Les poèmes soigneusement sélectionnés pour constituer l’anthologie que nous vous livrons ici se veulent fondateurs. La fondation d’une conscience à la fois littéraire, nationale, territoriale, est à la fois refus, affirmation, chant, négation On peut dire que les poètes camerounais, pour se fixer dans le réel, commencent d’abord par « défixer » le réel, par en démonter les insoupçonnables boulons. De l’auto révolution de Pouka (expression de Clément Mbom) à l’appel à la repigmentation de Charles Ngande en passant par les monuments aux morts de Jeanne Ngo Maï, la même marche vers une terre sanglée d’elle-même s’observe chez tous les poètes camerounais pétris d’une conscience génésiaque. Ecrire pour ne plus laisser la parole à la puissance fragile de la mémoire, écrire pour créer, créer pour fonder, et fonder une terre, telle est la mission qui se profile et se reprofile dans ce flot de poèmes de nos premières plumes. A lire comme on lit la genèse, avec l’attente gloutonne d’être soi-même cette puissance dite divine qui tire du néant l’existence et lui insuffle le souffle de vie, l’âme pétillante, comme une flamme éternelle
Frères africains en lutte
Frères Rhodésiens, je ne vous dis pas « chapeau ! »
Ce serait une grande trahison de ma part.
Je vous en prie, debout !
Assez dormi ! Fini ce sommeil nègre
Si honteusement chanté par des poètes décriés.
Levez-vous pour chasser hors d’Afrique
La chientlit coloniale et néo-coloniale.
Vous n’avez pas d’armes à feu, tant pis !
Prenez le feu : brûlez leurs maisons somptueuses,
Leurs villas coloniales.
Brûlez les villas de leurs collabos nègres.
Dans votre juste lutte, une seule arme : le feu,
Une seule stratégie : le harcèlement.
Ne leur laissez plus une minute de repos.
Brûlez tout, vous n’avez rien à perdre sauf votre esclavage qui
N’a que trop duré
Plus un répit aux colons et néo-colons
Il faut que leur quiétude soit transformée en insécurité notoire
Jusqu’à ce que le dernier fils de Japhet soit mis hors d’état de nuire.
Frères Rhodésiens, faites le calcul :
Cinq millions d’hommes contre deux cent cinquante m ille.
Mais ce sont les blancs qui vous tuent.
Cela vous fait vingt africains contre un blanc.
Honte à nous, africains !
Quand laverons-nous cette honte de notre sol, définitivement ?
Frères, assez ! Brûlez tout, soyez en colère.
Harcelez-les ! Qu’aucun blanc colonialiste ou néo-colonialiste
Ne dorme plus en paix sur notre sol.
Aucun noir ne dort en paix au pays des blancs, sauf le traître ou le collabo.
Aucun noir n’a de boy blanc. Aucun.
Accepterions-nous toujours les mensonges bibliques ?
Nous avons nos dieux
Et Lumumba est notre Jésus-Christ.
Frères, assez dormi, réveillez-vous, une fois pour toutes !
Bekate Meyong
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie Camerounaise
Quand ta peau se tend en se donnant
Aux mains noires noueuses nouées à la vie
Tu enfantes le désir Tam-tam.
Quand soudain roule comme une chevauchée fantastique de
Buffles mes mains d’abondance
Sur ton nombril sonore, en moi s’éveillent mille ans de désirs
Refoulés libérés :
Bondom! Kang-Kong-Tam-tam!
Tam-tam nocturne de pilons brisés
En éclats de chair fraîche, ma jeunesse
Rapatriée des confins de l’impuissance,
Arc-boutée à califourchon sur la pirogue en dérive
Tam-tam de mes nuits
Tam-tam à la lèvre de nègre Bakongo
Ouvre-moi le rythme d’une vie nouvelle
Comme un germe épousant la terre
Produit l’arbuste qui pousse
À coup de sueur de sang et de larmes.
Elolongue Epanya, Anthologie négro-africaine
Regard de tigre
Plein de lucioles
face de soleil
À califourchon sur le dos
D’un cumulus
Menton herbu
Comme les prairies de Ngaoundéré
Tête hirsute
De palmier incirconcis
Sourire d’enfant
Dans l’escarpolette
Des bras de sa mère
Lyrisme d’acier
Des citoyens à statufier
Ernest Alima,
In P. Dakeyo, Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
France !
