Les « Repentistas » cubains à paris

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Du 28 mars au 1° avril, le Musée du Quai Branly accueille une quinzaine de ces artistes paysans. C’est l’occasion ou jamais de découvrir un art musico-poétique méconnu et encore très vivant qui revendique ses origines dans l’Age des Troubadours.

Quelques généralités
Les voix gouailleuses et rocailleuses luttent étrangement avec les sonorités cristallines et un peu grêles des cordes. L’effet de contraste est souvent saisissant. Cependant la singularité du punto guajiro ne se révèle pas dès la première écoute. En effet, pour en apprécier pleinement la subtilité et la virtuosité, il faut déjà comprendre qu’il s’agit d’abord d’un art d’improvisation verbale. Les repentistas – qui préfèrent s’appeler eux-mêmes plus simplement poetas – sont ceux qui créent de repente : « sur le vif » et « à l’emporte-pièce » pourrait-on traduire. Si la musique n’y est certes pas accessoire, le punto se définit avant tout comme une poésie spontanée. C’est peut-être pourquoi il a été longtemps peu valorisé par les musicologues : même Alejo Carpentier n’y fait que de brèves allusions.
Le punto guajiro (paysan) est en tout cas l’une des premières formes originales de la musica campesina (campagnarde) : il apparaît au XVIII° siècle (et même à la fin du XVII° selon Helio Orovio) dans les premières plantations de tabac à l’ouest de l’Ile, puis se propage vers le centre en même temps que cette culture.
La plupart des planteurs étaient alors originaires d’Andalousie et surtout des Canaries. La musicologue Maria Teresa Linares note des similitudes entre le punto et certains styles de flamenco comme la buleria et la seguidilla. Elle souligne aussi la prédilection pour les voix aigües et nasales comme dans les chants populaires des Canaries. Même s’il s’est enrichi tardivement d’influences africaines, le punto se distingue nettement des musiques afro-cubaines par son rythme de base ternaire.
Le punto est lié dès son origine (et de nos jours encore) à la guateque : fête que les paysans improvisent en toutes occasions, entre parents et voisins. On y danse le zapateo , dérivé du zapateado andalou, où l’on marque le rythme par des claquements de talons. Curieusement, ce genre qui comme on le sait est devenu prépondérant dans le flamenco, a presque disparu à Cuba où ne le pratiquent plus que quelques repentistas.
L’accompagnement instrumental du punto est avant tout aujourd’hui celui des cordes pincées : guitare espagnole à six cordes, laud (luth à six paires de cordes joué avec un plectre) et tres cubano (luth à trois paires de cordes). Cependant, parmi les genres multiples du punto, il faut évoquer la parranda (qui malheureusement n’est pas représentée dans ces spectacles du Quai Branly). Jouée en septets comme le son afro-cubain de l’Oriente, elle utilise des instruments d’origine africaine : bongo, claves…originellement la basse était confiée à la botija ou botijuela aussi appelée bunga ou mucura (une grosse cruche en terre dans laquelle on souffle pour obtenir le son). Elle a été remplacée à la fin du XIX° siècle par la marimbula : un gros lamellophone dérivé des mbira et sanza africaines, qui peut comporter jusqu’à une douzaine de lamelles.
Les repentistas peuvent à la demande interpréter des tonadas (chansons) mais leur grande spécialité est la controversia : joute verbale chantée, le plus souvent entre deux hommes. Dans un cas comme dans l’autre, la forme poétique est immuable : il s’agit du decima (dizain) octosyllabique – strophe de dix vers à huit pieds – déjà présent dans la poésie occitane du XIII° siècle. Le même type de joute existe d’ailleurs encore en Corse sous le nom de chiam’e rispondi – mais plus simple, sur la base du terzettu (trois vers à onze pieds).
La controversia se déroule dans l’ambiance surchauffée du guateque, généralement autour d’un cochon grillé à la broche. Le thème ou le vers initial est parfois tiré dans un chapeau. Les règles sont variables : tantôt le premier chante un dizain complet dont le second chanteur doit reprendre le dernier vers pour en faire le premier de son propre couplet ; ou bien le premier chanteur s’arrête au quatrième vers, le second devant aussitôt inventer les six autres…etc.
Comme l’a remarqué Emmanuelle Honorin, « le peuple cubain pense en octosyllabes ». On retrouve ce rythme partout, jusque dans les discours de Castro et les fameux slogans du régime (« Cuba libre, venceremos » … « Hasta la victoria siempre »).
Est-ce l’influence des repentistas sur le peuple, ou l’inverse ?
En tout cas la controversia continue de passionner le public des guateques autant que d’autres les combats de coqs, dans les provinces de Pinar del Rio, de Matanzas et surtout de Cienfuegos – la capitale du tabac où a lieu un festival de punto chaque année à la fin du mois de mai.

Concerts au Théâtre Claude Lévi-Strauss du Musée du Quai Branly, les 28, 29, 30 et 31 mars à 20h, et le 1er avril à 17h.
(Rens : 01 56 61 71 72)
A écouter et voir en Cd : « Repentistas : gardiens de verbes et de vaches » (Accords croisés / harmonia mundi)
A lire : Maya Roy : « Musiques cubaines » (Actes-Sud/Cité de la Musique).///Article N° : 5883

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Les images de l'article
Luis Martins et Raoul Herrera © Thomas Dorn





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