Les poèmes qui forment cette anthologie (entendue dans son sens sélectif et élitiste de fleurs) sont des mouototi (pluriel de hiototi, étoile), la nouvelle cuvée de lumière de l’écriture poétique au Cameroun. Ce n’est ni une écriture du dérèglement raisonné de tous les sens (Arthur Rimbaud), encore moins un pur enlisement dans l’abstraction et dans l’effacement du sujet lyrique que la poésie contemporaine à détermination hexagonale s’échine à imaginer. Se ramassant partout où elle a été jetée, et donc se faisant des habits neufs (la vieille négritude s’est vraiment cadavérisée), la parole, plus que la simple voix, plus que l’innocente inflexion, se fait dans cet ensemble de textes, lieu, temps, homme et nature tout à la fois. C’est une vaste et mouvante parole frappée, pourrait-on dire, d’un surcroît de ce désir et de cet impératif de communiquer, de séduire et parfois d’offusquer, qui a toujours fait de l’Afrique une terre non pas du silence ou de jubilation verbale solitaire, mais une sorte de palabre où le mot ne prend sens que s’il est médiation, pont, sel, piment, et en même temps, élégance, rupture et férocité. Quand le Mont-Cameroun le mongo-ma-loba des anciens ou le Char-des-dieux des aventureux carthaginois – prend feu et jette partout ses fleuves incandescents, nous ne laissons pas les vulcanologues venir seuls nous bombarder leur majestueuse érudition. Nous savons qu’il y a là, quoiqu’on pense, un texte que le cosmos nous délivre et dont la nature, l’urgence et le sens doivent être décryptés avant que nos curs et nos têtes ainsi confrontés aux feux mystiques ne retrouvent leur apaisement d’avant l’invasion sulfureuse. Dans notre inconscient collectif, un orateur qui se sert des mots juste pour leur absolue beauté, pour leur scintillement prosodique, n’existe pas ; le jour où il existera, il est à craindre qu’il ne soit lapidé. Nos poèmes sont des mouototi, ils ne peuvent par conséquent pas laisser l’obscurité prendre toute la place et ne pas s’allumer, ils ne peuvent se défaire de cette fonction de guide que la tradition judéo-chrétienne nous enseigne à travers l’histoire des trois mages ; ils sont voie lactée, lumineuse religiosité, résistance à l’opacité, refus de laisser le monde sombrer dans l’absolu des ténèbres ou dans l’insane narcissisme contemporain. Le vagin d’une femme ne se cache pas le jour de l’accouchement(1), dit le proverbe. Le temps est vraiment venu de livrer la parole excédée de la génération ronde et de tout ce qui et ce qui gravitent autour, une génération de poètes sevrés d’Etat et pétris dans le moule de leur propre cohésion et résolue de s’infinir dans la mystique de l’écriture. Tous ces poèmes forment un transtexte dont le corps s’organise en une cohérence inversée, le déhanchement y produisant autre chose que le mal, et le bien courant, vulgaire, prosaïque n’y trouvant point place de cité.
J’ai attendu encore les pieds dans la lagune,
Du crépuscule à l’aube, en regardant la plage.
Comme depuis deux lunes, guettant ton accostage.
Non tu ne viendras plus. Oui notre amour prend l’eau.
Ton désir s’évapore, se transvase sur mon corps.
Les nuages s’accumulent en tourmente sur mon âme.
Ton cur se dessèche, se durcit et se glace.
J’ai le mien qui déborde d’un incroyable amour.
Cet attrait qui m’inonde, ce torrent qui m’emporte,
Je m’en lave les mains.
Englouti par la mer, qui maîtrise son destin ?
Quand tu m’as attiré, dans la nasse piégée,
Par ta voix enchantée, moi, le petit pécheur,
Usant de ma candeur, de mon adolescence
Et puis mon ignorance, surtout de ma
Vigueur,
J’ai cru avoir trouvé mon îlot de puissance.
Ma fontaine d’amour, ma source de volupté.
Pour toi, j’ai tout perdu du côté des humains.
Car pour nous, fréquenter les êtres aquatiques,
C’est être diabolique.
