Pratiques littéraires à Saint-Louis du Sénégal

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Saint-Louis, un désert culturel ? Sur les traces d’un éditeur et de deux auteurs saint-louisiens…

« Saint-Louis est une ville morte. Elle a été sacrifiée à la capitale », déplore Aboubakar Diop, unique éditeur de la ville. La littérature y rencontrerait les mêmes problèmes que dans le reste du Sénégal : pas de livres, pas de lecteurs, pas de circulation… Persuadé que le prix du livre ne suffit pas à expliquer la situation, Aboubakar Diop et sa maison d’édition Xamal, ont lancé une enquête sur le livre et le lectorat à Saint-Louis. Deux objectifs : susciter une enquête nationale et trouver des solutions locales. Les résultats sont en cours de publication mais Aboubakar Diop et quelques littéraires saint-louisiens se penchent depuis longtemps sur la question. Pour sortir la littérature de son isolement, ils élaborent des projets de tous ordres : comme faire soutenir l’édition de littérature générale par l’édition de livres scolaires (en pleine expansion) ou publier davantage de livres d’actualité (qui intéressent davantage les gens, à en croire le succès de la presse). Aboubakar Diop a même pensé vendre des livres à prix modiques dans tous les kiosques à pain du pays. Il a appelé cette opération « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain » et voudrait qu’elle fasse l’objet d’une vaste campagne médiatique et gratuite. L’éditeur est prêt à s’engager personnellement et professionnellement pour développer la vie du livre. Il cherche à intégrer les réseaux des éditeurs africains et à entrer en relation avec les maisons françaises. L’édition n’est pourtant pas son activité principale : Xamal est avant tout l’imprimerie de Saint-Louis. Aboubakar Diop l’a ouverte en 1979, chez lui d’abord, puis dans l’annexe de l’imprimerie officielle du gouvernement en 1990, où elle est actuellement.
L’épopée de Xamal
Né en Belgique en 1944, Aboubakar Diop est arrivé en 1974 au Sénégal, son pays d’adoption. Passionné de littérature, il avait toujours souhaité devenir éditeur : le métier d’imprimeur lui en a donné la possibilité. Aujourd’hui, seules les activités de l’imprimerie lui permettent de publier quelques titres par an, de genres divers car le marché local n’est pas suffisamment porteur pour une spécialité. Il confie : « Je conçois l’édition à Saint-Louis, un peu comme Alioune Diop, toute modestie gardée, quand il a lancé Présence Africaine. » En 1996, Aboubakar Diop a eu le coup de foudre pour un livre écrit par un saint-louisien : Le Choix de l’Ori de Louis Camara. C’est ce qui l’a décidé à franchir le cap : il est devenu éditeur. Le Choix de l’Ori est le plus grand succès de Xamal, en terme de ventes et d’image : l’ouvrage a reçu le prix du président de la République 1996 et il est actuellement au programme des collèges et lycées.
Louis Camara au pays des mythes
Louis Camara, auteur du Choix de l’Ori, vit et travaille à Saint-Louis. Il enseignait les lettres modernes dans le secondaire mais depuis peu, il est bibliothécaire au Centre de Recherche et de Documentation de Saint-Louis. Le Choix de l’Ori est un conte tiré de la mythologie yoruba Sur le même principe, il a également écrit Histoire d’Iyewa, publié chez Xamal en 1998. L’un est initiatique, l’autre plus réaliste mais les deux contes s’inspirent d’un même recueil de poèmes rituels. Recueil découvert par Louis Camara dans d’étranges conditions : il l’aurait vu en rêve avant de le trouver, par hasard, sur l’étal d’un libraire. Un signe ? Sans aucun doute pour un écrivain épris de merveilleux… Louis Camara se livre à un travail de réécriture : des poèmes yoruba, il fait naître ses contes. Il prend ainsi le risque de désacraliser la mythologie yoruba pour la faire connaître au-delà de ses frontières : « Ma démarche n’est pas nouvelle mais ma particularité c’est peut-être de m’intéresser à une culture africaine différente de la mienne. » Pour lui les mythes sénégalais sont moins vivaces. L’Islam, arrivée très tôt, aurait recouvert les croyances animistes. Certaines ont survécu comme le mythe de Mame Cuba Bang, déesse de Saint-Louis. Louis Camara a raconté son histoire dans un conte publié à Noël par le journal Le Soleil. S’il puise son inspiration en pays yoruba, l’écrivain affirme néanmoins une identité saint-louisienne en participant aux rares activités littéraires de la ville. Il est président par intérim du CRELIS : Cercle de Rencontre et d’Echange Littéraire de Saint-Louis. C’est une association qui compte une dizaine de membres permanents et organise des lectures pour promouvoir la littérature et la poésie. Une revue est en projet…
La politique de Mwamba Cabakulu
Mohamed Mwamba Cabakulu fait également partie du CRELIS. Né en 1954 en République Démocratique du Congo, il est professeur de Lettres à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis depuis 1990. Il est rédacteur en chef de la revue Langues et Littératures soutenue par l’Université et animateur d’une émission culturelle dans une radio locale. Auteur de plusieurs études sur la littérature africaine, il vient de publier chez Xamal, Scènes de ménage ou Ainsi va l’Afrique, sa première oeuvre d’imagination. Sur le modèle du théâtre populaire africain, cette comédie dénonce avec humour les mauvais fonctionnements de la société contemporaine. Mwamba Cabakulu y fait preuve d’un engagement modéré : « Je suis étranger au Sénégal et je veux conserver une certaine éthique. Et puis ici, le paraître semble primer. Je ne peut être radical dans un pays qui refuse le dévoilement. » En dépit de ses ambitions populaires, Scènes de ménages est un livre et, par conséquent, un objet de luxe principalement accessible aux élites. Mwamba Cabakulu cherche donc activement à faire représenter sa pièce, seule condition pour qu’elle touche le grand public et par là, atteigne sa plénitude. Mais, pour l’heure, ses démarches n’ont pas abouti.
Le manque de dynamisme de Saint-Louis est au coeur de ces trois témoignages. Selon les deux auteurs et leur éditeur, les projets restent en suspens, les manifestations déplacent peu de monde, les échanges avec l’extérieur sont réduits. Partagés entre ambition, scepticisme, découragement parfois, ils semblent considérer Saint-Louis comme un désert culturel. Pourtant, leur engagement personnel le dément : les deux écrivains travaillent sur plusieurs ouvrages et Xamal, qui vient de remporter le deuxième grand prix Alioune Diop de l’édition africaine, a déjà signé plusieurs contrats pour l’année 2000 et entreprend de trouver des partenaires dans le monde entier. Peut-on parler d’un « courant littéraire » ou d’une « littérature saint-louisienne » ? Peut-être pas… (une étude approfondie serait nécessaire). Mais il y a de toute évidence à Saint-Louis, autour de ces trois hommes, une génération qui se mobilise pour maintenir et pérenniser une activité littéraire locale. Un commencement…

