Le journaliste Nadir Dendoune est connu pour son engagement contre les discriminations. Actuellement, il est envoyé spécial du Courrier de l’Atlas en Palestine. Portrait.
C’est un « tocard rebelle », au grand cur, qui ne mâche pas ses mots. Nadir Dendoune, 41 ans, sait ce que c’est que de partir dans la vie avec des cartes biseautées en raison de ses origines sociales et raciales. Avec ses parents kabyles, débarqués en hexagone en 1950, « ne sachant ni lire ni écrire » ses surs et son frère, il a grandi dans une tour de douze étages « la plus sale et la plus craignos » de la cité Maurice-Thorez, à l’Ile-Saint-Denis. Si par son parcours de journaliste-écrivain, il est devenu, un peu malgré lui, un exemple il ne tient pas à être : « l’arabe qui cache la forêt. Je suis juste une erreur de statistique. Parfois, je refuse de répondre à mes confrères car ils se servent de moi pour évacuer les sujets qui fâchent. »
Parmi ces sujets, outre la question des quartiers populaires, Nadir milite activement depuis l’adolescence, contre les racismes au pluriel, quand, spontanément, avec des gamins du quartier, il se heurtait avec les colleurs d’affiche du Front national (FN). Ayant subi lui-même les contrôles d’identité à répétition et les délits de « sale gueule » en discothèque ou à l’embauche, Nadir a, tout en restant indépendant, vite milité au sein d’associations antiracistes : jury des Y a bon Awards des Indivisibles, soutien de la Brigade anti-négrophobie ou de Stop le contrôle au faciès. Actuellement, il mène une croisade contre l’islamophobie : « C’est la nouvelle forme de racisme. Un phénomène alarmant, comparable à ce qui se passait dans les années 1930, avec l’antisémitisme. Je suis passé de l’arabe voleur au musulman qui frappe sa femme. Sous prétexte de laïcité, on prétend critiquer la religion mais on s’en prend aux individus. Le racisme est un délit. Par contre, stigmatiser les musulmans, c’est plus abstrait au niveau du droit. Quand Véronique Genest dit : « J’ai peur de l’Islam. », est-ce du racisme ou pas ? De plus en plus de femmes voilées se font agresser. D’où vient cette nouvelle forme de violence ? C’est lié au fait que ce genre de discours se banalise dans le débat public. »
À la fin de l’été dernier, à l’initiative du Collectif contre l’islamophobie, Nadir a participé à l’ascension du Mont Blanc. « J’ai accepté parce que nous étions dans l’action, pas la pleurnicherie ! Ça a été peu repris par la presse. On préfère parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure. Quand il y a eu les événements de Trappes toutes les chaînes de télé sont venues. Là, c’était une initiative positive, un challenge physique, dénué de violence, d’agressivité. En haut du Mont Blanc, sur le toit de l’Europe, on a déployé une banderole de lancement d’un projet, de lutte contre l’Islamophobie à l’échelle européenne pour fédérer les actions et relever toutes les formes de violence, verbales ou physiques à l’encontre des musulmans. »
Après son périple sur le sommet de l’Himalaya en 2008, Nadir commence à être le spécialiste des exploits un peu cinglés. « J’aime être là où on ne m’attend pas. Honnêtement, le sport de haute montagne est plutôt un loisir de bourgeois blanc. J’ai rebaptisé le Mont Blanc le Mont Gnoule ! Je ne sais pas si le sommet du Mont Blanc a vu autant de basanés d’un seul coup ! En tant que métèque de banlieue on me verrait plutôt dans le rap ou le foot. Déjà, quand j’ai gravi l’Everest on m’a dit : « Qu’est-ce que tu fous là ? » Ça fait chier les cons de nous voir là-bas ! On est là ! On existe ! On ne s’excuse pas d’être ici ! C’est notre pays ! Que ça vous plaise ou non ! » On n’a pas à aimer plus la France que d’autres ! Basta ! »