Après, comme un ruisseau, tu contournes ta route.
Et pire, changeant de lit, tu dissipes mes rêves.
Et quand tu me repousses, que mes idées s’embrument,
Je cherche au fond d’un verre la toute dernière goutte,
Que je t’ai fait verser,
Pour tenter d’étancher mon penchant et ma soif.
Ce grand flot de bonheur, je peux le pardonner.
Je te concède tout.
Pour mieux recommencer,
A la prochaine marrée
.
A.Elom, Le Sentier des oracles et écrits, inédit.
Si un jour tu arrives à Angongué
N’oublie pas d’aller à Kouboukoubou
Tu y trouveras un palétuvier
Dont les jambes d’échassier
Baignent dans l’eau de la rivière
J’étais si heureux à l’ombre du feuillage
De ce palétuvier aux longues jambes
Avant l’allégeance à l’engeance bruyante
Loin très loin d’Abog Mbanga
Tu trouveras dans la boue compacte
Ma folle enfance forestière
Et tous les garçons de mon canton
Qui chantent les chants d’Angono Obam Ndong
Si un jour tu arrives à Angongué
Songe à aller voir Otonsi
Songe aussi à Otombozo
Je lui ai élidé une voyelle
Pour simplifier la phonation
Et faciliter ton chemin
Qui passe parfois à Ongalan
Carrefour lumineux où le soleil
Obéit à ma spiritualité pahouine
Si un jour tu arrives à Angongué
N’oublie pas d’aller à Essimi
Et à Koumou qui cascade dans mon cur
Comme Akame Ndongo dans son lit de béton
Anne Cillon Perri, Sur les rues de ma mémoire, Yaoundé, Proximité & Interlignes, 2004
Quand résonneront à nouveau nos râles mêlés
Rythmant les élans de nos corps soudés ?
Quand soufflera l’ouragan du plaisir
Et le ressentiment de son rugissement ?
Quand reviendra la saison
De la moisson des passions
Survivrai-je longtemps à ces privations
En l’absence de sa présence ?
Je me souviens
De la saveur de ses baisers
De la chaleur de sa sève
Arrosant mon orchidée noire
Je me souviens
De ses mains tremblantes
Plongeant dans l’écume
Du magma de ma jouissance
Je me souviens
Et le flot hémorragique de l’amour
S’écoule en cascades de souffrance
De mes veines explosées de douleur
Je me souviens
Et un frémissement
M’envahit fiévreusement
Doux jaillissement avec toi
Mourir ! je voudrais mourir
Et plonger dans le doux délire
Pour goûter aux délices de l’enfer
O mon beau Lucifer.
Virginie Stella Engama, Les délices de l’enfer, Yaoundé, Editions Fusée, 2004
L’instant n’est plus où, sans cesse abandonnés
A la trace sèche du néant fatidique
Roucoulaient nos vers virils aux portes closes
Ouvertement poreuses aux ombres anonymes
Nous sommes des jeunes paroliers de l’aurore
De nos plumes d’allègres amertumes coule
Et roule et sourd l’ignoble et noble tambour
Des secondes mortes à découvrir, à secourir à demourir
Et nos vocables d’ombre aux voyelles d’ombre
Sont des basalmes rares sur la pâle vertébrale du temps
Pauvres poètes nuitamment enrichis par le pain nu de la nuit
O Ronde bourrée de poètes, parvis d’ambroisie où dînent en sourdine les dieux
Eveillant d’esprit saint les rhapsodes rondins du silence
Tous nous saignons aux lisières du rêve, semant l’or dans l’orage des tempêtes
Et nos verves vermeilles, frères, nos verbes violents sont des germes de sperme
Solidairement soufflés sous les vulves noires de la vie
Guy Merlin Nana Tadoun, (auteur de Poésie du poème, agbetsi Yaoundé, 2002), inédit
La croupe au vent
La fissure ouverte.
Elle s’en va en guerre
Cahin caha,
Brader son corps,
Pour manger,
Pour se manger,
Pour manger ses chairs usées par
Trop de caresses brutales.
Trop de viols.