Ta main écaillée et rugueuse
A lardé nos bouches et nos liens
Tes disciples nous vendaient
Comme des bêtes immondes
Ils tuaient nos enfants
Et se partageaient nos terres
Mais tu nous ligotas
Et fis de nous tes robots
Salut ! France ! et gloire à ton nom !!!
Nous te rejetons et te maudissons
Comme d’autres pestes (l’Angleterre et la Belgique)
Car c’est à vous que nous devons
La source et l’aggravation
De toutes nos misères
France !
Ta main fermée et tendue
A caché ton jeu
Tes apôtres nous flattant
Ils crachaient sur nos visages
Pour se partager nos terres
Nos forêts, nos minerais et nos mers
Et quel malheur Messie tu nous soumis !
En faisant de nous tes esclaves ?
Salut et adieu France !
Et à jamais revanche
Contre ton auguste nom.
France !
Nous te rejetons
Pour tes ruines, ton audace sauvage
Tes abus et tes massacres
Puisque ! c’est à nous
Que nos fils s’en prendront
Pour réclamer leur véritable liberté.
Nigoue Na Bato
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
Vingt mille ans ont longtemps fermé les yeux aux êtres
Ceux qui dans les forêts sous de verts branchages
Laissaient errer leur rêve intime et fanatique
Parmi les frondaisons des arbres séculaires ;
Ceux qui longtemps oubliés de la terre et du ciel
Regardaient chaque jour s’unir à chaque nuit ;
Ceux qui lassés d’espoir, d’abandon et de foi
Levaient vers l’inconnu des yeux baignés de pleurs ;
Ceux qui longtemps couverts de leurs haillons sordides
Traînaient honteusement leur misère native ;
Ceux qui pétris de peur et d’illusions folles
Rêvaient de lendemains vraiment libérateurs.
Le cratère a vomi la lave salutaire :
Les morts se sont levés ; la terre tremble encore
Sous le choc niveleur de la bête à sept cornes
Les yeux toujours fermés doivent s’ouvrir au jour.
Vingt et mille ans ont scellé le pacte sanguinaire
Des vivants et des Morts ensemble réunis,
La lumière a lui dans les ténèbres premières
Éclairant tristement les malheurs fraternels.
Louis-Marie Pouka,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
Et je me souviens
Rivé à toi
Lové en toi comme ces larves qui nichent dans le rocher
Tu nous emportas dans une nef d’émeraude parée
De voûtes de lumières
Sur un bruissement de mille ailes et de mille coloris
Dont tu étais parée.
Des espaces, tous les espaces s’ouvraient à nos pas
De grandes surfaces planes et leur caresse sur la coque
De la pupille qui naviguait
Tous les espaces éclataient sous nos pas d’initiés
Tous les recoins du temps s’épanouissaient à l’infini
Et à haute voix, je te lisais de toute la force
De mes reins
Et tu pulsais
Et tu rejaillissais plus haute que les jets d’eau
De toutes ces fêtes
Forêt
Je te lisais de toutes mes pulsations
Savane
Yaoundé, Nkongsamba
Larges avenues
Grandes villas
Grands vides
Cocotiers, montagnes, horizons rouillés
Le voile du ciel retroussé descendait
Tanguait au ras des visages
Mohammadou M. Aliou,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise de demain
Nous avons pleuré toute la nuit
Jusqu’au chant de la perdrix
Jusqu’au chant du coq
Nous avons pleuré toute la nuit
O Njambé tu étais pourtant là
Quand on coupait des oreilles
Quand on coupait le cordon ombilical de notre clan
Quand on fracassait le crâne de notre Ancêtre
Quand on brûlait le chasse-mouche de notre aieul.
Ina ô ô ô ô !
Dans quelle source repimenter notre sang
Perdus nous étions comme pauvre chien bâtard
Errant sur la place du marché !
Nous avons pleuré toute la nuit
L’étape a été longue
Et la perdrix a chanté timidement
Dans un matin de brouillard
Chants illuminés de cataractes d’espérance
Espérance d’une aurore aux dents de balafons.
Et la perdrix s’est tue
Car son chant s’est éteint dans la gorge
D’un python.
Et le tam-tam s’est tu
Et le grelot n’a plus ri sur la jaune savane
Et le deuil a planté sa case dans la cour du village.
Sang !sang !sang !
Torrents de sang !
Femmes, terrez-vous le soir dans vos enclos :
Le fusil passe.
