Imonlè, Dire le monde, refuser la peur

Pénombre. Un homme, une femme. Il lève un long sceptre, ou bien est-ce un sexe ?
Sur les bords du plateau, deux autres comédiens observent et commentent. Lentement le long bâton se lève. Au commencement était le Verbe. Des mots sont prononcés, « Il était une fois ». Un cri s’élève, celui de Maguy Kalomba elle chante aussi. Le chant surgit régulièrement. Les cinq comédiens de la Cie Agbo Nkoko (Bénin) sont tantôt acteurs, conteurs ou choristes.

Dans un décor très soigné, Imonlè se déploie comme un triptyque.

On plonge tout d’abord aux origines des royaumes yoruba. Les comédiens évoluent autour des masques sacrés guélédé. Il est question d’un roi et d’une reine, de l’amour et du pouvoir. Prononcés dans une des langues parlées au Bénin, le spectateur occidental n’a pas d’autre choix que de se laisser bercer par la beauté des voix, des corps, des images.

Mais l’histoire de l’Afrique est aussi européenne, avec des chapitres sanglants. Dans sa partie centrale, Imonlè fait revivre la figure de Patrice Lumumba, assassiné en janvier 1961 avec la complicité des plus hautes autorités belges. En février 2002, le gouvernement belge a présenté des excuses officielles, comme le rappelle le spectacle.

Dans sa troisième partie, Ousmane Aledji laisse libre cours à sa fantaisie critique. Mélangeant proverbes et citations, de Thomas Sankara à Koffi Annan, évoquant la tragédie des Palestiniens ou la crise en Côte d’Ivoire, ce spectacle-patchwork met en crise cette actualité qui nous submerge. L’histoire est souvent tragédie, l’humanité est parfois poésie et Dieu a fait une grossière erreur en donnant des dents aux hommes. Depuis il se cache, il a peur, lui aussi.

Tonique, poétique et esthétique, Imonlé est un spectacle à la fois profondément béninois et universel. Dans le village global et l’économie mondialisée, le théâtre est une petite source d’humanité. Elle coule aussi en Afrique.

ELEN PUINEL