Elle va casser les prix
Car les chairs flasques et fatiguées
Coûtent peu de chose
C’est la loi du marché !
La croupe au vent
La fissure ouverte.
Le corps usé
par trop d’amour-haine
Un corps brûlé par trop de feu
Un corps vidé de son jus
Un corps livré à cur perdu
Un corps dans des corps à corps perdus
Un corps mangé par la misère
Un corps dégoûtant jusqu’à la nausée
C’est la loi du marché
Angeline Solange Bonono, Soif azur, Yaoundé, Editions de la Ronde, 2003
Voici ma lettre, ma dernière confession de timidité. Je n’ai pu te parler, prononcer devant ton regard serein, ces mots qui vont changer mon destin en liberté. Tu me connais par cur, chère amie. Emu, je bégaye à l’excès. Or rien ne m’émeut autant que de te dire enfin que je te quitte.
Je te quitte. Façon abrupte de parler, je le reconnais. C’est délibéré. Ces mots nus affichent mon refus de toute équivoque. C’est toi qui m’as enseigné la précision verbale. Je te quitte donc. Tu as dévoré douze années de ma vie. Ce que j’appelais poétiquement ton calme de déesse, le temps passant, s’est montré pour ce qu’il est: de l’insensibilité. Tu glisses entre les meubles de la salle de séjour sans rien heurter. Sur les bibelots toujours à la même place, pas un grain de poussière. Tout brille d’une redoutable propreté. Dans ta cuisine, jamais un plat ne t’échappe, aucun verre ne s’est jamais brisé. Tout est religieusement ordonné dans une fixité de paysage lunaire. Dans la chambre à coucher, le même funeste éclat, avec ces draps empesés et invariablement blancs. Mes vêtements semblent s’ennuyer dans ces placards trop désinfectés, trop bien rangés. Je t’écris d’une chambre d’hôtel aux décors riants, et, d’ici, je revois horrifié ces photographies insipides que tu as accrochées sur les murs de notre chambre. Hélène, je te reproche ta perfection. A force d’étouffer le volume, tu m’as ôté le goût du jazz, cette divine musique que j’adorais avant toi. Tu as refroidi mes ardeurs, congelé mes envies, bâillonné tous mes élans de fantaisie. Douze années durant, j’ai vécu la même journée: réveil à la même heure, toi à côté de moi et en même temps désespérément loin de moi, toi vêtue de ton inusable silence. Le même petit déjeuner avec ces mêmes maudits oeufs, le café avec son goût monotone, le pain acheté chez le même boulanger. A mon départ pour le bureau, tu me charges avec les mêmes mots, des mêmes commissions. Tu veux savoir ? Parfois il m’est monté au nez non pas de la moutarde mais l’envie de t’étrangler, oui, de prendre ton cou insolemment beau dans la tenaille de mes bras, comme cela, juste pour que advienne un accident, un imprévu dans ma vie. A mon retour, tu es là, sur le même fauteuil en rotin, feuilletant des livres, tous parlant de cette fichue broderie dont tu t’es entichée. Je m’assois, avale sans trop savoir pourquoi des aliments difficiles à identifier, tellement ils ont la même saveur. Ensuite, je fais semblant de lire les journaux que tu as achetés ou de me passionner pour l’émission télévisée que tu as choisie. Nous parlons de ce que tu veux jusqu’au moment où je t’entends décréter : « on va dormir ». Ensuite, il y a tes caresses glacées, tes baisers sans conviction (…)
André
Tout doux et d’un coup
Fringant et fragile
Je me suis senti glissé
Dans la fente de ta blessure intime
Confident de tes parois humides
En un rien coup de rein
Jusqu’au fin fond de toi
Le sentiment heureux a gémi
Comme tout le coeur que j’y ai mis
Ravi de l’assentiment de ton corps complice
J’en suis sorti
Ebahi par le frisson sublime
De l’instant ultime
Mal Njam, Orchestration verbale pour un hymne à la vie, inédit .
