Présence africaine en Irlande

A l'extrémité de l'Europe, un centre culturel africain…

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L’Irlande des poètes enfiévrés, des écrivains sanguins, des agités de la plume qui ont pour nom Oscar Wilde, Yeats, James Joyce hier, Seamus Deane, Seamus Heaney ou Edna O’Brien aujourd’hui. L’Irlande passablement bilingue où longtemps l’anglais et le gaélique se regardaient en chien de faïence avant que quelques écrivains ne les réunissent dans l’espace de leur oeuvre (Thomas Kinsella ou Michael Hartnett pour ne citer qu’eux). L’Irlande détaxée qui attire les écrivains français tout soudain visités par les anges de la fortune ou par la jouissance d’un grand succès commercial et qui nourrissent une méfiance tout aussi soudaine à l’égard du fisc. L’Irlande imbibée de littérature ou celle que les économistes désignent sous le nom de « Tigre gaélique » à cause de son essor…
Les clichés affluent, cette terre d’écriture s’en nourrit et les recycle à longueur de temps. Devant Merrion Square, tout en haut du Trinity College, où officiait encore il y a un an le professeur Roger Little, le meilleur spécialiste irlandais des littératures francophones, avec un penchant pour son versant historique, on se prend à rêver en vieux Dublinois de cette capitale à taille humaine, de ses ruelles impeccablement pavées, de ces maisons géorgiennes comme on pourrait les retrouver à Boston et au cœur de la Nouvelle-Angleterre. Et voilà que le fantôme de James Joyce s’infiltre dans votre conscience, et voilà que sur votre carte touristique clignote l’emplacement du centre à lui dédié – 35 North Great George’s Street. Vous n’avez pas tout saisi d’un coup de ce vieux centre urbain, vous reprenez votre carte pour la retourner dans tous les sens. Parnell Square est là, et juste derrière, vous voilà devant la maison natale de l’auteur d’Ulysse. Vous repartez comblé, vous avez joué au touriste lettré, vous avez fait votre choix dans le Dublin’s Top Visitor Attractions.
Adekunle Gomes, Ghanéen d’Irlande, est l’orchestrateur de l’association African Cultural Project qui a son bureau en plein centre de Dublin et milite pour une meilleure connaissance des cultures africaines au pays de Roy Keane, le chasseur de buts, et de Mary Robinson, ex-présidente et haut responsable onusien. Si la musique voyage aisément (un insipide AfroCeltic Sound System passe pour la dernière coqueluche de la scène multiculturelle locale), les efforts déployés pour promouvoir la littérature et les autres arts ne donnent pas immédiatement leurs fruits. Qu’importe ! Adekunle Gomes redouble d’énergie, contacte l’Alliance Française et le Service culturel de l’ambassade française pour inviter des écrivains francophones depuis quelques années. La petite communauté africaine suit ses projets et l’anthropologue soudanais Abdullah El-Tom et le sociologue rwandais Fidèle Mutwarasibo l’épaulent comme en témoignent les brochures que publient périodiquement l’African Cultural Project.
On ne peut que suivre d’un oeil attentif les prochaines étapes de cette aventure attachante. L’Afrique est ici prise dans son acception la plus large. Adekunle Gomes est attiré en ce moment par Madagascar, ses musiciens et ses écrivains. Et la traduction en gaélique d’une pièce de David Jaomanoro, La Retraite (Lansman, 1990), écrite en résidence à Limoges en 1988, devrait être un événement, une manière de rapprocher deux îles peuplées par des chasseurs d’utopie sans frontières.
Pour finir avec ce tableau, s’il est un pays européen dont les citoyens peuvent sentir et comprendre aisément les enjeux à l’oeuvre dans les littératures africaines (la question de la langue ou l’entreprise d’édification d’une littérature nationale, pour ne citer que deux exemples) c’est bel et bien l’Irlande. Il est parfois agréable de se sentir en terrain connu… au cœur de la vieille Europe.

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