Depuis le triomphe de l’économie de marché, le marketing ne cesse de se développer et prend une place de plus en plus grandissante dans notre environnement économique, voire même social.
Entourant le consommateur de toutes parts, il influence directement ou indirectement ses choix de consommation. C’est évidemment dans le domaine commercial que le marketing est le plus utilisé, car il obéit à la règle de maximisation des consommateurs, donc du profit. Mais depuis quelques décennies, il a été introduit dans d’autres secteurs d’activités qui n’ont, parfois, que très peu de liens avec la logique de l’accumulation, à l’instar du secteur culturel public, dont les opérateurs n’hésitent plus à faire appel aux techniques de cette discipline issue des sciences de gestion, et qui met la motivation des attitudes des consommateurs au centre de son efficacité.
Appelée « marketing culturel », cette discipline s’est développée depuis une vingtaine d’année sous l’impulsion notamment de l’École des hautes études commerciales de Montréal. Ainsi, ce marketing spécifique est devenu aujourd’hui une discipline à part entière, à laquelle une grande partie de la Conférence internationale du management des arts et de la culture est consacrée.
Ainsi, l’uvre artistique se voit-elle faire l’objet d’un traitement « marketing » spécifique, pour la quête d’un consommateur pas tout à fait comme les autres. François Colbert, l’un des éminents spécialistes en la matière, considère que la phase marketing doit nécessairement être postérieure à l’acte de création. Le marketing est au service de l’uvre d’art, et non pas le contraire, et l’organisation culturelle ne doit pas produire ce qu’elle pourrait vendre mais plutôt promouvoir et vendre le produit qui a été créé.
En effet, le marketing culturel fournit des outils privilégiés pour la promotion de la culture et le développement de la création artistique, afin de répondre aux besoins et attentes des populations, premières destinataires de ce « service public » non obligatoire (comme peuvent l’être ceux de l’alimentation, de l’énergie
).
Certes, le marketing se définit avant tout comme étant cet ensemble de techniques mobilisées pour détecter un besoin et le satisfaire, tout en visant la rentabilité qui est considérée comme un objectif principal. Mais depuis l’émergence du « marketing culturel », cette définition a été remise en cause pour qu’elle puisse s’adapter à un secteur « très peu formalisable ». Dans ce dernier, le produit exploité constitue un bien « non matériel », « symbolique » ou « sémiotique », destiné à un consommateur « particulier », et qui est généralement de type esthétique ou expressif. La fonction utilitaire de ce produit n’est, d’après Hirsch (1), pas tout à fait claire. Il peut être considéré aussi comme un « concept » qui cherche à valoriser des créations artistiques, les mettre en avant sur un marché culturel afin de créer des instants poétiques dans une société de consommation.
Le produit culturel est corrélé aujourd’hui à la notion d’industries culturelles, et peut prendre la forme de plusieurs supports (livres, CD, films, spectacles, tableaux, objet d’art, etc.) qui peuvent êtres diffusés dans plusieurs espaces qui lui sont dédiés (musées, théâtres, librairies, salles de concerts, etc.). Rappelons que cette notion d’industries culturelles a, depuis quelques années, laissé la place à celle des « industries créatives », notion plus large, créée en 1997 en Grande Bretagne par le gouvernement Blair et qui comprend notamment l’architecture, la publicité, le marché de l’art et des antiquités, l’artisanat d’art, le design, la haute couture et les jeux vidéos.
La problématique de la fréquentation des espaces culturels et de l’acquisition de « produits culturels », en Algérie, demeure très floue, car très rares sont les statistiques officielles disponibles, chose qui constitue un véritable frein à toute analyse objective, loin des interprétations et autres jugements de valeur qui dominent l’espace de la critique du secteur culturel en Algérie. À titre d’exemple, si l’on prend le cas des musées, les rares données de fréquentation sont les suivantes (2) : Musée des antiquités et des arts islamiques : entre 5000 à 6000 visiteurs en 2010 ; Musée des arts et des traditions populaires de La Casbah : 12 000 visiteurs en 2009 ; Musée d’Art moderne et contemporain d’Alger : 20 000 visiteurs entre mai et octobre 2010 ; Musée Ahmed Zabana d’Oran : 22 692 visiteurs en 2003.