Nous avons pleuré toute la nuit
Et le coq a chanté sur la tombe de l’Ancêtre
A h ! ces os poussiéreux
Qui se mettent à gambader
Comme des antilopes et comme des gazelles
Njambé, c’est bien toi qui a ourlé
Sur la tête du coq cette langue de soleil parce
Que son gosier roule une cascade de lumière
Et le coq a clamé l’aube du grand départ
Et le coq a chanté sur le front de la pirogue
IN-DE-PEN-DAN-CE !
Venez, filles de mon peuple
Le soleil s’est levé
Voilà la tombe de l’Aïeul
Et le grand fromager des vertes parentalies
Et la source sacrée où nous repimenterons
La force de notre sang
Et voici le nombril de la grande famille
Venez, filles de mon peuple
Vaillants carquois de nos flèches emplumées
Remontez, brisez vos parcs, femmes longtemps en jachère.
Remontez sur la croupe des étoiles filantes
Venez, battez des mains, crépitez et dansez
Sur un pied, sur deux pieds, sur trois pieds
Tambours, grelots, bois sec
Grelots, tambours, bois sec
Rythmez les mâles vibrements d’un peuple qui se lève
Que vos rires se mêlent aux antiques sanglots.
Hommes de mon peuple,
Venez tous, venez toutes
Nous allons tous tresser une même couronne
Avec la liane la plus dure de la vierge forêt
Sous le grand fromager où nous fêtions nos parentalies
Et le soir, nous danserons autour du même feu
Parce qu’ensemble, sous la tombe de l’Aïeul,
Nous aurons fait germer une grande cité.
Charles Ngande Neuf Poètes camerounais
Mon cur est un monument
Un monument aux morts
Que blanchit goutte à goutte
La rosée de mes yeux.
De quelque côté qu’on le tourne
De la base à son sommet
On le découvre criblé
De multiples noms
Que la haine journellement
Imprime impitoyablement.
O morts sans noms
Mes morts ignorés du monde
Qui tombez sans bruit
Sans témoins, sans témoignage.
O morts sans jugement
O morts brûlés vivants
Ceux jetés dans les fosses
Ceux attachés de pierre
Qui avez roulé lourdement
Au fond des eaux
Avant que des poissons voraces
Se disputent vos chairs.
O morts mal jugés
Ceux dont la voix
Couverte par l’argent
Couverte par les intrigues
N’a pu se faire entendre
Vous qui êtes partis
La larme au coin de l’il.
Mon cur vous porte tous
Mon cur vous aime tous
Oui, je vous porte tous
Et souvent, très souvent,
Alourdie de vos noms
Je m’appuie épuisée,
Les relis et relis
Pendant que le flux et reflux
De mon cur, le long de moi vous promène,
Et l’emporte toujours avec moi
Le monument à mes parents
Le monument à mes morts.
Jeanne Ngo Maï,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
La nue, imbibée d’eau, lentement me tourmente
Passant de faux azurs
Aux tons dorés et purs
Les feux brûlent les chants, le monde se lamente.
Pluies qui regardez dans le ciel éclatant,
Grondez, la terre attend !
Le mont, le vert coteau, la prairie et la lande,
Au vent qui gronde et meurt
Prêtent de graines clameurs ;
Le tronc du benténier puissamment se rebande.
Arbres qui vous voûtez au souffle du beau temps,
Montez, la terre attend !
Les champs couvrent les fronts des côtes et des plaines
Bientôt les épis murs
Seront rangés par neuf
Au fond de lourds greniers ; les granges seront pleines
Épis qui mûrissez près des chemins montants,
Séchez, la terre attend !
Les fleuves de tous les tons émaillent les vallées ;
Les bois sont pleins de champs,
Les champs d’oiseaux, de chants.
De blairs les mieux roulés les villes sont peuplées.
Beautés qui profitez du soleil du printemps,
Vivez, la terre attend !
La vie gonfle les jours des fêtes grandioses ;
Les soirs de doux festins
D’échos les gais matins.
Les fous se rient de tout, des pauvres et des choses.
Amis qui vous moquez de la main qui tend,
Riez, la terre attend !
Le cur de tous les grands qu’accable la fortune
Pense trouver la paix
Au bout des airs épais.
Déjà, les oiseaux blancs se posent sur la lune.
Humains qui voulez voir le trône de satan,
Allez, la terre attend !
