« Le monde créole a besoin de retrouver l’Afrique »

Entretien d'Ayoko Mensah avec Norma Claire (Guyane)

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Née en France de parents guyanais, riche d’une triple culture – guyanaise, africaine et française, Norma Claire crée sa compagnie en 1992 après avoir travaillé avec des figures de la danse africaine contemporaine telles que Elsa Wolliaston, Cissé ou Lucky Zebila. Les danses africaines interviennent de façon décisive dans son écriture chorégraphique. En 2000, Norma Claire lance les 1ères Rencontres chorégraphiques métisses d’expression noire à Paris. Elle organise la seconde édition de ce rendez-vous à Cayenne, en Guyane, du 2 au 4 novembre 2001 (voir programme dans l’agenda).

Vous vous réclamez d’une danse métisse d’expression noire. Comment la définissez-vous ? Ne concerne-t-elle que les communautés noires ?
La danse métisse d’expression noire réunit les artistes – danseurs chorégraphes africains, créoles, métisses – qui ont pour objectif de faire reconnaître l’identité d’une danse particulière qui ne se retrouve pas toujours dans la danse contemporaine occidentale. Il y a des pensées, des courants, des réalités culturelles qui inspirent les artistes. Cela se retrouve dans les techniques de danse (danse africaine, traditionnelle, créole, danse contemporaine). On pourrait parler d’un mouvement lié à l’histoire où il faut espérer que la culture dominante s’ouvre aux autres cultures et accepte toutes ses formes artistiques. Elle ne concerne pas que les communautés noires ; d’ailleurs, actuellement, des danseurs venus d’autres nationalités s’intéressent de plus en plus aux techniques des danses africaines ou/et créoles traditionnelles et modernes. L’important est qu’aujour’hui soit reconnu la création du monde noire (africaine, créole, métisse). C’est un problème de reconnaissance identitaire où il est important de respecter les discours et techniques artistiques de ce monde, souvent ignoré. Tout ceci est une vraie démarche d’ouverture, pour une danse ouverte – n’oublions pas que la danse créole est encore méconnue et que la rencontre entre les danseurs d’Afrique et du monde entier doit se faire. L’histoire les a trop longtemps éloignés.
Pour vous, la référence à une gestuelle traditionnelle africaine est essentielle, pourquoi ?
La gestuelle africaine m’a révélé le fondement d’une gestuelle qui est en relation avec ma culture créole et par ailleurs j’ai travaillé sur cette gestuelle qui donne le sens, qui donne la vérité, qui donne la respiration. Ce n’est pas une forme qui se rattache seulement à l’esthétique mais à l’essentiel du mouvement de la vie.
Les étiquettes « danse africaine » ou « danse afro-créole » contemporaines ne créent-elles pas des ghettos dans lesquels on tente d’enfermer les créateurs ?
Il est vrai que nous devons toujours en France définir les danses que nous faisons « danse africaine » « ou » danse afro-créole ». Cela ghettoïse le mouvement, mais il le faut car il y a aussi un problème de reconnaissance identitaire créole dans les départements d’Outre-mer. Je crois cependant fondamentalement que nous sommes tous dans le mouvement d’une danse contemporaine actuelle avec ses différentes directions.
Vous organisez vos Rencontres chorégraphiques en Guyane cette année, pourquoi ?
Les 2èmes rencontres sont organisées en Guyane car je crois important que ce pays soit investi d’un mouvement aussi important où les chorégraphes du monde créole peuvent exprimer leurs travaux. La Guyane est en développement et c’est un pays où cet événement trouvera sa place dans les années à venir.
Avez-vous d’autres projets, à plus ou moins long terme, en Guyane ou aux Antilles ?
Permettre de faire connaître les créations de la Compagnie, qui apporte déjà beaucoup à la population. La Compagnie espère travailler sur des projets artistiques plus permanents avec les associations, les jeunes danseurs et les écoles de danse.
Quel est l’état de la danse afro-créole contemporaine aujourd’hui aux Antilles ?
Encore un peu faible, mais les artistes se mobilisent et les Rencontres de danses vont permettre de plus en plus aux créateurs de définir leur travail. Nous avons besoin de scènes nationales pour exprimer notre art.
Vous programmez dans le cadre de ces Rencontres des jeunes compagnies aussi bien antillaises qu’africaines. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération ? En quoi diffère-t-elle de celle qui l’a précédé ?
Je tiens à programmer des compagnies créoles et africaines car nous parlons de choses assez proches. Nos préoccupations sont assez similaires. Les réflexions artistiques et identitaires se regroupent chez les chorégraphes africains et créoles. Par ailleurs, nous renouons avec l’histoire. Je pense que le monde créole a besoin de se retrouver avec l’Afrique. Il y a peu à peu des artistes créoles qui osent de plus en plus affirmer leur identité dans leur danse en s’inspirant de leur danse traditionnelle ou africaine dans une écriture contemporaine.
Vous dites qu’il est important que « la culture créole renoue avec ses racines africaines et que l’Afrique s’ouvre au monde caraïbe ». Qu’attendez-vous de cette synergie Sud/Sud ?
Le principe des Rencontres entre les chorégraphes créoles et africains vont permettent de tisser des liens interrompus par l’histoire. Nous devons nous retrouver et nous ouvrir à chacun d’entre nous. Il est important que la culture créole renoue avec ses racines africaines, comme il est tout aussi important que les artistes africains s’ouvrent au monde caraïbéen, car ceci va nous permettre de créer une synergie puissante autour d’une danse énergétique, créative et dense. Le Sud/Sud, c’est la force d’une reconnaissance identitaire qui peut permettre une expression chorégraphique plus soutenue, et plus vraie.
Votre compagnie existe depuis 1992. Jusqu’à récemment, vos créations étaient relativement peu diffusées en France. Sentez-vous une nouvelle considération pour les danses d’origine africaine en France ?
Oui, il y a peu à peu dans les institutions des ouvertures qui se créent sur la danse africaine contemporaine et je remercie ceux qui nous soutiennent mais nous manquons encore de soutien pour être programmé dans les théâtres. J’espère que la Compagnie trouvera de plus en plus d’accueil dans des théâtres. Je reste confiante sur « Vies d’ébène » et « Juste un Zeste d’Amour » qui ont eu un succès conséquent et grâce aux publics, médias. Il y a une reconnaissance de la danse africaine contemporaine et ceci grâce à des chorégraphes de la danse contemporaine occidentale mais il est important de reconnaître l’ensemble d’une culture noire.
Quelles répercussions a, selon vous, l’influence des programmateurs et des bailleurs de fonds occidentaux sur l’évolution des danses d’origine africaine ?
Il faudrait faire attention à ce que la reconnaissance occidentale d’une danse africaine contemporaine ne crée pas des conditionnements aux créateurs africains. Cela n’empêche pas la diversité, l’imagination, l’originalité de la culture africaine.

///Article N° : 22

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