Le terme « séga » englobe un ensemble de musiques et de danses traditionnelles de la zone des îles du sud-ouest de l’océan Indien. Ces musiques sont entièrement instrumentales ou chantées, généralement de forme responsoriale entre un chur et un soliste, avec des paroles en créole. Une des formes plurielles du séga bénéficie d’un éclairage particulier depuis son inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en octobre 2009 : le maloya.
Le séga est particulièrement pratiqué dans l’espace géoculturel des Mascareignes (La Réunion, Maurice et Rodrigues). Il se décline selon des variantes locales, faisant qu’il est principalement connu à Rodrigues sous les noms de séga tanbour et de séga kordéon, à l’île Maurice avec le séga tipik ou séga gropilé, séga tambour, séga ravan et le séga salon, séga moderne, et à La Réunion où l’on parle de séga et de maloya (le mot maloya serait relativement récent car il est devenu populaire à partir des années 1930. L’étymologie de ce mot, probablement malgache ou Est africaine reste floue). L’origine du mot séga (désigné dans les textes anciens par tchiega, tchéga, tsiega chéga,,
) n’est pas connue. Différent auteurs attestent qu’au Mozambique, tshega se rapporterait à une danse très proche du fandango dansé au XVIIème siècle en Espagne, au Pays Basque et au Portugal. En swahili, le mot séga désigne l’action de retrousser ses habits, caractéristique des danses bantoues et geste classique des danseurs de séga. Le mot se retrouve aussi sur la grande île de Madagascar, aux Seychelles. Il existait également aux Chagos.
La genèse du séga nous renvoie au XVIIIème siècle, aux temps de la traite négrière. Cette musique, principalement d’origine afro-malgache est née du métissage des pratiques musicales des immigrés venus majoritairement des pays
de la côte Est de l’Afrique et de Madagascar. Une population réduite à la condition d’esclave au sein de la société de plantation de la zone. De cette période, datent donc les pratiques musicales et chorégraphiques les plus proches des
origines afro-malgaches et à fort ancrage historique qui sont le séga tanbour, (Rod), le séga tipik (Mau) et le maloya de La Réunion (qui comme je le rappelle s’appelait jusqu’aux années 1930 séga). Ce n’est qu’à la fin du XIXème, voire au début du XXème siècle que ces formes musicales anciennes ont donné naissance à un second item jugé plus populaire, et relevant de la tradition européenne (de part l’influence stylistique compositionnelle et l’accroissement de l’effectif instrumental avec notamment l’apport des instruments mélodiques). Un item qui relève également des pratiques de danse (avec l’influence des danses de salon européennes comme
le quadrille, la valse, polka, mazurka
) et des rythmes africains et malgaches devenus locaux. Il s’agit à Rodrigues du séga kordéon (en rapport à l’utilisation de l’accordéon diatonique), à Maurice, du séga salon (l’appellation correspondant aux lieux d’exécution qui étaient principalement, jusqu’aux années 1950, les salons de bals aristocratiques) qui deviendra séga moderne à partir des années 1960 (avec l’ajout d’instruments électrifiés et le début de l’influence des courants musicaux mondiaux), et du séga créole ou séga à La Réunion.
Il est possible de distinguer trois formes de maloya, qui ne sont pas étanches les unes aux autres. Tout d’abord, le maloya est pratiqué dans un contexte rituel, lors de cérémonies appelées servis malgas, servis kabaré, ou servis kaf. Il s’agit de rite de possession où notamment des animaux sont sacrifiés et donnés en offrande aux ancêtres malgaches et africains que l’on honore. Le maloya est alors exécuté dans un contexte traditionnel avec ses instruments principaux qui sont le rouler (un tambour constitué d’une barrique tronquée à ses deux extrémités et dont l’une des extrémités est recouverte d’une peau de buf, percutée à mains nues) ; le kayamb (qui correspond à la maravanne de l’île Maurice) soit un idiophone, hochet en radeau fait de fleurs de cannes à sucre. Dans ce réceptacle sont enfermées des sonnailles. Il y a également le piker, un idiophone fait d’un tronçon de bambou, percuté par deux baguettes de bois ; le sati, qui sur le même principe que le piker, est fait de tôle ou de fer blanc ; le bob ou bobre, un arc monocorde ayant pour caisse de résonance une calebasse. La corde est percutée par une baguette de bois et un hochet appelé batavek ou kaskavel.
Dans les servis kabaré, les chants, qui sont des maloya kabaré, sont généralement entonnés par un soliste et repris par l’assemblée. Ils servent à initier la communication avec les ancêtres, entre le monde des vivants et celui des morts, et entretiennent la transe de certains participants. Durant les servis, le rythme du maloya varie entre une forme binaire proche du 2/4 et une forme plutôt ternaire proche du 6/8 (beaucoup plus courante en dehors du contexte d’exécution rituel). Historiquement pratiqués dans le cercle familiale et de voisinage, certains servis ont aujourd’hui pris une dimension semi-publique, inspirant fortement la création actuelle de groupes de maloya comme Lindigo, Christine Salem ou Destyn
Jusque dans les années 1960, le maloya fut aussi pratiqué dans le cadre de soirées festives. On parlait de bals maloya (qui sont devenus les kabar), où l’on dansait et où l’on improvisait des chants de commentaire social et/ou d’ambiance. Ces soirées pouvaient donner lieu à des sortes de joutes chantées où la critique et le défi interpersonnels étaient mis en scène à travers des paroles adressées publiquement devant une assemblée. Le maloya est de ce point de vue l’héritier d’un ensemble de pratiques plus ou moins formalisées, où le chant constituait un élément central, comme par exemple pour le chant de travail dans les plantations de cannes à sucre, les divertissements improvisés devant les boutiques, les romances interprétées durant les mariages, ou encore les commémorations familiales de l’abolition de l’esclavage.