Entre l’Aventure et l’Ordre
Nous optâmes pour l’aventure
Qui nous rivait comme une névrose
A notre sombre époque
Nous optâmes
Pour le vague et le brumeux
Pour les graffitis et les gribouillis
Car l’Ordre s’embusquait partout
Pour ourdir contre nous
Des bâillons et des bagnes
Il fallait être illisible
Etre raturé de part en part
Pour échapper à la lecture
sanguinaire des sbires
Il fallait être d’intelligence
avec le vent et l’écume
Pour brouiller les trappes en grappes
sur les routes
Certains jours
Nous lâchions par avalanche contre l’Ordre
L’Aventure arquée par millier
Dans nos curs nos pouls et nos poèmes
Comme des doigts sur des gâchettes
Pour déjouer notre terre encanaillée
Dans l’Ordre aventurier
Nous chaussions notre complexion d’ubiquité
Et nous nous embusquions sereins
en nous-mêmes
Ainsi nous prenions souvent
En flagrant délit de vandalisme et de sang
L’Ordre fagoté sur le peuple
Comme un abcès purulent
Ainsi s’épuisa
Le temps qui sur la terre
Nous fut imparti
Je veux de cette boule diaphane, cette boule de neige, un visage de grâce, un visage couleur d’Egypte.
De cette haleine apprivoisée trempée de grands joncs d’hydrocarbure et recoupés à fort arguments nucléaires, une brise matinale empreinte de parole de salut maritime et de chansons naïves des moineaux. Car les bardes malhabiles ont trahi le pacte d’éternité scellé entre le verbe et le principe, entre l’éclat des mots et la vague mentale. Car les bardes malhabiles ont trahi le pacte d’éternité, calomniant les divinités dans les sarabandes de l’or et les sagas des renommées. La clarté matinale vient d’occire mes doigts indigents, par moments, saisis dans les griffes des interdictions, mes doigts parfois confinés entre l’enfer et l’Eden. Sur le chemin de Damas, mes tentacules de pieuvre à la diligence de caméléon, mais drapées dans la prudence d’araignée, ensablé dans la prévenance de la tortue. Que de papyrus ouverts, reprenant les plumes brisées, résonnant les plumes brisées, résonnant l’écho d’une crête arrachée, Que de parchemins promenés hurlant à cor les plumes desséchées à force de feux et à cris des capuchons rompus, Minant le dernier soupir d’un sang s’en allant, les cordons sonores rompus entre la main et son revers.
Nous avons nos jazz et nous les sifflons sur les routes anthropophages et giboyeuses du Congo et du moyen Congo, nos jazz chantés à la lisière des slows et des spirituals glanés sur des chemins du midi.
Nous avons nos jazz dont nous battons le rappel à force blues et au cur de ces prodiges de churs triturés , raturés et configurés dans des carcans idéologiques, repris dans des ruelles fades. Et les marrons sous la terre et sous l’or répondant en chur et les cafards séniles dans le camp de Boïro vrillent leurs ailes dans le silence, rechapant du néant les anciens marrons sous l’orgue et sous l’ombre et les cafards géants aux ailes dures. Ils battent le rappel des chants liturgiques scandés en silence dans les Intrehawés pour le ménage entre Hutu et Tutsi, relisant les maximes célèbres jadis gravées sur les frontons audacieux des temples. Ils battent le rappel des révisions: la géométrie des architectures séculaires et pluriséculaires, la rondeur de la joue des statues et l’étroitesse de leur frontal et la rectitude de leur phallus. Le rappel de l’ambiance et du multiplex, le rappel des messages abrégés dans les signes inaudibles, le rappel de la ronde des vers et des versets. Car nous avons nos jazz et nous les sifflons à tous les sons et à toutes les longueurs agréées par les olifants et les trombones, et nous les sifflons dans toute la magnificence de leur puissance contenue dans leur éclat d’or et leurs rayures diamantées.
