Pendant ces mois de juillet et août, la rédaction prend le pouls des capitales africaines. Tous les 15 jours, à travers une carte postale sonore, comme un arrêt sur images, nous plongeons dans une ambiance, sur le Continent : concerts de rues ou de bruits, de clubs ou de maquis, de jour ou de nuit, soirées privées, musiques et chants rituels Autant de facettes d’une ville qui se raconte en musique ou pas.
Mzuzu, nichée au cur de collines verdoyantes, au nord du Malawi. Ville épicentre du commerce agricole. En effervescence le jour, elle semble s’endormir la nuit tombée. Avec ses rares lumières électriques dans les rues, Mzuzu devient un labyrinthe de crevasses et d’égouts à ciel ouvert, dès que s’installe la pénombre à 18h. Trouver un mototaxi devient alors un défi en soi.
Ici, le samedi de juillet ressemble à n’importe quel autre soir de la semaine. Les rues sont désertes. Et seul ce curieux vendeur de légumes se presse encore sur le chemin. Mais il suffit de traverser le centre, d’emprunter l’autoroute M5 vers Nkhata Bay ou les rives du lac Malawi, pour que la ville reprenne soudainement vie. Toyota cabossées, foule amassée le long de la route, nous approchons du Mzuzu Lodge. Une ligne de basse au loin, et un foyer de lumière, depuis le jardin de l’hôtel. A l’entrée, nous filons 2000 kwacha aux vigiles, AK-47 à l’épaule. Sur une scène bancale, les Black Missionnaries, légende du reggae malawite, enchainent les tubes du répertoire. Des titres comme Dalo, Rastaman’s Wife et Tidzingocheza sonnent familiers. Célébrité nationale, ils sont écoutés dans les sounds systems, sur les ondes radio, en taxi comme au village. Leurs titres appellent à la générosité, sont largement dédiées aux Rastafari. Chantant en Chichewa, la langue-pays, ils vont de tournée en tournée, dans tout le pays. De voir cette foule reprendre en cur les paroles du groupe quatre heures durant nous en dit long sur l’immense reconnaissance que les Malawites de tous horizons portent aux Ma’ Blacks, leur petit nom.
Etroite bande de terre entourée de pays du sud de l’Afrique bien plus grands, le Malawi est connu comme « le cur chaud de l’Afrique ». Un pays dont l’hospitalité est sans mesure, malgré sa grande pauvreté. Un pays aussi, qui envie les scènes musicales de ses voisins, comme le Zimbabwe, dont le rayonnement est international. C’est vrai que les artistes locaux sont rares à se faire connaître. Les dernières productions estampillées world, telles que The Very Best et Malawi Mouse Boys, sont à peine écoutés, considérées comme des sonorités d’exports. Les bars, eux, préfèrent diffuser les sons pop d’Afrique du Sud et du Nigeria en lieu et place des valeurs nationales. Mais s’il y a des artistes à qui les Malawites accordent tout leur crédit, ce sont bien les Black Missionaries. Le groupe est né dans les années 1990 à Blantyre, centre économique du pays, où il est vite reconnu pour sa critique du pouvoir. C’était l’époque du président Muluzi, successeur de Hastings Banda, entre 1994 et 2004, avant qu’il ne soit lui-même remplacé par Bingu wa Mutharika.
Leurs interventions, notamment à travers une série de lettres ouvertes au président Muluzi, signées par le tout premier chanteur du groupe, Evison Matafale, leur ont valu un traitement de choc de la part des autorités. En 2001, Matafale succomba d’une pneumonie durant une garde à vue. Ce qui le hissa au rang d’une icône. Tous les rastas du Malawi le surnomme « prophète » depuis. Les membres actuels du groupe restent des figures influentes au sein de la communauté rasta, même s’il est vrai que le symbolisme politique et religieux de leurs chansons a perdu de sa force auprès des jeunes générations. Plusieurs amis de Mzuzu – la vingtaine ou la trentaine d’âge environ – remontent leurs meilleurs souvenirs du groupe à une époque où ils étaient eux-mêmes davantage préoccupés par les techniques d’approche des filles que par les critiques ouvertes au gouvernement. Lors de concerts se déroulant dans des fêtes d’écoles aux enceintes tonitruantes. Au son qui grésille
Ce samedi soir, les Black Missionaries déchaînent leur public à coup de groove bien senti. Les intermèdes sont assurés par le bassiste, Peter Aminu, qui, lui, s’inquiète de savoir si chacun passe un bon moment, ponctuant ses phrases d’invocations : « Rastafari ! » et « Sélassie ! ». S’il peine à se renouveler, chacun de ses mots embrase la foule. Aux premières heures, la piste de danse était occupée par des hommes au corps éméché. Désormais, le lieu se remplit, et c’est une piste de danse déjantée qui se dessine. Le sol est jonché de canettes de bière. Un épais brouillard de marijuana plane dans l’air. Une chose qui marque sur la piste de danse : la musique des Ma’ Blacks rassemble les hommes et les femmes. En effet, le choix réduit de boites de nuit à Mzuzu se résume surtout aux bordels. Et rares sont les occasions pour les femmes de sortir pour danser. Ce soir pourtant, la piste est pleinement investie. Garçons et filles se déhanchent et se croisent, leurs familles se tenant à distance, contemplatives. Tout-petits comme grands-parents sont au rendez-vous. Comme si le tout Mzuzu était réuni pour une nuit d’abandon au son des Ma’ Blacks.
Mzuzu, juillet 2015
Traduit de l’anglais par Caroline Trouillet
Read the article in english : « Reggae night in Mzuzu, Malawi »///Article N° : 13088