Cet élément de régulation sociale au sein des communautés de travailleurs des plantations sucrière fut, dans l’ensemble, stigmatisé par l’idéologie coloniale et post-coloniale. Aussi, jusqu’aux années 1970, il dut son existence
médiatique principalement au orchestres de danses urbains qui en jouaient une version modernisée ou folklorisée (souvent appelé séga-maloya).
A partir de la fin des années 1950, le maloya prit une dimension politique quand le PCR (Parti Communiste Réunionnais) favorisa la création de troupes de maloya pour animer ses réunions. Cherchant à mettre en valeur les composantes non-occidentales et rurales de la culture créole, le PCR qui revendiquait l’autonomie politique de l’île de La Réunion, produisit en 1976 les premiers disques entièrement consacrés au maloya. Quelques figures emblématiques comme Firmin Viry et Simon Lagarrique émergèrent alors. De concert avec le renouvellement des formes littéraires (qui s’inspiraient de la tradition orales et des parlers populaires), le maloya participa à la constitution d’un nouveau champ artistique. Celui-ci développa un discours de résistance face à l’assimilation de la culture créole à la culture française dominante. Dans un contexte politique et culturel tendu, le maloya devint presque au même moment constitutif du répertoire de troupes folkloriques officielles, telles que le Groupe Folklorique de La Réunion et Kalou pilé, qui l’adaptèrent au contexte touristique tant au niveau musical que chorégraphique. D’autres troupes, se consacrant plus ou moins exclusivement au maloya les suivront dans cette voie : Comme Roséda, Okilé, les Etincelles Panonnaises, Canne d’eau
Dans les années 1980, la multiplication des radios libres ainsi que la reconnaissance des identités régionales par la politique culturelle menée à l’époque en France par Jack Lang favorisèrent la véritable reconnaissance du maloya, comme partie intégrante de l’identité insulaire.
A partir de là, Danyel Waro, Lo Rwa Kaf, Granmoun Lélé et Firmin
Viry furent considérés comme les référents du genre, leurs musiques servant d’inspiration à nombre d’autres groupes comme Mélanz Nasyon, Kiltir, Salem Tradision
La reconnaissance officielle du maloya traditionnel permis, durant la même période, la création du maloya électrique. Initié par quatre ou cinq groupes principaux à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le maloya électrique consiste à associer les aspects rythmiques et instrumentaux du maloya à diverses influences stylistiques comme le jazz (ex Sabouk), la musique africaine urbaine (Ti Fock), le rock (Patrick Persé) ou encore la musique pop/folk (Ziskakan).
En 1991, le malogué, (ou maloggae) notamment véhiculé par le groupe Na essayé, naîtra d’une fusion entre le maloya et le reggae sur le modèle du séggae mauricien (un métissage entre le séga et le reggae). Ce genre connut un franc succès jusqu’au milieu des années 1990, avec des textes mélangeant contestation sociale et référence au rastafarisme. Enfin depuis quelques années, on assiste également à un rapprochement entre des artistes de ragga dance-hall (KM David, DJ Dan
) et des musiciens de maloya (Lindigo). Le maloya est une musique qui n’a de cesse de se métisser.
Pour conclure, nous pouvons dire que longtemps lié à la cérémonie du culte des ancêtres, le maloya a progressivement conquis l’espace public à partir des années 1970. Vecteur de revendications politiques, il est devenu l’expression majeure, sur le plan culturel et musical, de l’identité réunionnaise. On constate en effet qu’en l’espace de ces trente, voire de ces quarante dernières années, le maloya a ramifié une partie importante de la création musicale insulaire et cela à travers trois fortes tendances caractérisant la nouvelle génération de maloyeurs. Il s’agit de la fusion avec des styles musicaux exogènes (reggae, dancehall, électro, jazz
), le retour aux sources ancestrales (africaines, malgaches et dans une moindre mesure indiennes), mais aussi l’évocation de l’histoire insulaire. L’inscription sur la liste représentative du PCI de l’Unesco signe, en quelque sorte en 2009, l’aboutissement du processus de légitimation culturelle entamé durant les années 1970-1080. Dans ce processus, le militantisme politique et culturel, l’action institutionnelle, la production phonographique et les réseaux du spectacle vivant ont joué un rôle central.
///Article N° : 12825
Un commentaire
Bonjour, par hasard est-ce que Mme Précourt pourrait aussi me renseigner sur les instruments traditionnels utilsés à l’époque de l’esclavage, la fabrication et/ou l’origine des instruments s.v.p.?
Merci par avance.