Patrouille – Chronique kinoise

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C’est mon caméraman qui me l’a rapporté. Mbila me l’a confirmé. Il a étudié avec Tabu, le frère de Mapendo, ils sont très potes et se fréquentent toujours jusqu’à ce jour.
Mapendo est une fille du quartier de Matonge qui se demande ce qu’elle va bien pouvoir se mettre le lendemain…
« Ce soir, Dieu merci, je n’ai pas de rencard… Mais demain ? J’ai l’impression qu’il connaît toutes mes fringues, celui-là ! Et puis qu’attend-t-il pour conclure ? »
Son « lui » est un de ceux « qui affrontent la conjoncture, que ce soit la hausse ou la baisse du dollar », parole de musiciens Congolais…
Mapendo a 23 ans. Dans deux ans, elle devient une « Sainte Catherine », en tout cas elle la coiffe bientôt ! C’est pourquoi il lui faut très vite un mari. Tous les moyens sont bons. Et puis, elle sait qu’elle a ce que d’autres n’ont pas : Des arguments essentiels.
Comme disent les professeurs d’universités qu’elle n’a pas fréquentées !
« Des arguments essentiels »…
Elle a un beau cul bien cambré, deux seins pamplemousses, elle fait bien la cuisine et dans une conversation, elle écoute les gens…
Alors, où est le problème ? Se demande-t-elle incessamment.
C’est à 14 ans qu’elle reçoit pour la première fois de l’argent d’un homme.
Elle sort de l’école, l’Athénée de la Victoire, où le professeur de Français vient de la bassiner avec l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir
« Je me demande pourquoi il me déteste autant, ce M. Makambo », c’est son professeur de Français ! Comme si l’accord du participe passé donnait des réponses à ses questions : Qui sera finalement le Président de ce pays, son papa sera-t-il payé un jour, le petit cadet de la maison guérira-t-il de sa malaria, et sa maman de son diabète ?
De l’école jusqu’à la place carrefour « Victoire », elle en a pour quinze minutes de marche, mais elle préfère prendre le taxi-bus à cause de la chaleur. Ce jour-là, afin d’expérimenter l’accord du participe passé avec, cette fois, l’auxiliaire être, notion de grammaire étudiée la semaine d’avant, elle décide de faire du stop. C’est comme ça qu’elle reçoit pour la première fois de sa vie de l’argent d’un inconnu…

Il est midi à Matonge, et Mapendo vient du marché. Elle ne s’est pas encore lavée, mais ce n’est pas un problème puisque c’est le style du quartier…
A Bandal comme à Matonge, les filles prennent leur douche les après-midi, jamais le matin.
Car avant de te laver, tu dois savoir ce que tu vas mettre, et souvent c’est ce que tu n’as pas
Il faut alors « aller en patrouille » !
Et le deadline c’est généralement 17h…
Mapendo fait partie d’une bande composée d’une dizaine de filles des avenues avoisinantes.
Elles se font appeler « les filles de Molokaï », en référence aux initiales des cinq avenues de résidence de la bande, et surtout en hommage à ce grand musicien Kinois Papa Wemba, qui a trouvé ce nom et a ainsi baptisé son quartier et son groupe, le village Molokaï. Qui correspond à ces avenues qu’il a le plus fréquentées depuis sa jeunesse à Matonge : Madimba, Oshue, Lokolama, Kanda-kanda et Inzia.
Exactement la zone de résidence de la bande à Mapendo.

C’est la période de Coupe du Monde. Il y a de moins en moins de coupures d’électricité dans le quartier de Mapendo. Mais quand ça arrive, les gens s’organisent… Et Tabu, son frère, s’y connaît, tiens !
C’est lui que tout le monde appelle pour « tirer » l’électricité d’ailleurs, avec un mince fil de courant, ça peut être un câble de téléphone, deux ou cinq prises de terre, dont on utilise le câble, etc.
La finale France/Italie a scotché tout le monde devant la télévision. En allant chez une des nanas Molokaï pour sa patrouille du lendemain, Mapendo n’en revient pas de constater que tous ces mecs ne la regardent même pas. Ils n’ont tous d’yeux que pour Zidane !
Ils préfèrent regarder un Zidane courir derrière un ballon, au lieu d’une Mapendo bien en chair et en pagne, avec juste un petit top et le ventre à l’air.
Non, c’est Zidane qu’ils regardent…

Madimba, Lokolama et Inzia n’ont pas d’électricité, et quelques-uns de ses habitants, qui n’ont pas pu « tirer » le courant, ont déménagé à Oshue, vers chez Mapendo
C’est bien beau tout ça mais il lui faut une tenue pour le lendemain, et comme Caro fait la même taille, c’est chez elle que la jeune fille va devoir se ravitailler
C’est fou comme son avenue est grouillante !
Même les bars et les « Nganda » ont ouvert et installé des télévisions pour les clients et passants, buveurs ou pas, de toutes les façons étant les seuls « Nganda » qui vendent de la Skol ou Primus bien froide, les gens finiront par boire, c’est ça la politique du gérant durant cette grande Coupe du Monde
Il n’y a qu’à jeter un œil sur son chiffre d’affaire pour comprendre qu’il sait y faire
En marchant vers le quartier de sa copine, Mapendo rêve d’une bonne bière, bien froide, et « offerte » par l’un de ces gars. Ça lui donnera des forces pour arriver chez Caro…
En voilà un qui la remarque on dirait, elle va le charger à bloc.
Mapendo passe à l’offensive, met en avant son buste balcon de pamplemousses, et passe à la démarche serpent, pour être sûre de bien l’avoir.
C’est le moment que choisit Materazzi pour dire à Zidane ces choses qu’il lui a jetées au visage sur sa mère. C’est le moment que choisit Zidane pour apprendre à l’autre à respecter sa maman, et à travers elle, toutes les femmes de sa famille.
Zut !
Monsieur replonge dans le match, et avec lui tous les autres gars dans la rue
Plus un seul mec pour elle ! Il n’y en a que pour cette salope de Zidane…
Même dans les parcelles non clôturées, toutes les télés sont dehors pour faire profiter le spectacle à tout le monde, surtout aux gens des quartiers lointains, qui ont raté leur taxi ou leur bus. Ou ceux qui ne tiennent pas à manquer une seconde de cette rencontre France/Italie.
Et elle passe inaperçue…
Mais qu’a-t-elle de plus qu’elle cette Zidane ? Un ballon ? Se demande Mapendo
« Mais j’en ai deux, moi, deux paires de ballons même… »
Elle n’a plus qu’à partir tranquille chez ma copine, en espérant que vers Lokolama elle pourrait se faire offrir une bonne bière bien fraîche avant d’arriver chez Caro !
Une Skol ou Primus bien tapée…
Elle se dit qu’elle pourrait alors de son côté donner sa main, sinon à quoi bon tous ces ballons ?

///Article N° : 7026

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