» Si nous disons oui aux défis des nouvelles technologies de l’information, c’est sans naïveté, car nous savons qu’elles recèlent des enjeux considérables. Enjeux de pouvoir car, aujourd’hui, celui qui peut le mieux être présent sur les autoroutes de l’information détient un pouvoir de manipulation considérable. Enjeux économiques colossaux étant donné le rôle des NTI dans la circulation des capitaux et les sommes fabuleuses investies dans leur développement. Enjeux autour des coûts de la communication aujourd’hui prohibitifs pour les Africains. Enjeux technologiques autour des choix qui seront faits en matière d’infrastructures et de mode de raccordement de l’Afrique aux grands réseaux internationaux. Enjeux en matière d’infrastructures et de mode de raccordement de l’Afrique aux grands réseaux internationaux. Enjeux en matière de recherche et de capacité à développer les technologies dans un sens qui correspond aux priorités et aux attentes des Africains. Enjeux socioculturels enfin, comme je viens de l’exprimer. »
Alpha Omar Konaré, président de la République du Mali discours prononcé lors de la rencontre sur l’Afrique et les nouvelles technologies de l’information, Genève, 17 oct. 1996.
En quoi consiste votre activité ?
Je suis le représentant national du réseau Anaïs, réseau consultatif de l’information et de la communication sur l’Afrique. Au niveau du Mali, notre antenne a été implantée en septembre 97. Anaïs se situe au niveau de la présidence car ce sont les présidents malien et suisse qui ont initié le réseau africain Le président malien a été le deuxième après Nelson Mandela à s’engager en Afrique pour les nouvelles technologies. Notre première activité fut de dresser un état des lieux des nouvelles technologies au Mali. Puis nous avons développé des activités de sensibilisation au niveau national, auprès de la population mais aussi des décideurs. Notre situation nous a permis de le faire directement auprès des ministres, si bien qu’au Mali chacun est informé ! Nos efforts portent leurs fruits puisqu’il vient de se tenir un séminaire national sur la mise en place des stratégies, durant lequel de nombreuses recommandations ont été faites au gouvernement. Nous préparons des actions auprès des élèves et prévoyons de monter un cybercafé.
Internet est-il développé au Mali ?
A côté de notre opérateur national, nous avons actuellement cinq fournisseurs d’accès, qui ont de l’ordre de 3000 connexions par jour, et plusieurs associations de promotion d’internet qui développent sensibilisation, formation et se retrouvent à la fête de l’internet pour une mobilisation générale !
Quel type de recommandations sont faites au gouvernement ?
L’atelier national a commencé par établir la structure qui aura désormais pour charge la promotion des nouvelles technologies. Le réseau satellitaire n’étant pas encore développé, il faut que l’opérateur national soit en mesure de fournir un nombre suffisant de lignes téléphoniques. Un ordinateur, un modem, et une ligne téléphonique, ce n’est pas à la portée de tout un chacun : il faudrait revoir à la baisse les taxes d’importation. L’informatisation des services publics allégerait son travail et écourterait les démarches fastidieuses pour l’obtention de papiers… Pour la sensibilisation, le gouvernement met en place des plans. Le Mali est un grand pays où l’information a du mal à passer dans certaines zones, d’où l’intérêt d’implanter des télécentres et des télékiosques, écrivains publics mobiles se déplaçant de régions en régions, pour faire le lien entre les Maliens et la diaspora… Le télécentre de Tombouctou est un projet pilote cofinancé par des organisations internationales. Implanté il y a plus d’un an, il sert aussi aux touristes et aux ONG. Son autofinancement est prévu au bout de trois ans. Si l’évaluation est positive, cinq autres seront créés.
Il y a donc un choix politique clair pour l’accès communautaire à internet ?
Oui, et la politique actuelle est la décentralisation au Mali : on a créé 702 communes et l’accent est mis sur le développement local communautaire. Les nouvelles technologies peuvent y contribuer.
Les opérateurs privés peuvent-ils prendre en charge une partie du développement ?
