Taratata à Douala : des concerts endiablés

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Des concerts exceptionnels TARATATA se sont déroulés sur la plage de Tara à Kribi (Cameroun) les 23 et 24 juillet 2004. Reportage très personnel d’un animateur du CCF de Douala, qui a soutenu l’événement. Les photos sont à consulter ici archives/TARATATA.

Je me rappelle encore de Roon haranguer la foule avec ce jeu de mot musical, hymne festif, repris indéfiniment par un public métissé venu jouir les 23 et 24 juillet 2004 d’un double concert sur une plage idyllique de Kribi nommée Tara, à la sortie du spot balnéaire du Cameroun.
Une plage parfaite, anse sableuse incurvée façon Bahamas avec des rochers a la James Bond la délimitant. Lieu presque mythique où Yannick Noah a tourné son clip « si mon Papa Tara « . Une scène minimale, juste soulignée d’un décor végétal arraché sur place qui se fond dans la beauté grandiose du site, un univers intimiste en plein air avec peu de projecteurs et encore moins de gélatines.
L’élément équatorial est omnipotent et ramène les sept musiciens à une frêle condition humaine qui au lieu de les diluer dans la magie de cette nature exubérante les portent vers un duo siamois avec leur environnement
De part et d’autre de la scène, une installation du plasticien Salifou Lindou constitué d’un fût surmonté de lattes et de tôles fluos, une autre pièce celle de Marie Amilhon, qui a capoté un maillage de lianes et deux boules du même alliage sur une pirogue plantée dans le sable, le titre de l’ouvre est équivoque : « mes burnes « .
A l’entrée de l’hôtel, Guy Wouete a habillé la façade et les encadrements des portes avec des bâches aux tons rouge-carmin où une figure étrangement seule, semble garder ce passage initiatique vers l’arène des réjouissances.
Délimitant la zone dévolue au public (quelques sièges en plastique pour les DG et une piste sableuse pour les jeunes danseurs) un montage visuel réalisé par Patrick Eyoum diffuse sur grand écran un mixte de photos façon bouquets de sourires, les backstages de l’événement, des vidéos de l’artiste Goddy Leye et la retransmission en live du concert.
Les sponsors (principalement des boissons alcoolisées) sont relégués sur un emplacement qui n’est pas sans rappeler les tentes de festivals européens, tandis que le village camping-artistique, trouve naturellement sa place juste a l’écart de la promiscuité de la fête.
Le premier concert a lieu à huit clos devant 300 personnes, sorte de répétition générale où le public est rapidement saisi par la qualité artistique du plateau sélectionné notamment par la virtuosité du saxophoniste, Alain Oyono qui distille sous la voûte céleste ses volutes cuivrées et subtiles.
Au cour de cet esprit jam, Denis Moussinga, le pianiste qui nous déjà fait partager son sens d’improvisation harmonique cède sa place à Eko Roosvelt, star de la chanson camerounaise des années soixante dix et chef traditionnel du village voisin des chutes de La Lobé.
Eko accompagne avec un brio tout juvénile cette nouvelle génération de musiciens en quête de reconnaissance et égraine pour un auditoire médusé quelques-unes de ses compositions crées dans ce périmètre océanique favorable à l’inspiration.
Le samedi soir, c’est la fièvre tropicale, les musiciens peut être sur-motivés pour le dernier concert, vont jusqu’au bout d’eux même surtout les deux chanteurs Landry Biaba et Bill Muicha, qui par leur verve insatiable ont tendance à décontenancé Roon, observatrice impuissante et amusée de leurs frasques vocales.
Landry déclenche les prémices de l’hystérie collective, en s’avançant hors de son pré carré, vers les spectateurs pour se prosterner sur le sable tel un mage possédé par une incantation à faire vibrer la foule. La césure scène/public est tombée, quelques illuminés l’encerclent dans une ronde vertigineuse.
Puis c’est au tour de Bill, qui fort de son expérience d’artiste bourlingueur fait enfin jaillir son talent sur un surprenant coupé-décallé (tube du moment au Cameroun) acoustique improbable : le public se lève d’un seul homme d’un seul coup, et se répand autour de l’artiste devenu l’animateur complice d’un dance-floor sensuel. Bill est en transe, mène la danse, calme le jeu, « balle à terre « , il fait  » tomber les pantalons « , « soulève les jupons « . Tout en continuant son show, des belles de nuits l’enlace et la soirée bascule définitivement en une rave-party africaine.
Appelé fraternellement par Bill, la guest-star du samedi soir, Manuel Wandji (arrangeur et producteur d’Henri Dikongue) s’installe aux percussions, aux côtés de JP jeune percussionniste de 16 ans qui accompagne le temps de quelques chansons le Grand Frère dans un échange total où l’envie carnassière et ludique de jouer ensemble, se propage au public unis par cette vague de bonté.
Une des derniers morceaux s’achève dans un majestueux solo de guitare de Kobo, où le son électrique hard rock à la mad max devient outrageux pour la solennité du cadre ambiant, en tous cas complètement déphasé avec la mer qui affleure gentiment à nos pieds
L’enchaînement est idéal, Conning Dzing, compagnie de danse contemporaine de Douala, prend le relais à la fin du concert et propose leurs arabesques corporelles autour du feu, au son des percussions propice à réveiller les pygmées de la foret.
Toujours cette impression de festival qui n’en finit pas, exacerbé par la pluie de 2h du matin qui repousse les derniers fêtards pas encore rassasiés de frapper sur des cuillères à l’abri sous la terrasse de l’hôtel.
Ereinté à trois heures du matin, je m’accorde une baignade cinglante. En me retournant vers la cote, je pense à Manu Chao, au Full Moon Party de Taïlande, aux teufs des freaks de Goa, sauf qu’ici c’est l’Afrique et ces références ne sont d’aucun secours pour qualifier la vision de cette agitation irréelle susceptible de mettre par-dessus bord les pécheurs en vadrouille nocturne : un hôtel à taille humaine éclairé par des nasses de crevettes, et plus loin, la plage en furie transformée pour l’occasion en boite de nuit où les pompes d’excellences sont proscrites pour une exaltation optimum des corps.
Panorama fugace et violent, instant de bonheur diffus, je replonge dans l’écume noire pour y croire.

Sylvain Cornevaux est Animateur culturel-CCF Douala [email protected]///Article N° : 3470

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