La terre est le berceau de tout ce qui respire,
De tout ce qui grandit,
De tout ce qui verdit.
Elle est le grand tombeau de l’homme et son empire.
Années dont les échos vont jusqu’au noir antan.
Fuyez, la terre attend !
Paul-Charles Atangana,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise.
Je suis la voix du silence
Celle que l’on n’entend guère
Celle que l’on préfère taire
Je suis la voix des souffrances.
Perdue dans l’immensité
Du royaume de la nuit
Ignorée du monde entier
Livrée à ma belle agonie.
Je suis l’homme des steppes
Solitaire et sans concepts
Vivant comme une araignée
Tapie dans sa toile trouée.
Mes rêves n’ont pas de frontières
Et s’élèvent au-dessus de la terre
Mes rêves sont terre à terre
Mes rêves survolent l’univers
Je porte en moi tous les travers
J’assume, je consume ou je couve en silence
Tous les revers
Il n’est de maux que je ne connaisse
Ni d’autorités auxquelles je m’abaisse.
Je suis la bonne à tout faire
Le souffre-douleur, le bouc émissaire
Ma parole est muette et sans écho
Nul ici-bas n’écoute mes propos.
Je suis la vois déshéritée, la voix de compassion
Ma voix est généreuse, ma voix est sans passion
Sur moi tout repose, sur moi tout rejaillit
Je suis l’exutoire je suis le sentier infini
Ma force cependant est inébranlable
Ma force vit à l’état primaire
Mes sons s’élèveront d’un ton légendaire
Les voix du silence sont impénétrables
Charles Baleguey,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
Un jour, tu apprendras
Que tu as la peau noire, et les dents blanches,
Et des mains à la paume blanche,
Et la langue rose
Et les cheveux aussi crépus
Que les lianes de la forêt vierge.
Ne dis rien.
Mais si jamais tu apprends
Que tu as du sang rouge dans les veines,
Alors, éclate de rire,
Frappe tes mains l’une contre l’autre,
Montre-toi fou de joie
A cette nouvelle inattendue.
Puis cet instant de gaieté à peine passé,
Prends ton air sérieux
Et demande autour de toi :
Du sang rouge dans mes veines,
Cela suffit-il pour vous faire croire
Que je suis un homme ?
La chèvre de mon père
Elle aussi, a du sang rouge dans les veines.
Et puis, dis-leur que tu t’en moques
Car tu sais, il s n’ont rien compris
A la farce créatrice qui donna
Du sang rouge à l’animal et à l’homme
Mais oublia totalement de donner
Une tête d’homme à la chèvre de ton père.
Vis et travaille.
Alors, tu seras un homme.
Francis Bebey,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
À toi fils de l’homme
J’ai confié :
Mon champ de jeunes
Mon champ de la jeunesse
Ma jeunesse
J’ai confié
À toi fils de l’homme
Les engrais les plus riches
Le courage et la vaillance
L’honnêteté et lé fermeté
Le dynamisme et l’imagination
Tout ce que j’ai hérité
De l’héritage de mes aïeux
Les secrets les plus sûrs de leurs sciences
Les sciences les plus vraies du cosmos
Les sciences de l’amour
Et les sciences de la liberté
À toi fils de l’homme
J’ai confié mon champ
Plein d’espérances
Et de promesses.
Werewere Liking,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise.
Glas d’un jour-vieillard
À la face balafrée d’étoiles nauséabondes
Contraint de gésir sous un linceul d’opprobres
Mais qui bouge et grogne encore mais
Qui moribond impénitent
Eructe encore un geignement belliqueux
Sur la face du monde
Voyez le vieux scélérat dans la glue de l’agonie
Il ose encore brandir contre l’espadon du temps
Ses dents cannibales
Toutes chargées de chairs martyres.
Mais s’élève partout un même credo
Dense et terrible
Diane d’un jour-bébé
Trompetant crânement
L’hymne planétaire des parias
Le dos tourné vers le dos au passé
Il tête goulûment au pis de l’avenir
En tendant sse bras obscurs
Aux bras spendides de la liberté.
