Printemps des poètes 3 : Bris de Nil (Guadeloupe)

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Africultures célèbre la poésie en invitant des poètes-slameurs, de Dakar à Brazzaville, en passant par Paris, ou encore Lomé, à partager et déclamer un texte original. Un rendez vous hebdomadaire à ne pas manquer.

Cette gorgone aux traits calleux
Que la glace polie réfléchit
Mais… qui est-ce ?
Derrière ce faciès en ruine
Bosselé de combes et de combles
Affaissé en creux et en saillies
Un visage malheureux, de pierre.
Décroissant, des enfonçures de son front
Aux creusures de ses joues
À l’effondrement de sa mâchoire
Pendante, tombante, succombante…
Ses yeux constellés d’étoiles rouges. Vives.
Ce ne sont pas des étincelles
Mais des vaisseaux, des nefs sanguines.
Cette gorgone aux traits calleux
Que la glace, fut-elle concave, réfléchit
Mais… qui est-ce ?
Cette étrangère qui retranche mes souvenirs…
Sa seule vue, d’une entière vie,
Mes pensées, ampute…
Trichoma, elle a le cheveu gras
Des tifs, rebelles et rétifs…
Qui est ce corps à l’abandon ?
Dont le miroir me laisse une sale impression
Dont la surface renvoie une sale imitation
De moi… ?
Quelle est cette poupée désarticulée ?
Au teint fuligineux
Au regard brumeux
À la peau brouillée
Au souffle fumeux
Aux contours obscurs
À l’air rapiécé
Gonflée de bleus…
Moi… ?
Moi…
Avant j’étais un Nil
Un fleuve d’abondance
J’étais paisible. Tempérance.
Me contempler c’était atteindre l’Empyrée.
J’étais un havre, un port de paix
Mon corps. Libre. Exempt de chaînes
Mais il arriva tel un mordant hiver
Qui me glaça le sang
Qui me glaça de peurs
Au goutte à goutte, toxique infiltrat
En ma psyché
Angoisse !
Psychose !
Terreurs !
Psychique défaite
En moi c’était l’Arctique
Qui, Balkanisé, se morcelait
Et ma rivière gelée
Fut réduite en bris de Nil…
Sur moi, je pleure ce ça en moi
Prise aux fers en mon sein
Grippés les vices de mes reins
Ce corps agonique agonis de malheurs
Ce vagin cynique lacéré de douleurs
Disparue, l’enfant qu’elle éleva
Ma mère-courage
Ma mère-adage
« Aime un homme qui t’aime
Pas un homme que tu aimes… »
Maman où es-tu ? !
Je ne m’y retrouve plus !
Delirium Tremens sous sa coupe
À force de roustes et de beignes
Pourtant je n’ai pas la chatte teigne
Pour qu’il me filât tant de châtaignes… !!
L’Homo Neandertalensis… Contendant !
L’Homo Sapiens… Hypnotisant…
L’Homo Sexus… Pilonnant !
Frugales amours de ce singe nu…
Moi…
Avant j’étais un Nil
Un fleuve d’abondance
J’étais paisible. Tempérance.
Me contempler c’était atteindre l’Empyrée.
J’étais un havre, un port de paix
Mon corps libre exempt de chaînes
Mais il m’enveloppa tel un mordant hiver
Qui me glaça le sang
Qui me glaça de peurs
Au goutte à goutte, toxique infiltrat
En ma psyché
Angoisse !
Psychose !
Phobique !
Mentalement défaite
En moi c’était un Arctique
Balkanisé, morcelé
Et moi, rivière tarie
Réduite en sable du Nil…
Pourtant elle l’aime ce singe nu…
Souvent luminescent, l’homme de Florès
À qui elle donnerait sa flore à fleurer
Floune flirtant livrant sa fleur à déflorer…
Mais non à défleurir !
Ni son ventre à pourrir !
Pour à ce point manquer de flair
Il fallut que son odeur musquée soit enivrante
Elle était ivre de lui, ivre de son aura aveuglante
Dans une cécité existentielle dont la densité avait
Force de loi… Aveugle à tout…
À la fois état et séquelle…
Mais je dis « Elle »
Que ne dis-je « je » ? !
Car en moi vit-elle
Comme moi en elle…
JE…
Je me sentais cloche à être trop sonnée
Trop assommée ! Cognée ! Sifflée !… Au pied !
Perdant le fil de ma propre pensée
Mon histoire, entre parenthèses, embrumée…
Je ne suis personne… à moi-même aliénée…
Alors qu’aux prémices de nos amours
Charnelles, assoiffées, enragées !!
Il en était bouleversant
À m’en chavirer d’extase
À me tournebouler, désorientée
À chaque orgasmique baiser
À m’en remuer les tripes !
Ces mêmes tripes qu’il se plut ensuite
À saigner, à me les étaler
En vomissures…
Comment jadis ces lèvres succulentes
Qui susurraient sa jouissance à mon oreille
Étaient félicités pour ma peau-nectar
Peuvent-elles accueillir la cruauté
Des noms d’oiseau dont il sait m’affubler ?
Comment ses mains jadis flattant mes courbes
Protectrices, m’épargnant l’ennui, suaves, jamais fourbes
Peuvent-elles, les doigts serrés en un poing,
S’abattre, ces massues, sur mes reins
M’évanouir en strangulations ces serre-joints ?
Comment
Comment… ?
Ma peau de brocart, de tussah
Ma chute de rein, vertigineuse
Mes bras graciles, qu’il disait…
Et le bleuissement de martyres
Les abrasions des vaginales tortures
Qu’il m’inflige… ?
De l’Éden à la Géhenne…
Moi…
Avant j’étais un Nil
Un fleuve d’abondance
Paisible tempérance
Un havre, un port de paix
Et ce mordant hiver
Qui me glaça le sang
Qui me brisa les os
Je l’ai fui…
J’ai fondu en larmes
Dégoulinant ma peur
Jusqu’à l’apaisement
Rassemblant mon être
Feu continent noir
Je ne suis plus qu’une île
Mais en moi la vie encore se meut
Son cours reprend…
Son flot d’espérance
Je suis un Nil…

///Article N° : 11410

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