Redis-moi ô statuette muette ton poème ardent reposé dans ton cur d’abreuvoir. Redis-moi la tourmente de mon cur, la tornade roulant de tours en tours et de branches en branches. Redis-moi ton poème qu’il réchauffe mon cur comme un vieillard soufflant sur les braises endormies. Ce temps de rêve régentant ma promenade du soir sur la montagne. Redis-moi ton poème mordant l’humus mordant ma chair, ton poème visuel enneigeant mon cur pour le fondre comme la piste du ski aux premières lueurs du Maître d’Orient, ton poème cardon rose étreignant mon cur à chaud. Redis-moi ô statuette muette et promet moi murmures et chants d’hommes vivants.
Je t’offre ce bouquet de mots
O toi pauvrette
Qui déposes ton canari d’eau impotable
Dans le sourire de ta douzaine de mômes
Qui t’embrassent de partout.
Je t’offre ce bouquet de mots
O toi
Boutoukou
Qui déverse dans le silence
La ruse qui t’a dépouillé de ton or
Et qui hurle de joie dans une pièce cinq étoile.
Je t’offre ce bouquet de mots
O toi
Qui me fait honte d’être abondant
Et qui
Me tend un regard plein de demandes.
Marcel Kemadjou Njanke
Poto-poto blues, l’Harmattan, 2003
Hier encore
Tu m’étais sans corps ni cur
Vaporeuse tu m’étais encore hier
Comme un brouillard avare
Tu dictais hier encore à mon rêve
Le flagrant dessein des utopies
Aujourd’hui
Te voici
Libre
Te voici fluviale
Comme une caresse intellectuelle
Te voici nue dans tes draps
Sous la divagation de mes doigts de liane
Te voici démarche fluide
Sous les ponts et les monts
Calme et méditative
Te voici méthodique
France de dissertation
Sourire amical sur tes lèvres océanes
Te voici
Panier de vagues
Sur ma tête sablonneuse
Et mon âme ah !
Epouse combien fidèle
Qui n’avait point fait de pas
Sans que je n’en eusse la destination
Mon âme ! oiseau gris comme je l’aime
Sur ton quai
Battent déjà tes voilures d’infidélité.
Patrice Major Asse Eloundou, Roulements de mon sang, inédit
Le jour suivant
Est semblable à un lendemain
Trop bien essoré
Sans surprise qui suinterait sur les parois
D’un bonheur imprévu
La ronde des mêmes artifices évaporés
La douleur des mêmes tessons de rêves
L’abrutissement du sabot des heures
Qui trotte encore et encore
Sur le cadran changé en statue
Pour avoir vu la misère des temps passés.
Toujours se battre pour un moignon de rapine
Toujours se dire que demain, peut-être
Le jour d’après
Est semblable au jour suivant :
Pas mal de calendriers épluchés
Pas mal de bougies soufflées
Pas mal d’air dans les poches
Enfin,Ici,
Un jour ou mille ans
Quelle différence ?
Les jours s’assemblent et se ressemblent
Fernand Nathan Evina, Ecchymoses, Yaoundé, agbetsi & Interlignes, 2003
Elles vaquent à l’aurore
Et boivent la rosée du Silence
Qui se pose et s’impose
Dans le bruit stérile
Des larges feuilles bleues
Je suis la femme fleurie
Elle a pris ma main
Adroite
Pour tracer sur mon front nu
Le sillage des laitières
Je suis la femme fleurie
Elle a pris ma main moite
Elle l’a posée sur son front
Pour chauffer mon corps de femme féconde
Ouvrant les yeux de mon front
Je suis la femme fleurie
Elle a posé sa main qui modèle l’homme
Sur ma fontanelle
Au milieu des youyous puériles
Gris des femmes fécondes
Sur mon berceau fleuri
Je suis la femme fleurie
Mes pas sur les sentiers de sa chair
Mes pieds sur ses trajets fleuris
Ma couche jalouse
Sur le sillage de ses entrailles
Qui fécondent les pétales violettes
Je suis la femme fleurie
Sur les trajets fleuris
Elle vole colorée
Avec ses lèvres fermées
Devant les couilles de la racaille
Sur les couches des femmes fécondes
Je suis la femme fleurie
Plante des amours torrides
Plante des vendanges
Grenier des fruits de l’aube
Sur le ciel des amours bleus
Yvette Balana, inédit
Nzia’ntsi , coup de glotte
Nzia’ntsi terre de rêve.
