Lilyan Kesteloot propose, régulièrement, pour Africultures, une plongée dans des essais ou des œuvres fictionnelles. Elle nous livre, ici, sa lecture du roman, Une Symphonie Or, de Philippe Cantraine.
Voici un beau roman qui entre parfaitement dans la catégorie indo-américaine de « post-coloniale » (Homi Bhabba), qui, en France, peut désigner à peu près n’importe quelle forme d’expression écrite ou verbale. En effet, l’auteur est un européen (belge) venu en Afrique après les indépendances, comme cadre fonctionnaire international. Son roman porte sur un fait très antérieur, situé au temps de la guerre franco-belgo-anglo-allemande (1939-1945). Il s’agit des réserves d’or des banques françaises et belges que l’Allemagne exige en raison de sa victoire incontestée sur les Alliés, et pour prix de la paix, et d’une occupation qui s’arrête à la moitié de la France (Vichy). Le roman de Ph. Cantraine met en scène les circonstances improbables qui conditionnèrent le choix et le transfert de l’or belge au gouvernement d’Hitler.
Les lieux et l’action ? La France, l’Allemagne, le Sénégal, le Mali, le Congo Belge… Car si une partie de l’or des banques françaises est envoyée sous bonne garde en Martinique, une autre partie rejoint celle qui est déjà conservée à Thiès, à 50km de Dakar, capitale de l’AOF. Et l’or des banques belges, confié (Dieu sait pourquoi) à la France, se trouve justement dans ce convoi qui rejoint le Sénégal.
L’action ? Ou plutôt son moteur et son objectif : la France a décidé de commencer par l’or belge pour régler sa « dette » à Hitler. L’or français suivra certes, mais le plus lentement possible. Les aventures de ce transfert et des personnages qui s’en occupent forment la trame de cette étrange histoire.
Mais ce sont les personnages, allemands, français, belges, que Philippe Cantraine charge d’exprimer leurs attentes. Tandis que les siennes sont portées par un drôle d’ethnologue plus congolais que belge, envoyé à Dakar par le gouverneur Rykmans afin de s’informer discrètement sur les rumeurs parvenues jusqu’à Léopoldville concernant les mouvements de cet or belge….
A la manière d’un roman policier
Histoire assez scabreuse, en vérité, où les Allemands pleins de morgue, des Français pleins de ruse, jouent à cache-cache avec, parmi eux, des Africains méfiants et des Belges perplexes et impuissants.
Ainsi notre ethnologue s’insinue à Dakar, sous prétexte de recherches archéologiques à l’IFAN (Institut français d’Afrique Noire), de rencontrer Théodore Monod (en mission) et découvre un chercheur africain qui le met au courant des problèmes que posent les Hammalistes, section dissidente de la confrérie Tidjane. Mais obligé de quitter cette piste intéressante il devra s’appliquer à suivre le trajet cahoteux, par trains, camions, chameaux, des caisses de lingots belges. Ceux-ci seront acheminés incognito à travers le Mali (Kaye, Bamako, Mopti, Tombouctou), puis l’Algérie par El-Goléa, pour rejoindre la base allemande de Rommel, en Afrique du Nord.
Ce livre est un espèce de roman policier psychologique, à la manière de John Le Carré, dont les acteurs très contrastés ont pris corps au point qu’on se demande si cette histoire est vraie, et jusqu’où, et si ces personnages – dont certains sont connus, ont réellement joués ces rôles ambigus. Demandez-le à l’auteur, il vous opposera la liberté du romancier de traiter l’Histoire à sa guise !
Post-colonial, ce roman, l’est par la distance réelle entre les événements et l’instant où on les relate. Ce qui permet d’y introduire un certain humour qui les dédramatise. Cequi permet aussi à l’écrivain sensible de s’arrêter, de méditer sur la guerre et ses aléas, sur la colonisation, sur les parties en présence et le gouffre d’incompréhension qui les sépare : les vainqueurs des vaincus, les Blancs des Noirs.
Belle fresque dont l’écriture assez sophistiquée nous rappelle des qualités de style, trop souvent perdues dans les récits contemporains qui privilégient le langage parlé.