La Reconnaissance

De Didier Bergounhoux et Claude Hivernon

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Il y a comme une sourde urgence depuis quelques années à recueillir la parole et l’image des tirailleurs, ces combattants africains enrôlés de force plus souvent que de gré pour la défense de leur « patrie » française, avant qu’ils ne disparaissent en emportant leur mémoire. Pourquoi s’appesantir à ce point sur ces oubliés de l’Histoire ? Justement à cause de cet oubli. Car il s’agit là d’un scandale hautement révélateur. Scandale rudement ressenti par les intéressés mais aussi par leurs proches et leur peuple d’une absence de reconnaissance du service rendu, tant au niveau financier qu’au niveau du courage déployé et du sacrifice consenti. Le gel (la « cristallisation ») des pensions d’anciens combattants à l’indépendance (loi de finances du 26 décembre 1959 signées par le général De Gaulle) fait écho à la loi du 31 mars 1919 qui stipulait qu’en dehors des Sénégalais, les combattants africains de la Grande guerre toucheraient une indemnisation fonction de l’indice salarial de leur pays. C’est la poursuite d’une vision qui réserve à l’Africain un traitement différent de par son origine alors que les balles et les obus ne faisaient pas la différence. Après 45 ans où les pensions sont devenues peau de chagrin avec l’inflation, un déblocage partiel a finalement été obtenu de vive lutte en décembre 2002 les base sur le prix de 200 kg de sucre dans le pays considéré. Ce fut le résultat d’un long débat sur la place publique, d’actions juridiques et d’une importante médiatisation, alors que le film de Didier Bergounhoux et Claude Hivernon nous révèle qu’il ne reste plus au Burkina Faso que 7074 tirailleurs encore en vie et qu’il en meure 10 % chaque année.
La Reconnaissance est passionnant au sens où c’est un vrai travail de terrain : face à la parole politique qui affiche sa fierté d’avoir accompli « la décristallisation », il nous montre sans commentaire inutile que la réalité est autrement plus complexe et se veut le témoin de ce moment où l’Histoire se retourne. Ne serait-ce que le fait de retrouver les papiers administratifs nécessaires aux dossiers de pensions alors qu’ils sont souvent rangés sans espoir dans un coin de case, dans un état de décrépitude avancée ! Il laisse la parole aux personnes concernées et ce sont elles qui par leurs témoignages donnent la mesure des traumatismes de guerre encore vifs, de l’humiliation encaissée et du contexte de cette bien tardive reconnaissance.
Un extrait de Tasuma de Daniel Sanou Kollo, une touchante fiction mettant en scène un ancien tirailleur qui veut rendre service à son village, rappelle que les cinéastes ont eux aussi dénoncé l’iniquité tout en insistant sur la solidarité et le courage de ces hommes. C’est bien dans cette démarche que s’inscrit La Reconnaissance.

///Article N° : 4265

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