La quinzaine du livre et de la lecture publique eut finalement lieu a Niamey du 1er au 13 juin 98.
Elle devait initialement se dérouler à la mi-avril. Les invitations étaient lancées, les engagements pris, et le programme entièrement ficelé quand on se rendit compte du fait que l’événement allait coïncider avec les fêtes de Tabasky puis de Pâques. Nouvelle programmation, nouvelles confirmations, nouveaux engagements, et malheureusement quelques désistements : Emmanuel Dongala, Abderhaman Waberi ne peuvent plus être de la partie.
Début juin. C’est la coupe du monde de football qui focalise les attentions, avec à la clé la grève sur Air France qui engorge les avions. Juin, c’est aussi la fin d’une année scolaire fortement perturbée ici. Dans les lycées et à l’université où se trouve l’essentiel du public cible, l’heure aux rattrapages intensifs.
Et pourtant ce furent deux semaines d’animations intenses. Rencontres scolaires, tables-rondes, conférences, ateliers, forums et spectacles littéraires se sont succédés à un rythme inhabituel. Intense. Dans les lycées, à l’université, au musée national, au CCFN et au centre culturel Oumarou Ganda. Tous les jours. Des journées pleines. Le petit monde niaméyen des arts et des lettres, rudement sollicité, est sorti de la morosité où il sombrait doucement.
Les auteurs et les artistes de Niamey se sont rencontrés. Un phénomène qui n’est pas d’une évidence triviale. Pas plus qu’il n’est incongru de le relever. La vie culturelle et artistique est si peu dynamique, les manifestations si rares et les rencontres si exceptionnelles que chaque artiste étouffe dans son oasis : ignorance mutuelle et stérilisante solitude.
Et donc la quinzaine a mis en contact.
Mise en contact des artistes nigériens entre eux d’abord. Ils se sont découverts. Des projets ont germé. L’atelier BD et illustration de livres pour enfants, animé par Baarli Barutti a enfanté d’une association des illustrateurs et BDtistes du Niger. Mise à nu de la conscience de manquer d’informations sur l’actualité culturelle dans le monde, des grands courants mondiaux. Dans tous les domaines de la création : littérature, peinture, théâtre ; car la quinzaine ne fut pas que littéraire. » C’est la première fois que je rencontre un éditeur « , » Jamais auparavant, je n’ai eu la chance de me faire lire par un écrivain « . Autant de réactions qui témoignent d’une solitude desséchante, d’une soif aiguë d’échanges.
La quinzaine a aussi été l’occasion d’une ouverture sur la littérature africaine contemporaine, avec la participation de la poétesse ivoirienne Tanella Boni et du romancier sénégalais Boubacar Boris Diop. Ils ont animés de stimulantes rencontres en milieu scolaire et universitaire. Ils se sont confessés sur leur entrée en littérature, leurs thèmes de prédilection, leur conception de l’art, leur regard sur la marche tortueuse du monde en cette fin de siècle. Questions classiques ? Peut-être bien. Mais toujours des interrogations passionnées d’une jeunesse nigérienne inquiète de savoir si l’Afrique ne peut pas se faire moins mal. Et puis, toujours, surgissant de façon impromptue : » Connaissez-vous la littérature nigérienne ? »
Tous les jeunes lycéens et étudiants de Niamey posent cette question. Obsessionnelle. Et la réponse tombe en général comme une condamnation. Réponse négative. Réponse attendue. Et qui n’est nullement le signe d’une absence de curiosité ou d’intérêt. Simple constatation d’une situation trop connue. La littérature nigérienne existe certes mais elle est peu connue, mal diffusée, en mal de reconnaissance, et presque toujours en décalage par rapport aux grandes modes littéraires qui traversent le continent. Et l’on sent chez tous comme l’angoisse d’être absents au monde, le désir frustré de ne pas se sentir en phase.
J’ai vu à l’université de Niamey deux cents étudiants assister à une conférence animée par Emile Lansman sur la réception du théâtre africain dans le monde francophone. Deux cents visages ahuris et de plus en plus angoissés de s’entendre dire qu’aujourd’hui les représentants vivants et pleins d’avenir de la dramaturgie africaine dans l’espace francophone se nomment Koulsy Lamko, Kossi Efoui, M’Hamed Benguettaf, Koffi Kwahulé…autant d’inconnus qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de découvrir ni en spectacle ni en lecture. Eux, ils avaient entendu parler du théâtre de Sony Labou Tansi, ils connaissaient du bout des doigts les tragédies de Césaire, les comédies de Dadié et les drames historiques de Cheikh N’Dao. Tous les classiques répertoriés, étiquetés et parfaitement intégrés au discours universitaire qui, on le sait, n’intègre la nouveauté qu’au prix de mille précautions.
Fort heureusement, la quinzaine a aussi mis le public de Niamey en contact avec les textes contemporains. La littérature s’est faite spectacle à l’occasion des séances de lecture à voix haute. Une dizaine de comédiens venus des différentes compagnies de Niamey ont prêté leurs voix et leurs corps à des auteurs nigériens, français, belges, canadiens, congolais et ivoiriens. Ballades dans le jardin du théâtre et de la littérature francophone, orchestrée par Emile Lansman. Des moments de grandes émotions qu’on aimerait souvent voir produire l’art au sein du public.
La quinzaine aurait certainement manqué son but si elle n’avait suscité, dans le milieu littéraire et dans la presse un questionnement sur soi-même. Le débat est né de l’absence remarquée de l’association des écrivains nigériens (AEN). Jusqu’à une date récente encore, elle organisait « le Mois du Livre », avec le soutien de l’ACCT et la Mission française de coopération. Mais, gangrenée par des décennies de mauvaise gestion et minée par des dissensions internes, l’AEN est discréditée et moribonde.
Il n’empêche que la question de fond demeure : l’Etat et les associations du Niger sont-elles en mesure de générer une dynamique endogène, les artistes de s’organiser pour initier des actions sans être à la remorque du CCFN – le franco, comme on dit par ici ? Cette question a été formulée sur tous les tons : de la nostalgie de l’époque faste des vaches grasses aux imprécations indignées contre l’anti-impérialisme culturel français, de la dénonciation du désengagement de l’Etat aux récriminations contre les hommes de culture nigériens. Le débat est loin d’être clos. Et il me semble que le véritable succès de cette quinzaine du livre et de la lecture publique fut d’avoir titillé l’orgueil national, d’avoir amené maints créateurs nigériens à se demander : mais au fait qu’est-ce qu’on fait par nous-mêmes ?
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