Mille cassures
Larges fissures
Ponts de singes
Nzia’ntsi mont pour mont
Nzia’ntsi col sur col
Cols coniques
Vals profonds
Deux lucioles dans la nuit
Nzia’ntsi, terre seule
Nzia’ntsi, terre perverse.
Ravins vengeurs
Fossés enragés
Rancune de falaises
Nzia’ntsi, coup de glotte
Nzia’ntsi, terre en grève.
Fernand Léos Ndun’Ala, (auteur de Renaissance, éditions de la Ronde, 2003), inédit
Redonnez-moi un peu de ma vie
Redessinez-moi un visage
Oui, avec une figure bien à moi
Pas celui que vous m’avez façonné jusqu’ici
Et laissez donc cet air que je respire
Il est à moi ce souffle qui m’habite
Rendez-moi juste un peu de ma vie
Laissez-moi mes extases
Mes larmes, mes rires, mon ventre
Détruisez ces prisons de vos curs
Libérez-moi, libérez ma vie
Ouvrez vos yeux je vous en prie
Que je puisse y voir luire
Un peu de la compassion que l’agonie
De ma vie vous inspire
Voyez toutes ces plaies vives
Que me font vos égoïsmes
Vous m’avez obstruée de jalousie
Entendez le long cri
Que vous avez fait de ma vie
Hortense Claire Thobi (1972-1999), inédit
Un frisson me parcourt
Quand perdu derrière les rideaux herbeux
Elle défile à travers les corridors savaneux
Tapissés de sable gris-clair
Elle chemine le long des sentes
Sous le faix d’une corbeille
Qui creuse sa croupe
En une alléchante cambrure
Là-bas dans les champs de Kôyô
Elle offre son échine
Au chalumeau céleste
La nuit venue
Elle s’en va arpenter les flancs
Rocailleux de Bougnoungoulouk
Kikuna…
Elle est aussi haute et régulière
Qu’elle est basse et ramifiée
Claire comme les routes latériteuses
Qui jonchent le Mbam
Sombre comme une claie de cuisine
Un écho
Une fréquence
Un rythme
Induisent sa cadence motrice
Et Kikuna danse
Elle danse dans le sable
Qu’ébouriffent ses jambes
Ses jambes fermes
Ses jambes qui luisent sous le film du mènyeng
Dans l’abondance des percussions
Elle ondule
Elle ondule verticale
Au rythme des résonances du mfong
Klang
Klang
Klang klang klang klang klang klang
Et les ipengués folâtrent sur son buste
Entonnent le tumulte des grelots intérieurs
Kikuna…
Un rameau de diversités
Qui fondent dans l’alliage identitaire
D’un sourire naïf d’où sourd l’énigme.
Wilfried Mwenye, inédit
Les gars
Je me rappelle cette époque
Où nous étions la rue
Nous chantions à tue tête la chanson
Que nous inspirait l’esprit du nguémé
Je me rappelle cette époque
Surtout du mois de janvier
Avec ses jours de trente-six heures
Et son soleil accablant qui donnait
Des spasmes à nos estomacs
Les gars
Je n’oublierai jamais cette époque
A Ntaba
Quand la disette nous montrait du doigt
Et s’inscrivait en lettres d’or
Sur nos fronts empestés de sueur
Il y avait le katica
Avec ses grands matchs de midi
Il y avait les vendeurs de ndjindja
Et leurs lofombos qui brillaient de mille feux
Sous l’ardeur du soleil
Il y avait surtout mami makala
Avec son jazz qui ne disait pas son nom
Ses beignets et sa bouillie
Qui n’avaient pas de pareil sur terre
les gars, les gars
Pensez-vous que je puis oublier cette époque
Après tout ce que korabamba nous avait fait subir
Jamais je n’oublierai cette époque
Jamais
Valéry Narcisse Ndongo, inédit
1 Tiré de Ncaba sá Bégunu, 100 proverbes en langue gunu, recueillis par le Gulico (Gunu Linguistic Comittee) et publié en 1991 par la Société internationale de linguistique, 43 pages.///Article N° : 3998