Le génocide des Tutsis du Rwanda, planifié méthodiquement par le régime autoritaire de Juvénal Habyarimana, a fait près d’un million de victimes, dont des milliers de Hutus modérés, entre avril et juin 1994. L’ampleur de ce crime contre l’humanité est telle qu’aucune explication sociologique, historique ou politique n’est entièrement satisfaisante. Si la responsabilité des extrémistes hutus de l’ancien régime est désormais établie, on sait aussi le prix de la lâcheté des chancelleries occidentales ou, pire encore, celle de l’inertie des forces d’interposition de la Minuar présentes sur le terrain.
Philip Gourevitch, journaliste américain, a couvert pour le compte du New Yorker, « le plus évident cas de génocide depuis la guerre de Hitler contre les Juifs« . Six voyages, soit un total de neuf mois de séjour au Rwanda, ce qui n’est pas rien au regard du journalisme ambiant, ont donné une profondeur indéniable à cet ouvrage (1) qui allie récits des survivants et investigation journalistique. En tissant la parole des hommes et des femmes, humbles ou illustres à l’instar du Vice-président Paul Kagamé, qui ont su résister à la folie meurtrière, en contrepoint aux propos d’un certain nombre de génocidaires rencontrés dans les camps des réfugiés à l’est du Zaïre, Philip Gourevitch nous offre un livre de témoignage déchirant mais instructif. Le titre qui donne froid dans le dos est extrait d’une lettre, envoyée par sept prêtres tutsis aux abois, au tout début du génocide d’avril 1994, à leur supérieur hiérarchique, un Hutu à la tête de l’Eglise adventiste.
On ne sort pas indemne de ce livre. Et la conscience des lecteurs est marquée à jamais par le courage de quelques-uns comme ce Paul Rusasabagina, un gérant hutu de « L’hôtel des Mille Collines », qui a pu sauver des milliers de gens avec les moyens du bord : un fax et un bar rempli de bouteilles pour amadouer les officiers. Enfin, par le nombre et la qualité de ses témoins, ce livre restitue une part de la vérité du génocide. Cette vérité qui est le prélude à la justice et la réconciliation.
Note : Il a suscité beaucoup de commentaires à sa parution aux Etats-Unis, notamment la « une » du New York Times of Books, intitulée « Rwanda : The Final Solution« , avec une note de lecture de Wole Soyinka, le 4.10.98. Il a, entre autres distinctions, été choisi comme le meilleur essai de l’année 1998 par le magazine intellectuel et alternatif américain, Village Voice. Bizarrement, le titre n’a pas suscité beaucoup d’échos en France comme on était en droit de l’espérer parce que c’est d’abord un excellent livre de témoignages. Le meilleur que j’ai lu sur ce génocide.Nous avons le plaisir de vous informer que demain, nous serons tués avec notre famille : chroniques rwandaises, Philip Gourevitch, Denoël, 1999, 354 pages. ///Article N° : 1243