barrir d’un lambi vertigineux
voici galoper le lambi jusqu’à l’indécision des mornes […]
donnez-moi les muscles de cette pirogue sur la mer démontée et l’allégresse convaincante du lambi de la bonne nouvelle !
Aimé Césaire(1)
Ancêtre probable de tous les aérophones, la conque de lambi est un cadeau magnifique de la nature, de la mer aux musiciens : entaillez l’apex (pointe de ce coquillage en spirale), soufflez, et il en sort un son tonitruant, qu’un virtuose peut apprivoiser en baladant simplement sa main dans l’ouverture de la coquille. Instrument favori des enfants, la conque marine est par essence universelle. Depuis l’antiquité égyptienne, grecque ou maya, c’est la voix des dieux et des esprits, au Japon et en Polynésie comme au Tibet ou à Cuba.
Peu jouée en Afrique, elle pullule aux Antilles où les « Afrodescendants » (qui l’ont renommée en créole « kon’lanbi ») l’ont héritée des autochtones Caraïbes, qui eux l’appelaient « watabwi »
ce nom est celui du bel ensemble martiniquais qui anima les funérailles de l’écrivain Édouard Glissant, et que ce festival invite lors d’un colloque sur la conque de lambi. Quoique moins populaire que les tambours (souvent bannis jadis hormis lors des carnavals) la conque aura joué un rôle capital dans la communication secrète des esclaves et de leurs descendants.
Comme Césaire le suggère, le lambi a trop sonné le glas, divulguant les deuils ou la capture d’un fugitif, mais il est aussi festif. Il amorce le lewoz – veillée où se déchaînent les chants et tambours du gwoka en Guadeloupe – comme le laghia et le damié – danses de lutte martiniquaises, cousines de la capoeira brésilienne – et annonce surtout le retour sains et saufs des marins
À présent la conque a conquis d’innombrables musiciens, tous fascinés par le Chicano Steve Turre, génial jazzman collectionneur de coquilles. On se consolera de son absence grâce à son meilleur disciple, William Cepeda. Tromboniste virtuose comme Turre, icône des musiques portoricaines (il enseigne en érudit la « bomba » et la « plena » dans le Bronx) Cepeda s’est converti à la conque, comme l’épatant trompettiste guadeloupéen Franck Nicolas, apôtre du « jazz ka » à New York et familier du Baiser Salé, le club parisien qui accueille le plus de musiciens caribéens, avec ou sans coquilles. (Le groupe de Nicolas s’appelle joliment « Kokiyaj ».)
C’est aussi sur fond de coquillages que ce festival accueille le Collectif Hip Hop Kreyol Caraïbes Océan Indien, façon innovante, sinon inédite, de rapprocher des mondes créoles très éloignés, qui s’ignorent trop souvent, et qui ne partagent pas que des mots, mais aussi
des conques.
1. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1943.///Article N° : 10418