Mamani Keita : « Il fait froid, y a la neige et le vent ! Bosser bosser ! »

Entretien de Julien Le Gros avec Mamani Keita

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« Pas facile gagner l’argent français », le single du nouvel album de la chanteuse malienne Mamani Keita cartonne en radio. À l’arrivée, un son « electro rock malien » que Mamani entretient depuis son premier opus « Electro Bamako »

Mamani, c’est si difficile de gagner l’argent français ?
Même pour le travailleur français c’est très difficile en ce moment. Cela fait vingt-trois ans que je vis en France. Ces trois dernières années ont été particulièrement dures. Les paroles me sont venues en tête comme ça alors que je demandais à un copain de m’aider.
C’est votre deuxième album avec le producteur Nicolas Repac. Comment avez-vous travaillé avec lui ?
Très facilement. J’ai mon guitariste qui est à côté. Nicolas est dans son studio. Je fais ma composition chez moi. Si je trouve des paroles ou des mélodies j’appelle mon guitariste Djéli Moussa Kouyaté. On essaie de travailler quelques heures ensemble. Après je présente notre travail au producteur : Laurent Bizot. Si c’est bon je vais voir Nicolas. On enregistre guitare plus voix et Nicolas commence à travailler là dessus.
Le mélange electro et musique malienne est présent depuis votre premier album « Electro- Bamako » avec Marc Minelli D’où vous est venue cette idée ?
Ce mélange était une envie que j’avais, pour me distinguer des autres chanteuses africaines. Avant, les gens n’osaient pas mélanger les instruments occidentaux et les instruments traditionnels africains. Depuis mon arrivée ici avec Salif Keita j’ai toujours voulu être différente. Montrer par cette collaboration aux occidentaux et aux Africains que ces deux musiques peuvent se mélanger. Montrer que la musique occidentale ne va pas détruire la musique africaine.
Pour revenir à vos racines maliennes votre grand-mère était guérisseuse n’est-ce pas ?
Ma grand-mère chantait pour guérir les gens qui étaient possédés. Je me rappelle très bien. J’étais toute petite et un jour une voisine est tombée. On l’a appelée. Elle m’a dit : « Toroma », ça veut dire mon homonyme : « Viens m’accompagner. » On a été. Ma grand-mère s’est mise à chanter et la personne s’est réveillée. Pour récompenser ma grand-mère elle lui a donné de l’argent, des habits…
Est-ce cela qui a éveillé votre envie de chanter ?
C’est un peu un héritage que j’ai de ma grand-mère. Je me pose souvent la question de savoir si je serais devenue chanteuse sans ma grand-mère. Du côté de ma mère et de mon père il n’y avait pas de chanteurs ou de chanteuses dans leur famille. Si j’avais été la première à chanter dans la famille ça n’aurait pas été accepté. Ma mère m’a beaucoup critiqué : « Pourquoi tu chantes ? » Je n’avais pas de justification à lui donner. Je me suis arrêtée, bloquée. À ce moment-là elle voulait me punir. Elle a demandé à mon grand frère de me corriger parce que je chantais. Mon grand frère lui a répondu : « Non je ne vais pas la corriger car ta mère chantait donc elle a dû en garder quelque chose ! »
Comment avez-vous franchi les étapes qui vous ont mené jusqu’à l’Orchestre National de Bamako ?

