Tisser, de Jean-Luc Raharimanana

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Le nouveau roman de l’écrivain Jean-Luc Raharimanana mobilise les contes et mythes malgaches à travers la voix d’un enfant mort-né. Dominique Ranaivoson, maitre de conférence en littérature à l’université de Lorraine analyse Tisser. 

Raharimanana est un auteur prolifique qui poursuit une oeuvre en franchissant sans cesse les frontières de genres littéraires. Après un cycle sur l’insurrection de 1947 à Madagascar, des textes de théâtre, de la prose traversée par les contes et rythmée par la poésie, il mêle l’autobiographie aux interpellations lyriques et rugissantes sur l’état de son pays et du Sud en général. Après Revenir (Payot Rivages,2018), voici donc Tisser, un texte bref publié au Québec qui tient du soliloque et de la revendication collective, du réel et du rêve. En effet, la narration oscille entre le singulier et le pluriel : « Alors, venant à cette île, né-mort du ventre de cette femme, je dis nous, je regrette, je dis vous, je regrette, mais mon désir est de renouer ce fil, toujours, renouer » (18).

Le narrateur est donc un fœtus mort qui développe toute une réflexion sur l’état du monde. Son île n’est pas nommée mais il raconte des contes dont les personnages ont des noms malgaches. Il tire un fil qui renvoie au titre, qui lui-même fait allusion à un proverbe malgache comparant l’humanité à une grande natte (Tsihy be lambanana ny ambanilanitra) et qui permet au poète de créer de mot « entrelianer » (45). Le texte se concluera sur cette récupération de la métaphore ancestrale : « cette écriture doit être la natte sur laquelle mes enfants, les enfants de mes enfants, plus tard, assez loin, le plus loin possible, s’assoiront » (91) élargie aux confins du continent : « le grand tissu africain a connu une grande déchirure » (88). Il est donc entendu que ce « non-né » sera la voix d’un auteur traversé autant par le verbe et ses enroulements que par la colère alimentée par le sentiment d’impuissance.

La métaphore structurera une alternance de contes qui ramènent aux origines de l’ancestralité et donc à l’unité et de réflexions sur un présent déchiré hérité du colonialisme puis des prédations diverses. Reviennent sans cesse des images des ouvrages précédents : le rêve, le chant dans la folie, la révolte, la paralysie sous le regard des dominants, la dénonciation des prédations, le saut de la falaise, la mémoire perdue, le corps mort, le désastre : « De la répétition du dire et du malheur » (50). L’imitation de Césaire est toujours là dans la thématique, le rythme, l’usage des majuscules, la posture du prophète : « Mon cri n’est pas mon cri ma voix n’est pas ma voix mes pleurs ne sont pas mes pleurs […] Corps d’écho des mots chuchotant corps rampants des cris déjà debout être être je tais ma colère » (54-55).

La finalité d’un tel discours obsédant et schématique trouve ses limites dans l’objectif qui semble être chez Raharimanana à la fois plus vague et plus ambitieux que la révolte des noirs : « Je laisse cette histoire sans en tirer une morale. […] La sagesse est pour ceux qui n’imposent pas une leçon mais incitent à la réflexion et à la tolérance » (58). Pourtant, la morale est énoncée à la page suivante : « Si ce tissage se porte mal aujourd’hui, c’est que nous, tous, du nord au sud, d’est en ouest, nous avons oublié les liens qui relient, les fils qui sont là malgré tout » (59). Les contes auront servi à rappeler la mémoire perdue dans un processus de « sublimation en double tranchant » (83) accusatrice de tous puisque l’effroyable emmêlement des fils est désigné comme la source de toutes les aliénations (85). Un texte qui apparaît, comme l’œuvre en couverture de l’artiste Zoarinivo Razakaratrimo qui travaille le tissage, noir, emmêlé et étouffant.

Dominique Ranaivoson

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