L’île de Moçambique dans la poésie mozambicaine (1)

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C’est presque un lieu commun d’affirmer que les peuples ont tendance à mythifier la période révolue des origines. Le mythe des origines appartient à la catégorie des mythes anthropogoniques c’est-à-dire aux récits de fondation d’une nation ou d’une communauté qui se reconnaît comme telle.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le mythe du héros guerrier, un des mythes fondateurs de la nation mozambicaine. Chez les nations nées de la guerre et du pouvoir des armes comme c’est le cas du Mozambique, le héros revêt les caractéristiques du guerrier et du combattant conquérant. Dans cette perspective, la littérature de combat et la poésie à caractère social produite dans la période antérieure et postérieure à l’indépendance s’attachent à cette espace sémantique d’héroisme et de conquête, espace qui a été tranposé et représenté dans une abondante production littéraire, de manière plus ou moins circonstancielle, et dont la signification s’enracine dans le geste fondateur guerrier. Les études critiques et les premières tentatives d’historisation de la littérature mozambicaine ont dans un premier temps priviligié cet aspect. Cette tendance à la transposition mythique de la fondation va longtemps perdurer. Si, dans une première phase, elle correspond à un processus de justification du pouvoir, elle devient postérieurement une élaboration littéraire ou artistique enracinée dans des lieux où l’imaginaire se libère et s’épanouit.
On peut considérer le thème de l’île, nommément l’île de Mozambique, comme une forme particulière de régionalisme littéraire. Ce régionalisme insulaire est l’expression métonymique d’un des espaces mythiques de la fondation de la nation, en tant qu’espace culturel stucturant la notion de mozambicanité, en tant que représentation d’un espace de rencontres de cultures d’origines diverses : bantoues, arabe, indienne et européenne.
Ces dernières années, ce processus de mystification littéraire de l’île de Mozambique s’est développé dans l’oeuvre de nombreux auteurs.
L’île de Mozambique, en tant que palimpseste architectural, géographique, littéraire, de rencontres culturelles est réinvestie par la littérature diversement. La publication en 1992 de l’anthologie de Nelson Saute et Antonio Sopa A ilha de Moçambique pela voz dos poetas nous permet de problématiser cette zone géo-poétique.
L’île de Mozambique apparaît dans la littérature mozambicaine dès le XIX s., il faut ici mentionner l’ouvrage de Manuel Ferreira paru en 1985 qui a recueilli l’oeuvre du premier poète mozambicain, natif de l’île.
Région géographique d’élection, l’île est un lieu de beauté et de splendeur dû à sa diversité culturelle, lieu d’une mémoire multiple et entrelacée, où l’Histoire et l’Origine se donnent à connaître, à rappeler et à structurer. Ainsi, les vers d’Alberto Lacerda « O Oriente surgido do mar / O minha Ilha de Moçambique / Perfume solto no oceano / Como se fosse em pleno ar » (L’orient surgit de la mer O mon île de Mozambique Parfum épars dans l’océan comme si c’était en plein air)
Les premiers livres, de la post-indépendance, de Luis Carlos Patraquim et d’Eduardo White Monçao e Amar sobre o Indico, faisaient référence de par leurs titres à cette aire géo-poétique de l’Ocean Indien et de l’île, s’inscrivant ainsi dans la desceendance de poètes antérieurs comme Alberto Lacerda, Gloria de Santanna, Orlando Mendes, Virgilio de Lemos et plus particulièrement Rui Knopfli. A ilha de Prospéro, L’île de Prospéro, publiée en 1972 est la première oeuvre de revisitation de l’espace en termes littéraires, en tant que champ d’investigation de la Mémoire historique et culturelle. Il s’agit d’ un recueil de photos accompagnées de poèmes où sont évoquées la présence de la culture indienne, arabe et portugaise à travers les monuments et lieux architecturaux de l’île.