J’ai perdu mon père très tôt. Ensuite ma mère est morte quand j’avais onze ans. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. Quand ma mère est décédée, je suis restée chez ma tante. Elle m’a élevé. Un jour je suis allée pour chanter. Ma tante a reçu une consigne de ma mère avant sa mort : « Je ne veux pas que Mamani chante ! » A mon quartier natal il y avait une école appelée Kandika. Les gens partaient là-bas pour répéter. Je me cachais à chaque fois pour assister à la répétition. Je me suis mise à côté en chantant tout doucement. Un des responsables qui ne connaissait même pas mon nom m’a demandé : « Tu as quel âge petite fille ? » Je lui ai répondu : « treize », alors que je ne les avais pas encore ! Du coup ils m’ont surnommé treize ans ! Un jour j’ai chanté. On m’a dit : « treize ans tu chantes très bien ! » J’ai eu peur : « Il ne faut pas dire ça parce que ma mère ne voulait pas et ma tante ne va pas accepter. ! » Ils m’ont carrément forcé à chanter. Je leur ai demandé d’aller voir ma tante. C’est ce qu’a fait un des responsables : Sanbaly Traoré, le jour suivant. Ma tante m’a confié à lui. Depuis ce jour-là j’ai eu la liberté. J’ai fait la Biennale en 1982. J’ai chanté le solo du District de Bamako. Ce solo a été placé premier. On m’a même donné un diplôme pour m’encourager. Après ça j’ai été sélectionné pour intégrer l’Orchestre du District de Bamako. Les deux années suivantes on a fait une compétition pour, à nouveau, la Biennale artistique. En 1985 j’ai été demandée par le Badema national. Au départ je n’avais pas envie d’aller avec eux. Je voulais rester avec le District de Bamako. On m’a mis la pression. Il y avait Kassé Mady Diabaté et Mama Sissoko, un grand guitariste. Je suis restée jusqu’en 1987 et là Salif m’a demandé pour venir en France.
Comment avez-vous travaillé avec cette légende de la musique malienne ?
J’ai connu Salif très longtemps avant de travailler avec lui. Au Mali, comme j’avais déjà travaillé avec deux orchestres il m’a invité. Il faisait quatre soirées au Motel à Bamako. J’ai répété pour être prête pendant quatre semaines. Il y avait un concert chaque samedi. Je le faisais avec lui. Après il est parti en France. Je suis resté au Mali avec le Badema national. Un beau jour je reçois un coup de fil de mon grand frère : « Si tu as le passeport c’est bon. Sinon fais en un. Salif veut que tu viennes en France. » J’ai expliqué à ma tante. Elle a fait mon passeport. Ensuite j’ai eu un contrat au niveau du ministère. J’ai eu le visa. Je suis arrivé en France le 20 octobre 1987. Je n’avais pas encore vingt ans. Quand je suis arrivée on s’est mis à bosser. Travailler avec un grand artiste comme Salif Keita donne beaucoup d’expérience. C’est une école d’apprentissage. Sa façon de travailler m’a fait beaucoup évoluer. On a travaillé dur. Il ne prend jamais une personne qui travaille mal. Le jour où tu n’es pas avec lui, il se dit : « Il faut faire quelque chose pour toi ! » Cela a été le cas avec moi. Il venait derrière moi : « Mama fait ça, fait ci ». Cela m’a beaucoup aidé. J’ai fait cinq ans comme choriste avec lui. La façon dont Salif chante est spéciale. Il ne chante pas comme les autres maliens ou comme les Guinéens. Il a sa façon. Lui seul a ce secret-là. Après j’ai eu un problème de papiers. C’était fini avec lui. Je me suis retrouvée à la porte. J’ai dû me débrouiller. Mais le fait que je ne pouvais plus travailler avec lui m’a donné la force de prendre ma propre route.
En 1995 vous enregistrez « Sarala » avec votre compatriote Cheick Tidiane Seck et le pianiste de jazz Hank Jones.
J’ai connu ce monde-là grâce à Cheick Tidiane Seck. Je l’avais rencontré pour la première fois au Mali en 1982. C’était lui le chef d’orchestre quand j’ai fait mon solo avec le District de Bamako, pendant la Biennale. Il a été mon premier cadre au niveau de l’orchestration. On s’est retrouvés en France. Il jouait avec Salif. Il a fait beaucoup de disques avec lui. En 1995 il m’a appelé pour chanter dans le disque de Hank Jones. C’est à ce moment-là que j’ai connu les gens du label Universal et Laurent Bizot, le fondateur de No Format. Plus tard, Cheick Tidiane m’a fait travailler plusieurs fois en duo avec Dee Dee Bridgewater.
Il y a une synergie naturelle entre le jazz et la musique africaine. Comment avez-vous perçu cet univers ?
Le jazz ça vient de l’Afrique ! Avant je n’écoutais pas du tout le jazz. Je me disais que c’était une musique compliquée. Il faut rentrer dedans pour savoir ce que c’est vraiment. Si on va dans le nord du Mali, dans le désert, le pays d’Ali Farka Touré leur musique c’est du jazz. Quand on va à Ségou la ville natale de Cheick Tidiane, de ma mère et de ma grand-mère, quand les musiciens jouent le n’goni c’est du jazz. Bien avant de collaborer avec Hank Jones et Dee Dee Bridgewater j’avais travaillé avec un chanteur de jazz : Jeffrey Smith. Il était chez Universal. C’est lui qui a été la première personne à me donner envie et à m’inviter à faire du jazz. Le jazz c’est encore une autre école.
Vous avez aussi collaboré avec le Super rail band de Bamako
J’ai fait deux albums avec eux pour Label bleu, dirigé par Christian Mousset. J’ai connu Djélimady Toungara, grand guitariste malien, à Bamako avant d’arriver là. Quand le Super Rail est arrivé ici ils m’ont appelé pour faire les chœurs.
Avec ce CV impressionnant en main vous vous êtes dit : pourquoi pas chanter en solo ?
Au Mali j’étais chanteuse soliste. C’est en arrivant ici que je suis devenue choriste avec Salif. Être choriste et soliste ce sont deux emplois différents. Être choriste fait travailler la voix. À chaque fois qu’on m’appelle pour faire les chœurs pour un groupe j’y vais. Ça me permet de vivre et ça me fait travailler vocalement. J’avais l’intention de prendre ma route toute seule. Je n’ai pas eu cette chance avant. Au départ j’ai eu un producteur africain. J’ai fait un album, sans promotion parce que j’avais un problème de papiers. Je suis donc restée dans mon ghetto. Après j’ai connu les gens de Universal, de No Format. J’avais déjà signé un contrat chez Universal jazz en tant que soliste. Universal m’a demandé si j’avais déjà fait un album. Je leur ai donné celui-là. Ça m’a donné beaucoup aidé. Je me suis dit : « Je ne veux pas rester derrière quelqu’un. Je prends mon envol. »