Par l’azur
Par l’espace
Par tout la terre s’élève un même credo
Dense et terrible
Comme la respiration des dieux en colère
II
Derrière la terreur de ces barreaux-bourreaux
Je les entends
Vastes et profonds
Tes entrailles s’agiter de voix
De voix
De voix
Voix des chutes d’eau et de volcans
Voix des grottes mystérieusement accroupies
Au cur des forêts maternelles
Voix des emmomodo et des djidji
Voix des minkuk et de njigawa
Voix fermentées torrentueuses apocalyptiques
Voix dégoûtantes de vengeances légitimes
Et qui beuglent toutes à l’unisson
PEUPLE DEBOUT MONSTRE SANS ÂGE
Derrière la terreur de ces barreux-boureaux
Je la vois ta hure je la vois
Qui se dresse et qui se dresse
Rebelle
À la loi des sans-lois
Prête à cogner contre les butoirs de ton but
Et qui brame
Et qui tonne
Et qui rage
De tous les tam-tams de ton gosier obstrué
Sanglé de feu
Sanglé de sang
Sanglé de glace
Ton jeune cur aux épaisseurs de soleils
A perdu le velours de ses joies d’outre-temps
Il ne sait plus s’éprendre aux parures embaumées des fleurs
Ni sourire au ruissellement unguineux des aurores
Ni délirer aux épanchements du mvêt
Du mvêt millénaire miaulant des romances
Entre les doignts bamboulants d’un visionnaire en extase
Oh jamais plus
Par les jardins édenesques de tes veillées
Festonnées d’arcs-en-ciel
Déambulant gracieusement des fées aux yeux de lune
Au cou de gazelle
Au corps de miel
Impossible de les contempler désormais
O peuple enchaîné sous le pavois
Des tyrans contempteurs
Mais qu’importe
Si
Au-delà de cet écran odieux
Tu peux encore discerner l’étendard de ton nom
L’auguste étendard de ton nom
Mis En Lam Beaux
Par la main des vandales
Et qui ne flotte plus sur Mudongo-ma-Loba
Et qui ne flotte plus sur la tombe de l’aïeul
Et qui ne peut plus flotter
Sous la main sacrilège des vandales
III
Lorsque dans leurs rangs
Où ne passe aucun espace
Passent les rapaces impassibles des razzias
Lorsque sur leurs têtes casquées de météores
Brazillent hargneusement les glaives fatals de l’oppression
Tes enfants battent
Tous
Le tambour incandescent des gueux
Des gueux saouls de sarcasmes
Des gueux ruminant un cauchemar
Des gueux rigolant sur un lit d’orties
Des gueux en uniformes couleur sang
Des gueux
Des gueux
Des gueux que les pontifes de la terreur ont ébouillantés
Dans les fonts baptismaux de la torture
Et qui bougent
Pour ne plus s’ankyloser près de l’âtre natal
Et qui bougent
Pour ne plus crever de faim près du grenier ancestral
Et qui bougent
Et qui bougent
Pour ne plus s’enliser
Dans la fange puante des esclavages
Mais moi
Derrière la terreur de ces barreaux-bourreaux
J’entends s’élever partout un même credo
Dense et terrible
PEUPLE DEBOUT MONSTRE SANS ÂGE
René Philombe,
Poèmes de demain, Anthologie de la poésie camerounaise
Que m’importe Athènes ou Rome
L’antique parchemin des autres
Où d’autres ont écrit leur nom ?
Qu’on me rende mes royaumes
Le ndog-sul et le ndog-sen
Le ndog-béa et le pan
Qu’on me les rende tous
Je ne veux plus rien recevoir de personne
Il n’a pas le goût du pain des autres
Il n’a pas l’éclat du jour d’autrui
Il n’a pas le prix du souvenir le souvenir des autres
Je ne veux plus rien recevoir de personne
Qu’on me les rende tous, mes royaumes nègres.
Jean-Paul Nyunaï,
Le Livre camerounais et ses auteurs.
