» Je suis le Nègre intemporel
Qui se balance au bout de pendules entrelacées comme des sarments de vigne
Malgré les champs de mines d’esprits piégés
Esclaves du temps «
Saul Williams (1)
La caméra d’or attribuée à Cannes dévie l’intérêt du film : les effets d’une caméra bien trop bougeante et les chromos à faire gémir rappellent davantage les pubs nord-américaines qu’une caméra d’or. La grande valeur de Slam est ailleurs : dans l’affirmation du verbe comme force rédemptrice. Ray (que le jeu détaché et tout en profondeur du poète afroaméricain Saul Williams met parfaitement en valeur) n’a que les mots pour résister à l’enfermement, celui de la prison qui vient couronner celui du ghetto. Il en joue avec assez de conviction pour se tirer d’affaire entre les deux bandes rivales de la prison qui le somment de choisir son camp ou pour en supporter la pesante réalité. Ils l’aideront à séduire la belle Lauren à qui le scénario attribue un double rôle d’amoureuse et d’éclaireuse, ce que Sonja Sohn réussit à faire passer à force de conviction dans les improvisations.
Slam évolue ainsi entre le convenu et le sublime mais s’impose finalement par l’énergie qu’il dégage. La salle de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en venait à applaudir après chaque slam de Saul Williams ! Explication de texte : le slaming est un art né aux Etats-Unis dans la rue qui, comme le rap, joue sur le pouvoir des mots. C’est de la poésie compétitive et non-improvisée : les poètes se produisent sur scène. Ils ont trois minutes pour convaincre le public de leur attribuer la meilleure note. Ces joutes oratoires sont une nouvelle manière de se réapproprier une parole qui devenait la propriété des intellectuels de salon. » Tout ce que mon personnage dit, c’est moi qui l’ai écrit , précise Saul Williams. On est très sérieux, on fonctionne comme des écrivains et on récite ce que l’on a écrit « .
Le slam est ainsi une nouvelle voie pour le hip-hop, plus proche des visées communautaires de ses débuts, qui prend distance avec le gangster rap et ses relents commerciaux où vendre des disques et vendre son âme se confondent allègrement. Il agit comme un ressourcement pour un rap issu des défis en forme de joutes musico-oratoires de ses débuts : les jam. Slam exprime sur le plan du cinéma une salutaire distance avec les maquereaux-dealers-vendeurs d’armes du cinéma de ghetto à travers un message simple : ne pas désespérer de soi. Il tire sa force de sa genèse même : la rencontre entre un réalisateur blanc tournant un documentaire sur l’adolescence dévoyée pour la chaîne CBS et un taggeur noir de 17 ans, Bonz Malone, qui cherche à se placer comme journaliste malgré ses démêlées avec la justice. Entreprenant une série documentaires sur les prisons, Levin constate que la population carcérale est dans sa très grande majorité composée de jeunes Noirs livrés à eux-mêmes. Un scénario se construit auquel tous les acteurs participeront. En dehors des slam, une grande place est laissée à l’improvisation. Et le tournage démarre dans une prison agressive où, dans la réalité comme dans le film, Saul Williams s’imposera en slamant au milieu de la cour :
» Mais où en sont mes Nègres ?
Oh non
Ne me dites pas qu’ils se sont égarés dans le labyrinthe du temps
Mes Nègres meurent avant l’heure
Mes Nègres meurent avant l’heure » (1)
(1) Dans la traduction de Thierry Marignac in : Les Chaînes de l’esclavage (Florent-Massot, 1998) qui reprend le texte slamé par Saul Williams dans le film.Etats-Unis, 1998, 1 h 40, écrit par Marc Levin, Saul Williams, Sonja Sohn, Bonz Malone, Richard Stratton, chef op. Mark Benjain, prod. Henri M. Kessler, Marc Levin, David Peipers, Richard Stratton (Off Line Entertainment Group), distrib. Mars Films.///Article N° : 552