Manuel Mendive : avec les yeux ouverts

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Portrait sensible d’un peintre sensible. Lorsque motifs et couleurs sont des rites de passage… Ses oeuvres illustrent ce dossier : puisse son esprit l’éclairer !

Manuel Mendive est un cubain ouvert au monde ; avec ses mots doux, il parle de ce qu’il sent, de ce qu’il croit, avec bonheur. C’est un homme prudent, fait d’expériences et de doutes, alerte et curieux de tout ce qui bouge et pourrait combler son inspiration. Comme beaucoup de Cubains de sa génération, il a pu compter sur une société qui a su investir dans le talent et le travail de ses artistes. Il est né le 15 décembre 1944 et aime ajouter « je ne sais pas à quelle heure ». Il a vécu dans un quartier populaire de La Havane, Luyano, et très tôt, il s’est senti attiré par la peinture, la sculpture jusqu’à suivre une formation à l’école des Beaux-arts San Alejandro de La Havane. Sa grand-mère, sa mère lui transmirent dès l’enfance les traditions et évocations spirituelles des Noirs yoruba. Son monde onirique s’est nourri des légendes et de l’imaginaire africain. Il eut par la suite plusieurs occasions de visiter l’Afrique en se rendant à plusieurs reprises au Ghana, au Mozambique et en Zambie.
En 1993, il a été invité au Bénin pour la rencontre internationale de la culture vaudou – Rara comme on dit à Cuba : « J’y suis allé pour retrouver des choses nouvelles, mais que je connaissais déjà comme un rêve qui se faisait miroir d’une réalité. Cela a été extraordinaire de me retrouver dans toutes les célébrations officielles, c’est-à-dire me retrouver face à une religion tolérée, pratiquée par les gens du peuple ; c’était beau, émouvant et porteur… »
Il se passionne pour le vaudou, la religion et aime les manifestations magico-religieuses : « ma référence à l’Afrique, je l’ai reçue à Cuba et à partir de Cuba. J’ai été élevé dans un monde fantastique, plein de poésie, d’autels, de bougies, de couleurs… Une partie de notre salon était l’autel du Dieu que nous invoquions. Tous ces éléments, je les ai gardés en moi et je les ressors peu à peu. Je pense à la force édificatrice qui nous fait vivre, et qui nous fait être ce que nous sommes. Ceci est ce que je recherche, ce qui peut se voir avec les yeux fermés et non avec les yeux ouverts ».
L’artiste transmet toute une intériorité ; il a la capacité d’exprimer et de communiquer le dedans et il nous dit que les frontières entre la forme et l’esprit disparaissent peu à peu. L’espace est chaque jour plus grand, plus vaste. Manuel Mendive sent la création comme un coeur qui bat et qui respire. L’artiste exécute des performances où les corps humains sont des tabernacles, des espaces magiques, où l’imagination et le génie évoluent en toute liberté, maîtres, qui captent les formes musculaires, pour en faire des bouches, des yeux, des sexes, mettant face à face le spectre et le corps charnel.
« Si je peins des yeux et une bouche sur une poitrine, la respiration fait ouvrir et fermer les yeux, alors la peinture elle aussi, se met à respirer. Ces performances, je les ai faites avec des mannequins, des acteurs, des danseurs et pendant ce temps-là, des tambours bata accompagnent le geste et la respiration… »
Soudain, une scénographie naît spontanément et un véritable spectacle est improvisé. Les performances de Mendive attirent du monde, les rues, les cours se remplissent d’individus émerveillés, étonnés. L’esthétique se dégage de cet équilibre incroyable entre le corps et son environnement.
Un des aspects fondamentaux, c’est également tout son travail en un chiffon cousu. En 1987, il créa « SHISHEREKU », personnage bicéphale, avec de multiples membres, qui lui donnent un aspect de poulpe avec un sexe mâle. Aux grosses broderies, Mendive ajoute les courlies africains ; la première tête porte l’œil sur le front, signe de lumière et de clarté, d’où naît le visage féminin et métis. Le lien des matières, nous le trouvons aussi dans « l’homme assis sur la chaise ».
Les couleurs chez Mendive sont très particulières. En 1991, il disait : « Cette fois-ci, je voudrais que Eshu soit comme une réponse constante et une relation directe entre le peintre et l’oeuvre, que se soit Eshu qui transmette le chemin aux couleurs et aux clairs-obscurs qu’il y a dans la vie d’un homme ». Dans ses huiles des années 90-94, comme « el pensamiento », « le manteau blanc », « le portrait d’Alexandre », « le mot », Mendive déploie une grande habilité dans le traitement de la couleur, surtout dans les obscurs ; les huiles semblent s’étaler sur les toiles, comme des illusions de reliefs, faisant une caverne de la toile même. Mais, les toiles s’éclatent avec les Oshun et Shango. L’oeuvre se fait avec des couleurs tendres en respectant le jaune et le fond bleu pour Oshun.
Dans l’ensemble de son œuvre, Mendive exprime avec sagesse tous les éléments magiques de sa spiritualité. L’artiste jouit d’une grande renommée internationale et s’est imposé dans le marché de l’art contemporain sans jamais renier sa culture et sa société. Considéré comme un des plus grands talents de la peinture contemporaine de la Caraïbe, Mendive poursuit une carrière internationale depuis La Havane, tout en voyageant régulièrement dans les plus grandes capitales de l’art. Mais il avoue « ne pouvoir rester hors de Cuba plus de six mois… ».

///Article N° : 765

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