Il y a plus d’un an, en 2009, Jacques Toubon recevait une délégation du Partenariat Eurafricain. Jean-Paul Gourévitch accompagnait Hervé Nyam, ancien représentant du Crédit Foncier du Cameroun en Europe et moi-même. Il eut ainsi l’occasion d’évoquer un projet qui s’est concrétisé pendant ces deux journées avec le colloque auquel vous venez de participer sous l’intitulé « Atelier mémoire des Indépendances africaines : l’année 1960 vue à travers les manuels scolaires africains et français »
D’emblée Jacques Toubon, en charge de la programmation des manifestations commémoratives du cinquantenaire des indépendances africaines, avait manifesté un intérêt pour une initiative qui sortait quelque peu des sentiers battus. J’entends par là les sentiers où l’on va de concert en festival, de dénonciation de la Françafrique en invocation du développement solidaire, de profession de foi humanitaire en subventions clientélistes. Je connaissais suffisamment Jacques Toubon pour savoir que sortir de ces sentiers ne lui déplairait pas. En proposant de s’interroger sur une histoire partagée, et sur la possibilité d’une vision commune des indépendances, JP Gourévitch proposait à l’évidence de s’engager sur une autre voie.
C’était tout à la fois s’interroger sur un fait majeur de l’histoire de l’Afrique (14 pays qui accèdent à l’indépendance la même année ce n’est pas rien, même à l’échelle de tout un continent !) et sur un fait majeur de l’histoire de France, cela dans un contexte géopolitique qui oblige à considérer l’évènement dans son environnement planétaire : décolonisation des autres pays, situation au Maghreb, Congo belge .
C’était aussi se demander si la réflexion sur une possible histoire partagée et décomplexée ne risquait pas d’ouvrir une boîte de Pandore et s’il ne fallait pas mieux laisser des cadavres dans les placards plutôt que de les voir revenir hanter une conscience française endolorie, voire meurtrie et complexée.
Fut-elle difficile à objectiver, la vérité en tout cas mérite d’être recherchée. Enjeu historique certes, mais non moins problématique enjeu culturel, car si l’on accepte mieux qu’hier le relativisme des cultures, on a du mal à admettre que chacune puisse nous révéler une vérité différente. Nous, Français, qui citons volontiers la formule « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » avons du mal à admettre qu’elle puisse être transposée. Combien seraient choqués d’entendre « vérité en-deçà du Sahara ; erreur au-delà » ? Reconnaîtrions-nous une identité aux Espagnols et pas aux Africains ? Et pourquoi donc ce véritable complexe ? Peut-être faut-il se demander avec le Professeur Michel Michel, conférencier du partenariat Eurafricain : « la prétention française à dire l’Universel n’est-elle pas le comble de l’ethnocentrisme ? ». Ceux qui viennent d’entendre le témoignage de notre amie Eugénie Diecky ou l’intervention de Philippe Laburthe Tolra, ancien président de la société des Africanistes y auront sûrement discerné des éléments de réponse
Aborder le questionnement de ce jour, c’était aussi pénétrer nécessairement sur le terrain de la politique car cela signifiait que peut-être ce qui fut de l’actualité brûlante, car l’accession aux indépendances ne fut pas idyllique comme l’ont rappelé les professeurs Bruno Modica et Yves Gourmen méritait de devenir un héritage à partager (au sens du partage évangélique qui enrichit chacun et non point du partage qui dépouille l’un et l’autre). C’était encore s’interroger sur des politiques éditoriales, sur le marché du livre d’histoire et sur bien d’autres choses. C’est l’occasion de remercier les éditions Nathan International et Mme La Hausse de la Louvrière, leur directrice, qui nous a apporté son aide et son soutien, suppléant ainsi l’impécuniosité des Pouvoirs Publics.
Ces interrogations traitées hier aujourd’hui sous la direction et la férule horaire de Jean-Paul étaient en filigrane dans le premier entretien avec Jacques Toubon. Elles n’ont pas suffi à l’effrayer et le comité du cinquantenaire a donné son label malgré, je crois quelques réticences de certains hiérarques du ministère parfois comparé à l’Armée rouge – pour le nombre de ses effectifs – plus craintifs au regard des poncifs du politiquement correct que mal intentionnés. Le comité du cinquantenaire à bien voulu ne pas les entendre. Qu’il en soit remercié !
Mais les craintes étaient bien injustifiées et je suis heureux qu’une partie des travaux aient été suivis par 14 représentants des 14 pays d’Afrique commémorant l’évènement. Vous en trouverez la liste parmi les participants. J’ai eu l’occasion d’évoquer avec eux notre colloque, ses thèmes et leur approche et à aucun moment je n’ai discerné qu’il puisse susciter des réactions négatives. Tous m’ont dit attendre avec intérêt les Actes. Les craintes pusillanimes étaient d’autant mois de mise que nous avons pris, avec succès, le « risque » de demander à Son Excellence Madame Hadja Makalé Camara, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Guinée en France, en Espagne et au Portugal d’ouvrir ce colloque alors même que son pays avait pris cette indépendance dès 1958, créant ainsi un espace douloureux de 52 ans dans les relations franco-guinéennes. Puisse ce colloque avoir contribué à refermer une parenthèse à un moment où ces commémorations coïncident avec les élections guinéennes.
Que soient remerciés également Pierre Geny, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer qui a bien voulu mettre son emblématique espace à notre disposition et le Président de l’Académie, M. Paul Blanc. J’ai été très heureux de l’entendre nous dire que l’Afrique et la France continueraient leur marche commune et je souhaite lui dire tout l’intérêt que le Partenariat Eurafricain porte à une collaboration accrue avec sa prestigieuse institution, véritable conservatoire de la mémoire franco-africaine.
Nous allons maintenant nous attaquer à la rédaction des Actes et je sais déjà que William Benichou qui nous a aidé à préparer ce colloque nous apportera l’appui du Quai d’Orsay pour la réalisation des Actes que, je l’espère, nous pourrons présenter lors de la prochaine réunion de notre comité de pilotage qui se tiendra en février 2011 à l’ambassade de Guinée. J’y proposerai que le Partenariat Eurafricain soit étroitement associé au colloque qui se tiendra en novembre 2011 sur le thème, entre autres de la forêt africaine, dans le cadre de l’année de l’ONU.
Après avoir décomplexé l’histoire, et surtout les historiens, allons prendre le verre de l’amitié.
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