Tam-tam bat
Tam-tam rit
Qui donc t’a dit
Ma danse obscène
Coup de reins
À gauche
Coup de reins
A droite
Frappe du pied
Pirouette
Frappe du pied
Pirouette
Tam-tam bat
Tam-tam rit
Coup de reins
En arrière
Coup de reins
En avant
Qui donc t’a dit
Ma danse obscène
Frappe du pied
Pirouette
Frappe du pied
Pirouette
Tam-tam bat
Tam-tam rit
Vient la saison
Des semences
Qui donc dis-moi
Qui donc la pluie
Invoquera
Coup de reins
En arrière
Coup de reins
En avant
Coup de reins
À droite
Tam-tam bat
Tam-tam rit
J’accorde la lune
Et le soleil
Qui donc dis-moi
De l’Univers
Perpétuera
Le mouvement
Frappe du pied
Pirouette
Frappe du pied
Pirouette
Je suis la vie
Qui donc dis-moi
Fécondera
Femmes et champs
Tam-tam bat
Tam-tam rit
Je tisse les nuds
Entre les morts
Et les vivants
Qui donc dis-moi
Qui donc sera
Le messager
Des ancêtres
Coup de reins
À gauche
Coup de reins
À droite
Coup de reins
En arrière
Coup de reins
En avant
Frappe du pied
Pirouette
Frappe du pied
Pirouette
Tam-tam bat
Tam-tam rit
Qui donc t’a dit
Ma danse obscène
François Sengat-Kuo,
Littératures africaines
Bâtis loin de moi ton temple
De silence et de léthargie
Il faut que cessent de cohabiter en mon cur
Le désir de dire
Et l’impossibilité de parler.
J’ai voulu rire ou pleurer
Mais ne venaient ni les larmes ni la joie
J’ai voulu partir
Mais mon cur ballottait
Entre le désir de fuir
Et l’amour de rester.
J’ignore tous les sentiers du monde
Mais j’ai la patience du rocher
Et je ne partirai pas
Te laissant seul
Dans la bourbe de ta souffrance
Et la puanteur de tes mains
Je ne suivrai pas les splendeurs des horizons
Pour glaner le plaisir
Je me couvrirai avec toi
De la cendre de ton veuvage.
Je sais, ah ! des hordes d’orphelins
Et des troupeaux de veuves
Je sais des jours de râle
Des chemins tout constellés de morts
Et des nuits froissées de terreurs
Et des morts que personne n’a pleurés.
Je sais des soirs enivrants de beauté
Où pas un oiseau n’a chanté
Je sais des moments accablants de douceur
Mais tout plombés de langueur.
Bâtis loin de moi ton temple
De silence et de léthargie
Mon cur éclaterait de mensonges
Mes yeux blanchiraient de cécité
Ma langue moisirait de se taire.
En moi mijote la parole aux ailes de lumière
Le désespoir es un volcan
La foi est une bombe.
Moi je suis le fils de la tempête
Mes nerfs sont d’acier
Mon souffle volatilise les bâillons
Je suis la dernière flèche
Je suis la balle de gloire
Je suis l’obus de victoire
Bâtis loin de moi ton temple
De silence et de léthargie
Il y a raison de foi
Même après l’écroulement
De tant de monuments d’espoir.
Patrice Kayo,
Autour de deux poètes camerounais
Le blanc lunaire et macabre jaillit de la profondeur
Livide d’un nuit bleu sous les étoiles glabres, le
Blanc lunaire s’agite et titube, il se prosterne
Ventre à terre face à la terre nourricière puis il
Hausse son front séculaire à la face humaine mue par
L’élan cyclique ; ses yeux proéminents et concentriques
Brillent d’étonnement devant l’unité plurielle ; sa
Paupière gauche est d’un rouge saillant, l’il droit
Sombre et épais et noir comme le sang bouillant ; le
Nez de démarcation et de synthèse des forces contraires
Et complémentaires s’éclaire au milieu de son visage
Cinglant pareil à une lune fantomatique ; ses oreilles
Donc frémissent comme des cornes de bélier au-dessus de
Sa tête squelettique ; et maintenant, que le souffle de
Vie l’abandonne ses cornes de béliers plient vers
L’arrière de sa tête en feu pour marquer la fin d’un
Premier combat. Son menton ligneux et torsadé alors
Renoue le silence de la semence dans la branche de
L’arbre qui sert à l’homme à faire des masques ; le
Cycle sur lui-même se referme mais décalé d’un pas et
Tout cela recommence. Soudain du front raviné surgissent
La corne phallique et les jambes nues que plie la
Ferveur de la danse et qui s’écartent frémissantes ;
Ces jambes nues ouvrent un sillon charnu dans la terre
Androgyne tour à tour écarlate et profonde et féconde
Comme l’amour ; c’est que le blanc livide du kaolin
Lunaire courbe et tendu, bariolé et à la face concave,
Les bras levés au ciel et le menton cloué au sol s’était
Accroupi dans l’ombre viatique de la mort, au beau milieu
De ses deux yeux concentriques, attendant la délivrance.
S.M Eno Belinga,
Littératures africaines
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