Egalement publiés par Xamal :
Philippe Alcantara, L’Avenir du Sénégal, j’y crois, Saint-Louis du Sénégal, Xamal, 1997, 62 p.
Aminata Maïga Ka, Brisures de vies, Saint-Louis, Xamal coll. Jiba, 1998, 79 p.
Seydi Sow, Jusqu’au bout de l’Espoir. Roman, Saint-Louis, Xamal, 1998, 251 p.
Tita Mandeleau, Signare Anna, Saint-Louis du Sénégal, Xamal Editions, 1998, 253 p.
Louis Camara :
Louis Camara, Le choix de l’Ori.Conte, Préface du Professeur Issiaka-Prosper Lalèyé, Saint-Louis du Sénégal, Xamal Editions, Collection Djiba, 1997 (1996), 208 p.
Louis Camara, Histoire d’Iyewa ou les pièges de l’amour, Saint-Louis, Xamal, 1998, 141 p.
Mwamba Cabakulu :
Mwamba Cabakulu, Introduction à l’oeuvre de Sony Labou Tansi, écrivain congolais, Xamal, Saint-Louis du Sénégal, 1995.
Mwamba Cabakulu, Forme épistolaire et pratique littéraire en Afrique francophone. Etat des lieux, Xamal, 1995.
Mwamba Cabakulu, Scènes de ménage ou Ainsi va l’Afrique, Comédie en un acte et trois tableaux, Editions Xamal, 1999, 64 p.
Langues et Littératures, Revue du groupe d’études linguistiques et littéraires, n°3, mars 1999, Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. ///Article N° : 1454

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© Gérome Mateesco





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