New Bell en peinture

Les artistes dans la rue

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New Bell, (1) l’un des quartiers les plus emblématiques de la ville de Douala, accueillait  » Les Scénographies Urbaines » de novembre 2002 à janvier 2003. Un atelier de création et d’exposition d’œuvres plastiques s’inspirant de l’environnement immédiat. Plus de trente artistes camerounais et internationaux invités.

Tout de suite après la rue Njoya, une autre menant au quartier Ngangué, limitrophe de New Bell, une inscription peinte en grands caractères sur le mur d’une bâtisse blanche : TANTOT, SOUVENT, MAIS JADIS PARFOIS, LA GALERE POUVAIT DEVENIR LA COLERE. L’histoire assez anecdotique que nous livre cette phrase toute pleine de violence contenue et de vérité cadrant assez fidèlement avec l’univers pas toujours gaie de New Bell, est qu’elle est l’œuvre d’un fou, d’un malade mental habitant le quartier ! Elle a tout simplement été remise au goût du jour (inscription peinte différemment et en plus gros caractères sur un mur) par les plasticiens des Scénographies Urbaines.
Plus loin, sur la même rue, toujours sur une case d’habitation, en aplat noir sur l’un des murs de parpaings donnant sur la rue bruyante, une jeune fille des lieux, croquée de profil par Philippe Niorthe, l’un des plasticiens français invités pour l’évènement. La sculpture en tôle de Salifou Lindou du groupe KAPSIKI et d’autres vestiges plastiques ont été déplacés à la Galerie Mam au cours de l’exposition sanctionnant cette résidence d’artistes d’environ trois semaines et doivent être rapatriés sur les lieux sous peu – au grand bonheur des habitants du quartier New Bell ayant participé et s’étant impliqués personnellement (2) à ces jours d’intenses activités créatives.
New Bell
New Bell a pris forme un peu après l’indépendance politique du pays (1960) de l’explosion démographique de cette ville côtière et affairiste qu’est Douala. Des populations en majorité venues de l’intérieur du pays, poussées par cette exode rurale qui ne dit son nom. Bamiléké, Bassa, Nordistes, Anglophones et quelques Sawa originaires des lieux, se sont mélangés dans un melting-pot qui tient la route bon an mal an. Ce caractère de carrefour inter-ethnique est d’ailleurs affirmé ici par le Marché Central de New Bell, plus grande zone économique vivrière de la ville.
Un melting-pot aussi confessionnel qui se remarque dans l’ombre des églises, des temples, des mosquées, des cours de maisons investies par les adeptes de toutes ces nouvelles religions qui, pour autant qu’elles choquent les âmes devenues assez conventionnelles, procèdent d’un besoin de spiritualité plus intime, d’un syncrétisme confessionnel qui fait la part belle aux nombreux ancrages ancestraux qui se refusent à mourir.
Cet engouement pour la pratique religieuse peut aussi s’expliquer par l’énorme taux de chômage qui touche les habitants de ce quartier populeux, malgré la multiplication de nombreuses techniques de survie qui tournent toutes autour de la mise en place de petits boulots de nature forcément précaires et aléatoires. L’explosion démographique non prévue par les plans cadastraux, a aussi donné lieu à une anarchie architecturale qui fait de New Bell un espace assez particulier où les maisons lorsqu’elles ne se chevauchent pas sur un bout de terre, s’apparentent plus à des termitières qu’à des demeures conçues pour des milieux citadins. Ce qui crée des conditions d’insalubrité et de promiscuité mal gérées et assumées par les services correspondants des municipalités du coin. Du coup, New Bell à une réputation de quartier non fréquentable. Surtout au cours des heures tardives où le taux des agressions et même des petits larcins assez dérisoires est le plus élevé. L’installation du seul centre pénitentiaire de la ville, la Prison de New Bell (3), dans ces lieux renforce l’impression d’univers carcéral non projeté mais latent en les esprits. Un quartier de braise dans une ville chaude, à juste titre, lieu de tout les brassages, de toutes les misères, de toutes les révoltes, de toutes les contestations politiques, mêmes si les dernières élections (législatives et communales) ont réinstallé dans ses rênes assez paradoxalement, les pions du parti au pouvoir.
Un Cameroun aussi en miniature où se trouvent réunis toutes les tares comme toutes les éventualités de développement d’un pays, d’une Afrique qui a encore du mal à se dégotter des baskets à sa pointure ; un no man’s land rageur où les jeunes se cherchent encore et toujours des repères lorsqu’ils ne sont pas malheureusement tout trouvés dans la fuite en Occident chrétien, démocratique et… florissant ! Et c’est dans ce grand village hors norme, en proie à l’urbanité dévorante des villes africaines qui a été choisi par ces artistes du monde entier pour venir exprimer leur talent !
Les chemins de la confrontation
S’agirait-il ici pour les artistes du Cercle KAPSIKI (4) ayant initié le projet grâce entre autres à l’aide logistique de l’association SCUR &°K, de confrontation ou de rencontre avec les membres et l’urbanité chaotique de ce quartier ? Confrontation par le caractère assez dérangeant de cette transplantation d’un appareillage plastique dans une zone où les préoccupations quotidiennes restent axées sur la satisfaction des besoins les plus primaires, pour essentiels qu’ils soient à la survie de l’espèce humaine. Confrontation aussi pour tous ces artistes occidentaux invités (5) connaissant de meilleures conditions de vie et de travail, jetés face à l’aberration de ce quartier, de cette Afrique qui, malgré le choc de ses images de misère, de dénuement, réunit encore en elle tant de chaleur, de convivialité, de possibilités créatives. Et au bout de la confrontation, du choc des images plastiques d’une réalité souvent désarmante, la rencontre avec un monde, avec des jeunes qui s’interrogent, qui interrogent cette foison de plasticiens dont les propositions plastiques les surprennent dans leur cuisine, leur chambre, leur habillement, leurs déambulations sous l’âpre soleil, tout comme dans cette façon qu’ils ont de raser (sur un fil de rasoir ?) la nuit venue, les murs rugueux de leur environnement. Ces artistes qui les figent sur de la toile, du bois, du papier glacé, du plâtre ou encore des matériaux de récupération arrachés à leur environnement immédiat, dans leurs attitudes de durs des tropiques, dans leurs sittings dans ces bars, ces lieux de plaisirs où continue à luire un vibrant soleil nocturne ; dans leurs rêves souvent si mièvres, si facilement révélés sur la place publique, si facilement aussi foulés au pied de l’indifférence ambiante généralisée.
Des jeunes qui s’interrogent aussi sur la capacité de ces oeuvres d’art finies qui leur renvoient ces images, cette identité d’eux-mêmes à englober, à établir de manière effective leur quotidien.
Aux portes de l’aventure
Mais des jeunes aussi qui conscients des portes ouvertes qui peuvent mener à tout, (eux qui n’ont plus rien à perdre), s’engagent résolument dans cette aventure artistique par une participation sans faille à l’action de ces artistes aguerris. On notera le documentaire réalisé par Anne Chabert et Henri Murphy avec l’aide des jeunes du quartier et portant sur des scènes de leur vie quotidienne. Le travail photographique d’Antoine d’Agata avec l’aide de deux jeunes photographes (parmi lesquels Georges Guemtagne) du quartier. Une série de portraits et de photos d’ambiance pris sur le vif de New Bell. Mais encore l’association de Xavier Fourt et Leonore Bonaccini du Syndicat Potentiel dans un spectacle avec un groupe de jeunes rappeurs (toujours du quartier) Génération Sacrifiée, pour clore le festival ayant sanctionné la résidence d’artistes. Mentionnons aussi, toujours pour souligner le caractère pluridisciplinaire de cette manifestation, la pièce de théâtre Saint Dallas, montée et réalisée par Stéphane Tchonang. Mais aussi, la performance artistique d’Hervé Yamguen du Cercle KAPSIKI dans un duo avec le Studio Kabako (RDC) sur la symbolique du moustiquaire dans un quartier tel que New Bell. Un spectacle axé sur la lecture des poèmes de Yamguen accompagnée d’improvisations chorégraphiques des danseurs du Studio Kabako.
Une manifestation d’envergure, ayant bénéficié d’un succès populaire certain de la part des habitants de New Bell et du tout Douala culturel. Les coûts estimatifs qui nous ont été livrés par Hervé Yamguen auraient été de l’ordre des 20 millions de francs Cfa. (6) Cependant on ne peut s’empêcher après coup, d’être la proie de certaines interrogations portant sur la pérennité, la continuité même de ce genre de prestation dans les murs de notre cité.
Et au bout du compte
Cette expérience d’immersion d’artistes plasticiens au sein de lieux de vie (7) aussi bouillonnants sera-t-elle renouvelée ou ne serait-ce qu’un feu de paille bien vite soufflé par les foudres de l’harmattan omniprésent dans la ville ?  » Nous n’en savons pas plus que vous pour l’heure. C’est notre première aventure dans le domaine. Elle peut-être renouvelée ou ne pas l’être ici ou ailleurs. Nous avons été séduit par le projet. Nous y avons participé pleinement. Maintenant, nous allons nous occuper à assurer le bon retour de tous ces artistes dans leur case de départ. Nous allons tous prendre du repos et puis on verra pour le reste plus tard.  » nous confie Jean Christophe Lanquetin, l’un des membres de SCUR &°K, encore sous le feu de l’action, lors de l’exposition finale dans les locaux de la Galerie Mam. Pour sa part, la réponse de Hervé Yamguen l’un des coordinateurs du Cercle KAPSIKI  » Je suis assez confiant. Nous avons initié ce projet. Il nous revient d’en initier d’autres qui nous permettraient de porter plus loin notre action. L’engouement de la population a été énorme. Cela prouve qu’il y a un réel besoin d’expression et de manifestations artistiques de cette importance. La balle est donc de notre côté. « 

