La musique, je l’ai découverte sur les vieux 78 tours de mes parents, qu’ils n’écoutaient jamais. Du classique mais aussi et surtout du jazz. J’adorais mais cela restait terriblement limité. Enfant, j’ai vite délaissé un violon qui tordait les oreilles de tous et adolescent, j’ai traîné une guitare dans tous les camps, écrit quelques chansons, mais clairement, j’étais plus doué pour le verbe que pour la musique. Je rêvais de trompette et suis revenu au violon vers la trentaine en jouant avec quelques amis des tunes irlandaises ou folk d’un peu partout, le résultat m’encourageant à le remiser définitivement.
Si je vous raconte ma vie, c’est pour dire que malgré quelques enthousiasmes bien ciblés, mon inculture musicale est sans fin et que je traîne ce boulet chaque fois je que cherche à écrire sur un film. Autant dire que Musiques de toutes les Afriques d’Henri Lecomte et de notre collaborateur et ami Gérald Arnaud est arrivé comme une bénédiction : enfin un outil qui rattrape mon incurie !
Un exemple. Zola Maseko, réalisateur sud-africain, me parle du marabi. Lexique : musique de danse moderne sud-africaine. Chapitre Afrique du Sud, p. 483 : le marabi est défini non seulement dans son style musical, fusion de formes néo-traditionnelles avec le jazz, mais aussi comme un mode de vie, mais aussi comme une musique identitaire, sensuelle et turbulente, qui dérange la minorité blanche et même la bourgeoisie noire.
C’est cette contextualisation la magie de ce livre qui arrive à couvrir en 600 pages pas trop serrées, avec intensité mais sans jamais se départir d’une remarquable clarté, toutes les musiques d’un continent aussi complexe que l’Afrique dans son entier. Incroyable mais vrai : tout y est, disons au moins l’essentiel, du Maghreb à l’Afrique du Sud sans oublier l’Océan Indien, des musiques traditionnelles aux musiques urbaines, en passant aussi par les diasporas. Désolé pour votre porte-monnaie, mais c’est le genre d’incontournable qui ne sera jamais remplacé par l’internet gratuit, car au-delà de l’extraordinaire érudition musicale qu’il déploie, c’est un livre d’auteurs, c’est-à-dire une sensibilité, une vision, une façon de mettre en contexte qui puise dans une vie de curiosité, de furetage, de collecte, de lectures et de rencontres, de voyages et de concerts, et bien sûr d’écoute passionnée. C’est le genre de bouquin qui vous fait » perdre » des heures : on y cherche un détail et on se prend à tourner les pages, lire le chapitre, aller plus loin, se perdre dans le cahier photo central bourré de trésors d’insiders qui laisse un goût de pas assez. Annexes, lexique, index, biographies, bibliographie et discographie sélectives : rien ne manque à l’outil.
Le titre fait le choix du pluriel : les Afriques. C’est bien de cette diversité mais aussi d’une unité que parlent les auteurs. Musiques de toutes les Afriques n’aborde pas les musiques africaines comme un potage worldmusic : les traces des origines restent centrales, tant dans les musiques des diasporas que les musiques urbaines, mais aussi dans les musiques traditionnelles. Dans le grand jeu des influences et des mélanges liés aux déplacements des peuples, c’est cette continuité qui intéresse les auteurs, celle qui permet d’identifier les origines pour percevoir la richesse d’une expression, cette multitude d’échos qui forme un monde que l’on ne saurait ramener à des catégories fourre-tout.
C’est aussi à cette subtilité de l’approche de l’Afrique que nous enjoint ce remarquable travail qui ne cessera dorénavant de m’accompagner pour combler les insondables fonds de mon inculture.
Musiques de toutes les Afriques,, d’Henri Lecomte et Gérald Arnaud///Article N° : 6814