C’est cela qui a abouti à « Electro Bamako ».
J’ai fait « Electro Bamako » et je savais que ça ne s’arrêterait pas là ! J’ai rencontré Marc Minelli grâce à Marc-Antoine Moreau d’Universal, qui s’occupe d’Amadou et Mariam. On s’est rencontrés dans les bureaux à Universal. Après il m’a donné rendez-vous chez lui. Je suis parti avec mon guitariste préféré Djéli Moussa Kouyaté. On a enregistré trois titres chez lui. Marc a bossé de son côté. Quand je suis retourné chez lui et que j’ai écouté je me suis dit : « Ce n’est pas moi ça ! » Ce son électronique ! J’ai eu les larmes aux yeux. Je ne m’attendais pas à ça : d’avoir des machines très évoluées avec des instruments traditionnels. J’étais partante ! On a enregistré neuf autres titres. C’est comme ça que « Electro-Bamako » est né !
À partir de quand vous êtes vous mise à composer des chansons en bambara ?
Cela remonte à mon premier album qui n’avait pas eu de promotion. C’était en K7. Il n’y avait pas encore de cd. Quand j’ai fait Electro-Bamako il me restait encore des chansons. Depuis je n’ai pas arrêté de composer. Je demande même des idées à mes proches. J’ai aussi tout composé sur « Yelema » et « Gagner l’argent français ».
Quels sont les thèmes de vos chansons ?
Je parle d’un peu tout. C’est universel. Gagner l’argent français ne concerne pas que Mamani ou les Africains. Même les Français ont du mal aujourd’hui. « Demissen koulou » : c’est pour rendre hommage aux enfants du monde. Je pense à mon enfance. Je vois les enfants qui traînent dans la rue, que ce soit ici ou en Afrique. D’ailleurs là-bas c’est catastrophique. Beaucoup d’enfants font la manche. Il y a aussi une chanson « Konia », sur le sentiment de jalousie. « Diarabi » c’est mon amour. J’ai pris une parole de Dalida : « J’attendrai » et j’ai fait un mélange avec mes paroles en bambara. Je parle aussi des inégalités ethniques. Par exemple, au Mali, je viens d’une famille noble. Si je plais à un griot ou qu’un griot me plaît ma famille va s’imposer : Non non tu es noble tu ne vas pas te marier avec lui ! »

