Étoile montante de la danse contemporaine, la chorégraphe et danseuse Sud-africaine Dada Masilo présente du 18 au 28 octobre 2012, Swan Lake au Théâtre Claude Lévi-Strauss du Quai Branly.
Révélé à la biennale de la danse de Lyon, son adaptation, tout en grâce et volupté, du mythique Lac des cygnes (crée en 1877), déconstruit « à la sauce Gumboot« , les codes du ballet romantique. Pieds nus, parés de leurs plus blancs tutus, les cygnes ici parlent, chantent, crient et secouent même vigoureusement leurs panaches ! Mêlant pointes, arabesques, et grand-jetés aux ondulations les plus lascives, ces derniers lancent esthétiquement, « un pavé dans la marre » et posent avec gravité un regard taquin néanmoins pertinent sur les questions récurrentes de nos sociétés contemporaines : tolérance, homophobie, interculturalité
Avec une dizaine de pièces à son actif, Dada Masilo n’est pas à son coup d’essai. Notons Roméo et Juliette en 2008 et Carmen en 2009, la jeune chorégraphe, âgé de 27 ans affectionne le ballet depuis sa plus tendre enfance. Une fois de plus elle revisite le genre pour lui insuffler une théâtralité des plus innovantes. Dès l’âge de onze ans, sous le charme du célébrissime Lac des cygnes, elle se promet de chorégraphier un jour sa version personnelle. Le répertoire classique serait-il quelque peu figé ou répétitif ? Pour Masilo, le sacro-saint tutu, n’est visiblement pas inébranlable ! Initialement, formée à la Dance Factory de Johannesbourg et l’école PARTS (Performing Arts Research And Trainning Studio) crée par Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles, cette dernière puise alors dans ses héritages techniques et esthétiques pour explorer la force de la danse à interroger voire dénoncer de nombreux tabous (sexuels, culturels et sociaux). Dans son désopilant Swan Lake, humour et pantomime viennent ainsi brusquer les carcans moraux et artistiques. Un remarquable comédien-danseur maintient alors le fil conducteur de la pièce, avec d’hilarants monologues, assurant du même coup une justesse de ton indéniable.
Une esthétique charnelle et discursive
Revue et corrigé, le propos offre une relecture singulièrement contemporaine de l’uvre. Hormis, le prince Siegfried, héros de la pièce, tous les interprètes (filles comme garçons) arborent le même costume. Pour le coup, point de pagnes mais » tutu pour tous » ! Loin des conventions, C’est alors de dos et par une danse vivifiante du ventilateur (tournoiement du postérieur) que nos élégantes ouailles entrent en scène. Loin de la version occidentale, érigée sur pointes, la gestuelle est explosive. Sur Tchaïkovski, leurs pieds nus martèlent le sol avec force et conviction. Provocation ? Si le tutu appartenait jusqu’alors au ballet romantique, Masilo prouve qu’il n’est aucunement destiné aux seules danseuses occidentales.
Au vrai, la force de la pièce n’est pas uniquement esthétique, elle détient une réelle finesse dramaturgique et présente une sincère prise de risques. Les codes volent en éclat : désormais, les partitions classiques rencontrent d’autres sonorités (Arvo Pärt, René Avenant
), le prince Siegfried est gay.
Entre le cygne noir (son amant androgyne, sculptural) et le cygne blanc (sa prétendue dulcinée, Dada Masilo), ce dernier doit choisir. Face aux jugements, il cède aux diktats moralisants. Les us et coutumes conditionneraient-ils notre identité ?
Fusionnant rythmes et pas zoulou, modern’dance et ballet, la chorégraphe parvient d’un coup de maître à combiner deux approches culturelles du corps, dans leurs toutes dimensions charnelles et sociétales. Point de gesticulations caricaturales mais un dialogue viscéral et philosophique entre Afrique et Occident.
Dans l’imaginaire collectif, le tutu notamment blanc immaculé, renvoie immanquablement au romantisme, à la féminité occidentale presque virginale. Porté ici également par des hommes virils, de surcroîts africains, interloque. D’ailleurs, dans le tableau final, tous finissent par mourir et l’on comprend que l’optique dadaïste de ce Swan Lake, interroge délibérément l’androgénie et l’homophobie pour raviver l’épineux débat du SIDA en Afrique. Il est regrettable aujourd’hui de toujours lier ces trois thématiques mais elles le sont encore. Combien de Siegfried malheureux vivent leur homosexualité en clandestinité, contaminant leurs épouses ? Combien de femmes bisexuelles répondent aux » normes » matrimoniales, contre leurs grès ? Enfin, combien considèrent encore le préservatif comme facultatif et nécessaire uniquement aux femmes de mauvaise vie ?
Oui, le fléau ravage le continent africain, donc Masilo le crie haut et fort notamment par sa somptueuse chorégraphie de clôture : bustes nus, parées de jupes longues noires, les onze silhouettes, drapées de lumières et majestueuses de gravité, sont quasiment interchangeables. Dans ce fluide entrelacs, tous ne font plus qu’un seul et même corps
Unis pour la même cause
Sexe, race, genre, les différences n’ont plus lieu d’être. Et là se joue toute la portée politique de la danse. Elle se fait l’écho des peuples et rassemble.
On pourrait regretter quelques passages volontairement trop bruyants dans les jeux vocaux des danseurs, mais l’ensemble fonctionne. Surpris puis rapidement conquis, le public médusé se laisse séduire. Le rire est de mise pendant une heure ! Et même si les thèmes abordés ont été déjà traités par d’autres chorégraphes, tel que Bill T. Jones entre autre, dont on reconnaît l’influence, cette compagnie contemporaine sublime là une Afrique du sud multiculturelle réjouissante. Rappelons que l’Apartheid n’est aboli que depuis les années quatre-vingt-dix. Pour avoir simplement espéré un jour voir noirs et blancs vivre ensemble, Nelson Mandela fut emprisonné près de trente ans de sa vie Alors si tout n’est pas réglé à Johannesbourg et Soweto, la danse de Masilo au moins permet cela !
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