1. Nom de baptême du quartier emprunté au Roi Bell, monarque traditionnel Duala de cette partie de la ville de Douala.
2. Plusieurs associations du quartier New Bell se sont impliquées dans le projet : MAN, RAN, AJN, AJPN, RJN, JAKOTONE, Bog Bess, et ANACAV etc.
3. Le chanteur Camerounais Richard Bona parle de cette prison dans New Bell, l’un des titres tirés de son premier album.
4. Hervé Youmbi – Hervé Yamguen – Blaise Bang – Salifou Lindou – Jules Wokam.
5. Mélanie Lusseault – Mélinée Faubert Chabert – Antoine d’Agata – Alexandre Fruh – François Duconseille – Philippe Niorthe etc., pour les Occidentaux plus trois Congolais, un Egyptien, un Libanais et un Kenyan.
6. Plusieurs mécènes et sponsors que nous ne citerons pas ici, ont apporté leur contribution à la pleine réalisation de cette résidence d’artistes.
7. Les précédents les plus récents sont les deux éditions de Squat’Art déroulées au quartier Bali, en 2001 pour la première et l’autre, en hommage au peintre Kouoh Eyango en 2001 au quartier Deïdo. N’oublions non plus de mentionner l’Atelier exposition monté à la Vallée Bessenguè en 2001.
///Article N° : 2774

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Les images de l'article
Philippe Niorthe, Ombres © Alexandre Fruh
Hussein Beydoun, installation © Alexandre Fruh





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