Sans entrer dans un jeu de comparaison avec les musées européens qui ont des performances extraordinaires en matière de fréquentation (par exemple, 25 000 visiteurs en trois jours pour le musée du Quai Branly de Paris dans le cadre de son cinquième anniversaire), il faut admettre que la fréquentation de nos musées est très faible par rapport au budget alloué à ces structures (797 730 000 DA en 2011, soit environ 8 millions d’euros) (3). Pour améliorer la fréquentation de nos musées, qui rappelons-le, ont une mission de service public et doivent par conséquent attirer le public le plus large possible, une approche marketing est nécessaire.
La première étape consiste en l’instauration d’un système de recueil de données statistiques fiable et régulier. Il faudra par la suite réaliser une étude sur le comportement des visiteurs et effectuer une segmentation du marché, c’est-à-dire identifier les groupes et sous-groupes (scolaires, touristes, visiteurs locaux, enfants, adultes
) susceptibles de « consommer » les services culturels proposés et ainsi différencier et diversifier l’offre, ce qui permettrait de choisir, ensuite, un bon positionnement en communiquant une image de marque.
En ce qui concerne le prix des billets, il faut les considérer par tranche économique des populations (chômeurs, étudiants, séniors, etc.). Ceci encouragera les personnes qui n’ont pas les moyens financiers pour fréquenter le musée. Les médias doivent aussi être sollicités pour promouvoir l’image des musées. Un spot publicitaire à la télé ou à la radio, dans le cadre d’un partenariat par exemple, serait très bénéfique, tout en imaginant par exemple les possibilités d’offrir des billets gratuits aux téléspectateurs ou auditeurs dans le cadre de concours lors d’émissions de télévision ou de radio. À l’heure des nouvelles technologies de communication, l’outil Internet ne peut être négligé.
Chaque musée doit disposer d’un site actualisé régulièrement qui dure dans le temps. Il y a aussi la possibilité d’inscrire les musées dans les circuits touristiques qu’organisent les agences de voyages.
L’autre volet important est celui de l’éducation artistique. En effet, inciter les enfants à fréquenter les musées, même en tant que public captif, est d’une importance capitale pour ces structures qui, en ouvrant leurs portes à ce public, préparent la génération future de visiteurs qui viendra fréquenter les expositions et participer aux autres activités muséales. D’où l’importance de s’inspirer de la logique marketing des entreprises commerciales, dont plusieurs travaillent à fidéliser leurs clientèles dès leur jeune âge, en diffusant des prospectus ludiques ou des jouets thématiques. Pour trouver ces futurs visiteurs, il suffit d’aller solliciter directement les établissements scolaires dans le cadre d’un partenariat durable et interrégional.
En ce qui concerne le financement, les musées gagneraient à diversifier leurs sources de financement pour se lier, dans le cadre d’un sponsoring par exemple, avec les entreprises privées qui, certes bénéficient d’une publicité auprès de ces musées, mais ces derniers en bénéficient tout autant en associant leur image à celle de certaines entreprises connues du grand public.
Ainsi, est-il possible de redynamiser nos musées, ces lieux privilégiés, porteurs des empreintes anciennes et contemporaines de toute une nation. Les faire fonctionner tout en les transformant en véritables espaces de réception, d’échanges et de convivialité, revêt une importance considérable pour la préservation de l’identité culturelle de l’Algérie, mais aussi la préparation des générations futures.
(1) Hirsch, Paul M. (1972). « Processing fads and fashions : An organization-set analysis of cultural industry system ». American Journal of Sociology (77), p. 639-p.659.
(2) Benfodil, Mustapha (2010), « Victimes du déficit cultural national : nos musées sans public », El Watan, 21/11/2010.
(3) voir : [www.alger-culture.com]Article publié sur El Watan le 05.11.2011///Article N° : 10482