Ce parcours critique évoqué par l’île de Prospéro knopflienne finit d’être « canibaliser » par la poésie écrite après l’indépendance et je pense notamment à Luis Carlos Patraquim et à son livre Vinte e Tal Novas Formulaçôes e uma Elegia Carnivora (Vingt et quelques nouvelles formulations et une élégie carnivore) où il récidive avec un ensemble de poèmes sur l’île. Il déplace le topos insulaire mythique vers le lieu des origines, vers une symbiose culturelle pacificatrice et désirée, contrepoint de la mémoire des guerres et des asservissements, de la guerre civile qui frappait alors le pays.
Virgilio de Lemos, dans un article sur la poésie mozambicaine insiste sur le découpage géographique du pays en mettant l’accent sur la présence de l’Océan Indien, muse et source d’inspiration. La porte ouverte sur l’Orient est un des trajets d’écriture de Virgilio Lemos. Ainsi, Ilha de Moçambique – a lingua é o exilio em que sonhas (Ile de Mozambique – la langue est l’exil dans lequel tu rêves) composé de poèmes écrits entre 1952 et 1961, véhicule un imaginaire de l’exil où les parcours érotiques, oniriques et linguistiques réinventent l’ile comme lieu de paix et de désir. L’île, ici nommée et investie de son statut de mythe « ilha que dorme na utopia prodigo mito da poesia » (« île qui sommeille dans l’utopie mythe prodigue de la poésie ») est reinventée par la création poétique.
A son tour Eduardo White, dans Materiais do Amor (Matériaux de l’Amour) et Janela para Oriente (Fenêtre sur l’Orient), réactualise cette origine à travers l’identification du sujet avec l’île et de l’île avec l’amour et le sujet aimé. Eduardo White incarne le pays dans l’île et identifie en elle une origine et un destin amoureux, un voyage de par un corps culturel assumé érotiquement.
Pareille insularité réinventée, réajustée au corps et visage, dans la mémoire revisitée de l’histoire finit par se projeter dans l’image propre du pays. Si l’île constitue une région mythique et originelle, le pays lui-même peut-être lu comme une longue et étroite île indienne. Ainsi, Terra Sonâmbula de Mia Couto se réfère à cet imaginaire insulaire et indien du Mozambique.
« – Vês Kindzu ? Do outro lado fica a minha terra. É mesmo ali onde o sol se està a deitar.
E ele me passava um pensamento : nos o da costa, éramos habitantes nao de um continente mas de um oceano. Eu e Surendra partilhavamos a mesma patria : o Indico. E era como se naquele imenso mar se desenrolassem os fios da historia, novelos antiguos onde nossos sangues se haviam misturado. Eis a razao por que demoravamos na adoraçao do mar : estavam ali nossos comuns antepassados, flutuando sem fronteiras. » (« – Vois-tu Kindzu ? De l’autre côté se trouve ma terre. Là-même où le soleil est en train de se coucher. Je me mis à penser : nous, ceux de la côte étions les habitants non d’un continent mais d’un océan. Surendra et moi partagions la même patrie : l’Océan Indien. Comme si, dans cette mer immense se déroulaient les fils de l’histoire, noeuds anciens où nos sangs s’étaient mêlés. Voilà la raison pour laquelle nous demeurions dans l’adoration de la mer : il y avait là nos ancêtres communs, flottants, sans frontières. »)

1. Traduit du portugais par E.M.R, les vers traduits ici sont destinés aux lecteurs qui ne parleraient pas portugais, je tiens toutefois à préciser qu’il ne s’agit pas d’une traduction littéraire.
Des poèmes du Mozambique, de l’Angola, du Cap-vert figurent dans l’Anthologie de la poésie au sud du Sahara , Actes Sud.
2. Manuel Ferreira, Campos de Oliveira-Mancebo e Trovador, Lisboa, INCM, 1985
3. ed.ALAC 1991
4. Notre Librairie 1993
5. ed. Amolp, Maputo, 1999
6. ed. Caminho, Lisboa , 1996
7. ed. Caminho, Lisboa, 1999
8. Il existe une traduction française de Terre Somnambule chez Albin Michel, ne l’ayant pas à disposition au moment où je traduis cet article, je me suis permise de traduire ce passage en espérant qu’elle ne heurte personne.
///Article N° : 1251

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