Oui, la part du privé est capitale : le service d’accès a été laissé au privé ; il n’y a pas de structure nationale prestataire de services. Cinq structures privées exercent au Mali, et 17 ont demandé à pouvoir le faire ; ce sera à l’opérateur national de choisir, afin de permettre une réelle concurrence. Les cinq en place arrivent à saturation : les utilisateurs ont souvent des problèmes pour avoir la connexion
Quelques données ?
Les fournisseurs d’accès sont Malinet, qui existe depuis 96, avant même le lancement d’internet au Mali, Cefib, Spider qui dispose d’un superbe cybercafé avec quinze ordinateurs connectés en permanence, Datatech et le dernier venu, Afribone. Sinon, la maison des jeunes du Mali en collaboration avec la francophonie a mis en place cinq ordinateurs mais la connexion n’est pas permanente, elle se fait par modem et il y a souvent des problèmes. Au Grand Hôtel de Bamako, il y a aussi un poste connecté qui fait deux ordinateurs mais c’est réservé aux clients de l’hôtel, de même à l’hôtel de l’Amitié. Il y en a un aussi dans la maison de la presse mais qui sert uniquement aux journalistes maliens pour qu’ils puissent échanger des informations au niveau international. Quant aux radios libres, elles ont émergé en grand nombre ces cinq dernières années : au moins vingt à Bamako et une soixantaine à travers tout le pays ; elles constituent des relais de l’information en provenance de l’internet, et sont très écoutées par toute la population. Ce qui importe est donc d’avoir des centres passerelles d’informations en provenance de l’internet.
Quels sont les prix d’accès à internet ?
Très élevés par rapport au pouvoir d’achat. Ils varient selon les durées de connexion : de 60 000 F CFA (600 FF) par mois en illimité à 20 000 francs (200 FF) pour 20 heures.
Est-ce que c’est parce qu’il y a peu de clients ?
C’est ce que disent les fournisseurs d’accès, mais le nombre de clients ne pourra pas augmenter ainsi ! Le prix du matériel informatique joue un grand rôle : il faut compter 800 000 F CFA (8000 FF) pour un ordinateur, ce qui n’est pas à la portée du Malien. L’Etat pourrait agir en baissant les taxes douanières.
Quels sont les sites marquants ?
Nous accusons un retard : les sites des fournisseurs d’accès ont une page d’histoire, sur le climat, en fait une présentation générale, mais au niveau de la culture il n’y a quasiment rien. Pourtant, le Mali est très riche culturellement : il faudra trouver un moyen de mettre en valeur cette richesse tant au niveau national qu’international. Ce sera la contribution du Mali à la société de l’information. Des sites étrangers parlent de la culture malienne, dans le cinéma, la danse, les chanteurs, le tourisme…
Les éditions Le Figuier de Moussa Konaté par exemple sortent avec succès des livres en bambara. Allons-nous vers des contenus en langue locale sur internet ?
Nous allons vers plus de visibilité des langues qui ont été déclarées nationales. Le gouvernement a développé un programme, le PRODEC, qui donne une large place à leur enseignement, le français n’étant introduit qu’au fur et à mesure du devenir scolaire de l’élève. Sur internet, cela ne fait que débuter : des associations ont traduit des contes et les mettent sur des sites (serveur Spider).
N’êtes-vous aidé que par le réseau Anaïs ?
Pour la majeure partie du budget mais nous sommes favorisés quant à la prise en charge des dépenses de fonctionnement : l’Administration nous aide pour le téléphone, l’eau
mais les salaires, le matériel et les consommables sont pris en charge par le réseau. La Francophonie et l’ISID (agence des Etats-Unis pour le développement) ainsi que l’initiative américaine Leland complètent.
Beaucoup d’ONG internationales sont présentes au Mali comme au Burkina. Sentez-vous des formes d’hégémonie culturelle ?
Au Mali, 1500 ONG sont enregistrées. Je ne pense pas que ce soit négatif, mais il faut que la population puisse prendre en main la réalisation de ces actions. Pour internet, il faudra bien que les nationaux s’approprient ces techniques si l’on veut que cela soit permanent et durable.
Tidiane Sangaré est coordinateur Anaïs-Bamako (Mali)///Article N° : 1105