Quelles sont les relations qu’entretiennent l’Hexagone et les Outre-Mer ? Cette question a été le fil conducteur de ce numéro. Pour tenter d’y répondre, nous avons choisi de mettre en avant la sensibilité de témoins de l’histoire, d’écrivains, de réalisateurs ou encore d’universitaires. Et force est de constater que cette relation souffre toujours d’un rapport de domination, signe du présent postcolonial de la France. Rapport complexe : car, bien qu’issus de la même Histoire, les Outre-Mer sont des espaces géographiques distincts et des sociétés différentes.
Notre dossier s’ouvre sur Mayotte qui « souffre (
) de ne pas être reconnue par la lointaine Métropole, alors même qu’elle ne veut plus se reconnaître dans ses îles surs (Anjouan, Grande Comore, Mohéli) « , nous dit Dénètem Touam Bona, professeur de philosophie. « La source première du mal-être à Mayotte réside ainsi dans le refoulement croissant de sa comorianité. »
Dans un entretien au confluent de l’intime et du politique, la poétesse Stéphanie Melyon-Reinette a interrogé son père (ancien fonctionnaire) et son oncle (indépendantiste) sur leur lien à leur terre natale, la Guadeloupe et aussi à la métropole. Les deux hommes relisent Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon (1) à l’aune de leur histoire personnelle : « l’expérience de la métropole a été pour moi fanonienne, si l’on considère l’attitude et les propos des Français à notre égard. Pour eux, nous venions des colonies, même si la Guadeloupe était en principe un département français depuis 1946 « , nous explique Luc Reinette, l’oncle.
L’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau se considère, aussi, comme un « administré français « . Son portrait nous apprend que c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a refusé la Légion d’honneur. Fidèle à son mentor Édouard Glissant, Chamoiseau offre une narration pour résister, formuler une identité indépendante afin d’éviter d’être décrit, raconté et imaginé uniquement par l’Autre. Dans son dernier roman, La Matière de l’absence (Seuil, 2016), le Goncourt 1992 ravive la pensée du « Tout-Monde » et redonne des couleurs au concept de créolisation.
Le Gang des Antillais, film du réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny, nous donne à voir, à travers un thriller sur une bande de braqueurs, l’injustice sociale que subissent des milliers d’Antillais piégés par le Bumidom. Dans les années 1970, cette émigration organisée par l’État a arraché des milliers d’Ultramarins à leur terre pour combler le manque de main-d’oeuvre de la métropole. Une mémoire restée longtemps silencieuse et que l’on redécouvre à peine.
Et ils sont nombreux, les guerriers de l’imaginaire à travailler d’arrache-pied pour que des pans entiers de notre histoire échappent à l’amnésie, à déconstruire ces stéréotypes, encore aujourd’hui la source de discriminations. Des initiatives comme le prix Fetkann ou encore Cinemawon en témoignent. Dépasser notre présent postcolonial exige un effort intellectuel, une remise en question de soi, parfois inconfortable, mais l’apaisement de notre société en dépend.
1. Essai paru aux éditions du Seuil en 1952. Dans ce livre, Frantz Fanon décrit le racisme de la société coloniale de l’époque.///Article N° : 13828