David Jaomanoro est malgache et vit sur l’île voisine, Mayotte. Auteur de pièces de théâtre, de nouvelles et de poésie, il surgit sur la scène française en étant parmi les quarante écrivains invités au Salon du Livre de Paris. Il présente un recueil de douze nouvelles intitulé Pirogue sur le vide. Ces brèves et tranchantes histoires donnent la parole à des Malgaches ou des Mahorais en des phrases émaillées de proverbes, d’expressions comoriennes, interrompues par des retours en arrière selon les chaos de l’émotion de laquelle tous sont prisonniers. La misère, les conflits, la dureté de cur poussent tous les personnages à vivre des situations extrêmes : une mère refuse de livrer le corps de son enfant aux chiens, la petite Malgache voit son père se noyer au cours d’une traversée clandestine vers Mayotte, les petites musulmanes sont livrées aux désirs des vieux. Aucune évocation idyllique des paysages des côtes malgaches ou mahoraises où se passent pourtant toutes les scènes. Jaomanoro n’est pas un romancier réaliste, encore moins exotique. Il cherche avant tout à montrer des personnages violents que les conditions de vie extrêmes ont complètement déshumanisés. Mais le tragique n’engendre ni discours moralisateur ni lamentations. L’auteur n’insère aucun commentaire à ces récits rapides, incisifs manifestant la vitalité, la combativité des personnages. Le lecteur est ballotté dans ces aventures extrêmes où les retours en arrière brisent l’ordre classique et la langue normalisée; il doit s’efforcer de suivre les méandres de ces itinéraires complexes et douloureux exprimés dans les monologues. Il prend pitié du petit frère retrouvé carbonisé dans la rizière, de l’adolescent fier de sortir de prison, des enfants qui rusent et luttent pour survivre, des femmes abusées, des paysans prisonniers de conventions et ne sait plus s’il admire ou craint l’impensable dureté qui les a tous envahis. Jaomanoro brise les schémas exotiques, primitivistes, tiers-mondistes qui font des îles, des pirogues, des lagons et des enfants bronzés les éléments d’un paradis inventé. Ici, la pirogue ne mène qu’au vide, les mythes volent en éclats pour faire éclore une écriture libre de traverser mers, cultures et langages. Là est le vrai et seul voyage donné en cadeau à nous, lecteurs francophones comblés.
David Jaomanoro, Pirogue sur le vide, L’Aube, La Tour d’Aigues, 2006, 215 pages, 17 euros, ISBN 2-7526-0179-4.///Article N° : 4371