L’Égypte continue a passionner les éditeurs français et par conséquent le public français. Ces dernières semaines de très nombreux ouvrages sont venus enrichir les devantures des libraires. D’abord, il y a ce magnifique reportage du géographe gréco-romain Strabon qui avait effectué la traversée du pays des Pharaons en 26 avant J.C. Commentée par Jean Yoyotte et Pierre Charvet, deux spécialistes des mondes égyptien et grec, la monographie détaillée réalisée par Strabon est un classique de l’égyptologie. Par rapport à Herodote et à Diodore qui l’avaient précédé dans la démarche, Strabon est vite apparu comme un géographe moderne dont le propos » à la fois théorique et pragmatique, culturel et politique, est de livrer une somme universelle aux philosophes désireux de savoir et de penser le monde en ses permanences « . Toutefois, précise Jean Yoyotte, le voyageur gréco-romain a inévitablement » jeté sur l’Égypte le regard de Rome et n’avait cure de s’interroger sur le regard que l’Égyptien portait sur Rome et sur le cosmos… » Il n’en a pas moins laissé aux historiens actuels des données authentiques et rares sur l’état de l’Égypte, telle qu’elle était en elle-même aux premiers jours de la Kratèsis. (Starbon : Le voyage en Égypte, Éditions du Nil, 1998, 312 p., 169 F).
L’Algérie continue elle aussi à susciter l’intérêt des éditeurs, d’autant qu’une nouvelle génération d’écrivains, de journalistes ou d’essayistes est en train de prendre possession de la réflexion sur l’histoire immédiate. Il faut dire que beaucoup de textes sont le fruit de l’urgence, ce qui n’exclut pas pour autant la qualité. A l’image des chroniques sulfureuses que le journaliste Yacine B (pseudonyme) publiait quotidiennement dans le journal algérien El Watan et que Jean-Claude Lattès a eu l’intelligence de réunir dans un ouvrage intitulé » Comme il a dit lui » (en fait le titre même de la chronique journalistique). Les textes au vitriol, panachés d’un humour souvent exquis, dénoncent tout à la fois les excès du mouvement intégriste et ceux du pouvoir politique. Un recueil bourré d’intelligence et de perspicacité qui est en soi une preuve éclatante de la vitalité de la société algérienne (Comme il a dit lui, de Yacine B., Ed. J. C. Lattès, 1998, 192 pp., 99 F).
Urgence aussi chez Amin Zaoui qui nous livre avec Le Sommeil du mimosa suivi de Sonates des loups deux nouvelles quasi autobiographiques sur l’exil forcé d’un intellectuel algérien. Menacé par la horde fasciste, il se voit poussé par sa mère à quitter le pays. Ce pays où » les mères ont toujours raison, même un peu plus que la terre, cette terre qui nous a vu naître et grandir… » Des textes où suintent, entre la douleur, la mort et le deuil, une tendre poésie et un désir de vie exceptionnellement puissant. Amin Zaoui, originaire de Tlemcen, ancien directeur du théâtre de la ville d’Oran et animateur d’une émission de télévision appréciée, est installée depuis 1995 à Caen (Sommeil du mimosa, de Amin Zaoui, Ed. Le Serpent à Plumes, 1998, 155 pp., 109 F).
L’Algérie, ce n’est pas seulement la violence et le bruit. C’est aussi un patrimoine et une histoire. François Pouillon en dévoile un petit coin avec cette biographie très fouillée consacrée au peintre orientaliste, Étienne Dinet (1869-1929). Né à Paris d’un père qui était président de la Chambre des avoués de première instance, élève de Gallant, Bouguereau et Tony-Robert Fleury, il découvrit l’Algérie en 1883 lors d’un voyage à caractère touristique. Il est alors fasciné par la lumière d’un pays où il fera de longs séjours jusqu’en 1905, date à laquelle il décide de s’installer définitivement à Bou Saâda, dans le Sud. Dans cette ville magique, Dinet s’attela à produire des oeuvres qui décrivaient la vie de tous les jours avec une incontestable sincérité et un réel amour. Son implication sociale et culturelle est telle, qu’il finit par se convertir à l’Islam en 1913.
Mais le travail de Pouillon ne se limite pas à évoquer les grandes lignes de la vie du peintre, il s’intéresse également aux deux facettes historiques de Dinet, un personnage » inscrit dans deux moments de l’Algérie, l’un et l’autre fortement marqués d’idéologie : le Dinet de l’année du centenaire de la colonie, puis celui de l’ère Boumedienne. » (Les deux vies d’Étienne Dinet, peintre en Islam, de François Pouillon, Ed. Balland (Le Nadir), 1998, 312 pp., 169 F).
Le Deuil des chiens, de Abdelhak Serhane, une fable grinçante et douloureuse, nous emmène au coeur de la condition faite aux femmes dans le royaume du Maroc. Quatre jeunes filles se trouvent livrées à elles-mêmes dans une société machiste, parce qu’un jour leur père leur a préféré une seconde épouse jeune et autoritaire. Les filles décident de tenter de faire leur vie chacune de son côté, mais elles partent le coeur en lambeaux et la tête pleine d’idées revanchardes contre ce père indigne. Dix ans plus tard, elles reviennent à la maison familiale, juste pour apprendre la mort de celui qui les avait chassées sans scrupules. La veillée du défunt est l’occasion pour elles d’égrener la liste des malheurs endurés pendant la descente aux enfers. Les filles prennent ainsi leur revanche en ne laissant pas leur père partir l’âme en paix et l’auteur en profite pour faire la description d’une société d’abus et de grandes injustices.. Dans Serhane, il y a incontestablement du Boudjedra et du Driss Chraïbi. (Le Deuil des chiens, de A. Serhane, Ed. Le seuil, 1998, 267 pp., 89 F)<
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