Depuis votre départ du Mali dans les années quatre-vingts comment voyez-vous l’évolution de ce pays ?
Ça a beaucoup évolué. Mine de rien ça fera vingt-trois ans aujourd’hui que je suis partie. Entre la population du Mali avant et celle d’aujourd’hui ça n’a rien à voir. Avant beaucoup de jeunes ne travaillaient pas. Ils se contentaient de faire du thé devant leur porte. Aujourd’hui tout le monde travaille. Notre évolution n’est pas comme celle de l’Europe. On se débrouille à notre façon. Au niveau de la construction, la vie, la politique, tout a changé. Maintenant c’est la démocratie. Avant on pouvait se retrouver le dos contre le mur avec le fusil. Ce n’est plus ça.
Quelle est la différence entre « Gagner l’argent français » et le « précédent » opus Yelema ? Il y a la même équipe : Mamani-Nicolas Repac et la même touche electro.
Dans « Yelema » on a pris des sons un peu partout. Mais cette fois-ci les sons qu’on a utilisés viennent de live. Il y a des vrais musiciens qui jouaient dans ces concerts. En même temps on a rajouté quelques autres sons. « Yelema » a un côté machines tandis que « Gagner l’argent français » a un côté live.
Quel sentiment avez-vous quand vous revenez à Bamako ?
Je suis très fière à chaque voyage. Je suis partie avec mon groupe une fois pendant le festival Paris-Bamako d’Amadou et Mariam. C’était la première fois depuis que je suis arrivée en France que je retournais là-bas avec mon propre groupe. L’accueil était très chaleureux. Je pensais qu’on allait me dire : « Tu as détruit la musique malienne ! »Cela n’a pas du tout été le cas au contraire : « Mamani ce que tu fais en Europe on l’entend tous les jours à la radio. Tu as changé ta musique. Super Félicitations ! » Je suis revenue de là-bas il y a tout juste deux mois. J’avais une fierté incroyable. Quand je sortais : « Ah Mamani on t’a vu à la télé ! Ça fait longtemps que tu n’as pas fait de disque ! » Je répondais : « Si ! Je suis là c’est pour vous montrer un nouveau-né ! » J’ai fait une émission : « Top étoile », l’équivalent de Vivement dimanche. J’ai aussi fait des émissions de radio. Les gens m’appelaient tous les jours pour me féliciter : « Notre fierté c’est toi ! » Ils se rappellent bien de : « Demisenoun », aidons les enfants du monde », le titre avec Marc Minelli. C’est ça qui m’avait fait connaître en Afrique et même en France.
Justement pour la France, quel regard portez-vous sur l’ambiance qui règne, notamment en matière de politique ?
Difficile. Depuis que je suis arrivé ici en 1987 et maintenant en 2011, ça n’a rien à voir. Si on compte les années, la France a chuté au niveau de la politique d’immigration. Je ne sais pas comment qualifier ça mais ce n’est pas du tout la même politique. C’était moins dur. En ce moment, les immigrés souffrent beaucoup, les Français aussi. Beaucoup de portes sont fermées. Il n’y a pas que le côté politique. Il y a aussi moins de concerts. Tout est devenu difficile.
Et pour la suite ?
Dieu merci j’ai un producteur et la presse derrière moi. Pour l’instant je fais la promotion et j’ai quelques concerts de prévus.

///Article N° : 10224

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