En 2004, grâce à la bourse Julien Prunet, Nadir a mis le pied dans un autre milieu aux antipodes avec sa culture de cité : le Centre de formation des journalistes, fréquenté majoritairement par des jeunes diplômés de Sciences Po, issus de classe moyenne ou aisée. Contre toutes attentes : « ça m’a permis d’avancer dans mon complexe de fils de colonisés. J’étais l’un des seuls fils de prolo, vivant de l’autre côté du périph. Le seul métèque de la promo. Ça m’a permis de prendre confiance en moi. J’ai passé parmi les deux plus belles années de ma vie en France. J’ai appris beaucoup, notamment sur l’écriture journalistique. J’ai structuré ma pensée. Ça m’a ouvert un réseau. Je me suis en partie réconcilié avec la France. »
S’il s’est forgé une solide carrière dans le journalisme, des préjugés persistent. « Quand tu es « musulman d’apparence » et que tu vas en Palestine tous les ans tu es suspecté d’être un potentiel antisémite. En décembre 2009, lors d’un reportage pour M6, alors que je me suis battu toute ma vie contre le racisme, le chef des jeunes de l’UMP a dit que je l’avais traité de « sales juifs » – avant de se rétracter. Je me suis senti sali. Mon chef a pris pour un fait acquis que j’étais coupable. J’étais journaliste avec une carte de presse. Même dans la rue, à côté de chez moi, je ne tiens jamais ce genre de propos. Fort heureusement, des collègues étaient témoins. J’ai dû prouver mon innocence. Quand tu es français, issu du mauvais côté du périphérique on te taxe facilement de judéophobe ou d’homophobe. »
De fait, il avoue avoir les « boules » face à une certaine France : « Marine Le Pen devient la nouvelle star. Des gens se sont fait photographier avec elle dans un restaurant ! Je ne fais pas de raccourcis. J’aime ce pays, même si il y a des jours où j’ai envie de me barrer, à cause de ce climat latent. Quand on entend Christian Estrosi sur les Roms, Éric Ciotti, Lionnel Lucas, Fillon, ça pue ! Je les mets dans le même sac que le FN. Avant, je croyais à l’idée de droite républicaine, avec Chirac et De Villepin. Pour moi, l’UMP ne respecte plus le pacte républicain. »
Ayant fait un tour du monde contre le Sida en 2001, bouclier humain en Irak en 2003, pays où, dix ans plus tard, il subira une épreuve carcérale, réalisateur d’un documentaire en Palestine en 2012, Nadir est sur tous les fronts, y compris les causes perdues : « J’ai participé à la Roma Pride. C’est un racisme qui n’intéresse personne. Comme c’est une communauté qui ne peut pas se défendre, taper sur du Rom c’est du pain béni ! Le racisme anti-Rom est diffus dans toute la société française et concerne tout le monde. Pas seulement les Français de souche. Un type comme Valls n’a eu la nationalité française qu’en 1982 et il prétend que les Roms ne sont pas intégrables. On disait la même chose de nos parents venus du Maghreb. C’est un recommencement. C’est toujours le dernier qui arrive qui ferme la porte. J’en veux à ceux et celles qui ont la mémoire courte. On devrait être solidaires avec les Roms et les autres. Comme dirait Coluche : « Ce serait raciste de penser que les étrangers n’ont pas le droit d’être cons ! »
Côté projet, le « tocard » engagé continue d’écrire ses chroniques dans Le courrier de l’Atlas
et travaille sur un nouveau documentaire sur la Palestine. Plus surprenant il prépare une histoire
d’amour : « C’est plus dur à écrire que les récits. J’écris une histoire universelle qui touche à l’amour, parce qu’en banlieue on est aussi des êtres humains ! Ce que certains semblent oublier ! À mon âge, on a envie de parler de choses qui tendent à l’universel : donc l’amour ! J’avance à mon rythme, tranquillement. » Un nouveau chapitre des aventures du tocard !
Livres
Lettre ouverte à un fils d’immigré. Éditions Danger public 2007
Un tocard sur le toit du monde. Editions JC Lattès 2010Nadir en cinq dates
1972 Naissance le 7 octobre à Saint-Denis
1993 Tour de l’Australie à vélo en trois mois
2010 Co-fondateur de la Journée sans immigrés en France
2013 Membre du Jury des « Y a bon awards » et ascension du Mont Blanc contre l’Islamophobie
2014 Voyage à deux reprises dans les territoires occupés en Palestine///Article N° : 12321