Nouvelle création et Edition

Entretien de Landry-Wilfrid Miampika avec Pierre Astier, directeur du Serpent à Plumes

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Fondée depuis près de cinq ans, Le Serpent à plumes porte le sceau de trois exigences concentrées dans de beaux petits livres : nouveauté, sélectivité et variété. Les auteurs originaires d’Afrique, de l’Océan indien et des Antilles sont au coeur de l’action éditoriale. Ainsi la maison a-t-elle fait connaître Emile Ollivier, Gisèle Pineau, Louis-Philippe Dalembert, Abdourahman A. Waberi, Jean-Luc Raharimanana, Carl de Souza, Monique Agénor… En ce début d’année, elle enrichit sa bibliothèque africaine avec de nouveaux titres : Les petits garçons naissent aussi des étoiles du Congolais Emmanuel Dongala, Dons du Somalien Nuruddin Farah, Notre pain de chaque nuit du Béninois Florent Couao-Zotti, Ma mercedes est plus grosse que la tienne du Nigérian Nkem Nwankwo, Le jujubier du patriarche de la Sénégalaise Aminata Sow Fall. Pierre Astier, directeur du Serpent à plumes, a bien voulu nous expliquer l’intérêt de sa maison d’édition pour les nouvelles écritures africaines.

Le Serpent à Plumes s’est affirmée comme l’une des rares maisons d’édition françaises à suivre de près la création des jeunes auteurs africains. Pourquoi ?
Parce que la littérature de langue française d’aujourd’hui, en particulier la littérature française, ne peut pas s’envisager sans les littératures francophones. On ne peut pas comprendre la littérature française actuelle si on ne comprend pas bien toutes les littératures, toute la littérature francophone produite par les auteurs qui vivent, travaillent et écrivent dans les Caraïbes, l’Océan Indien, en Afrique Noire, en Afrique du Nord, au Canada, en Suisse et en Belgique… A mon avis, la littérature française aujourd’hui doit inclure toutes ces composantes y compris les plus éloignées.
Que peuvent apporter les nouvelles écritures africaines à la littérature et au lecteur francophones ?
D’abord, la vitalité de leur texte, leur imagination et aussi un style propre. Elles apportent ensuite une autre sensibilité, une autre manière de voir… Je pense que l’homme actuel évolue dans un monde où les échanges sont de plus en plus nourris : il ne peut le comprendre s’il n’est pas ouvert aux autres cultures. Nous avons la chance d’être des francophones, ce qui nous permet de comprendre et de lire les écrivains africains, nord-africains… Il faut en profiter ! C’est une grande richesse que de pouvoir lire des écrivains en français. Les écrivains comme Raharimanana, Waberi, Carl de Souza, nous apportent une culture qui peut nous aider à nous comprendre nous-mêmes. Aider à comprendre les autres cultures par la littérature me semble formidable.
Le Serpent à plumes semble avoir une sensibilité voire une obsession pour les jeunes écrivains africains ?
Le Serpent à plumes se propose de trouver un équilibre dans la présentation des littératures de langue française contemporaine entre ce qui se fait dans l’Océan indien, dans les Caraïbes et en Afrique. J’ai l’obsession de cet équilibre. On a une obsession tout aussi grande de trouver dans la littérature française de jeunes créateurs qui expriment le meilleur de ce que la France peut donner, par exemple Olivier Saison ou Eric Faye. Couvrir la totalité de l’espace francophone est un superbe enjeu. Je ne comprends pas que d’autres éditeurs français ne soient pas aussi titillés ni intéressés par cet enjeu. A la fin du XXème siècle, cet enjeu est fabuleux pour la France. Il y a aussi un marché, ne l’oublions pas !
D’autres éditeurs français manifestent une certaine réticence à l’égard des littératures d’Afrique Noire. Quelle en est selon vous la raison ?
La réticence de la part des éditeurs français est historique : elle est liée à un certain conservatisme qui est encore très présent. C’est l’histoire, c’est l’histoire de la France, une histoire compliquée où la colonisation est à la fois une grande histoire et une histoire tragique, une histoire de souffrance et de douleur. En Allemagne, par exemple, les éditeurs n’ont pas de complexes… Leur relation avec les écrivains africains est plus vierge. Ce qui est inquiétant en France, concernant les grands prix littéraires, c’est qu’il y a très peu de place pour la littérature francophone. Dans les journaux, une place très infime est consacrée aux chroniques et commentaires de la littérature africaine. Et dans les librairies, les livres africains se retrouvent dans les rayons les plus reculés. Je suis pour un brassage des littératures de langue française comme c’est déjà le cas pour les littératures de langue anglaise dans le monde anglophone… La littérature africaine de langue française a de grands auteurs comme Kourouma, Tchicaya U’Tam’si, Sony Labou Tansi ; demain, elle produira des grandes oeuvres.
En tant qu’éditeur, quel conseil donneriez-vous aux jeunes africains qui veulent publier ?
Je pense qu’à l’intérieur de l’Afrique, il faut qu’il y ait une plus grande communication, plus d’échanges. Il paraît que la foire de Harare est un lieu formidable pour les échanges. Je crois que les auteurs africains doivent avant tout se lire entre eux. C’est là qu’il y a un ressourcement et une circulation d’idées. Il faut que les auteurs africains n’hésitent pas à proposer leurs textes à des éditeurs autres que Gallimard, Grasset ou Le Seuil. Et puis les jeunes écrivains africains doivent apprendre à laisser reposer le texte, afin de prendre un peu de recul et le retravailler.

///Article N° : 284

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