Le 1er avril 2012, Tombouctou et sa région, à l’instar des autres grandes cités du Nord Mali (région de Kidal et région de Gao), tombait aux mains du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Une ville « aujourd’hui méconnaissable, selon des observateurs de France 24, car elle s’enfonce en silence dans l’islam radical ».
Le 2 avril 2012, le bureau politique du mouvement tentait pourtant d’apaiser les pays voisins du Mali par un communiqué : « Nous rassurons les États voisins, les populations de la sous-région et la Communauté internationale que la libération de l’Azawad contribuera à renforcer la sécurité, le développement et la paix pour une meilleure intégration des peuples, des cultures et une meilleure stabilité dans la zone saharo-sahélienne ».
Tombouctou n’est cependant pas seulement occupée par le MNLA ; sur place, le mouvement islamiste Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali, impose depuis début avril son emprise sur la région de l’Azawad, une présence renfoncée par des groupes se revendiquant d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Interrogé par l’agence de presse Reuters peu de temps après la prise de Tombouctou, Shamil Jeppie, professeur à l’université du Cap, expliquait qu’il était désormais envisageable que l’occupation rebelle coupe Tombouctou du Sud du Mali, plongeant la cité historique dans l’isolation qui a été la sienne pendant les siècles passés. Une question sécuritaire évidente, associée à des enjeux patrimoniaux essentiels.
Car Tombouctou et ses 30 000 habitants c’est aussi « la ville savante et la ville des 333 saints’aux innombrables mausolées’ et où pratiquement chaque concession est un patrimoine », comme le soulignait Hamady Bocoum (Directeur du Patrimoine culturel au Sénégal et de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire), lui qui, le premier, exprimait les risques qu’une occupation islamiste fait courir à un patrimoine pluriséculaire.
Tombouctou, « ce centre pulsatif de l’intelligence africaine, Tombouctou et ses centaines de milliers de documents de mathématiques, d’astronomie et d’autres sciences qui ont défini de manière inébranlable le savoir africain, et produit des textes influents dont ces Chroniques de Tombouctou, écrites de 1493 à 1599″, pour citer l’écrivain Alain Patrice Nganang. Fondée entre le XIe et le XIIe siècle, la cité mythique s’est hissée au fil des siècles au rang de principal centre universitaire d’Afrique. De nombreuses régions du continent, des intellectuels venaient y étudier. La ville n’en était pas moins isolée du reste du monde et sa légende suscita de nombreux phantasmes et vocations d’explorateurs, à l’image de René Caillé dont on se souviendra de son incroyable Voyage à Tombouctou (1824-1828).
Si Tombouctou n’est aujourd’hui plus le cur intellectuel de l’Afrique de l’Ouest qu’elle a été, elle n’en demeure pas moins un symbole et un lieu de préservation. La Malian Manuscript Foundation, impliquée dans la préservation du patrimoine ne dénombrait pas moins 24 collections privées dans les différentes zones de Tombouctou, à l’image de l’institut Ahmed Baba, de la collection Fondo Kati, de la bibliothèque privée Haidara ou des mosquées Sankore, Sidi Yahia et Djingareiber
autant de lieux d’Histoire avec un H majuscule et de cultures au pluriel.
Shamil Jeppie expliquait : « Certains textes ont été cachés pendant des générations dans des habitations de terre et dans des caves, par des familles de Maliens craignant que les collections ne soient volées par les envahisseurs marocains, des explorateurs européens ou des colons français ».
Fragilisés par le temps, rédigés en calligraphie ornée, allant de traités savants à d’anciennes factures de commerce, ces documents constituent une somme de connaissances pluridisciplinaires, incluant aussi bien les domaines du droit, des sciences, de la médecine, de l’histoire ou de la politique. Ces collections que certains experts comparent en importance aux manuscrits de la Mer Morte sont désormais aux mains des rebelles et de leurs AK-47.
S’il est besoin de le rappeler, la ville a été déclarée « patrimoine mondial de l’Unesco » en 1988. La Directrice Générale de l’Unesco, Irina Bokova, s’était d’ailleurs émue du danger qui plane sur le patrimoine malien en lançant un « appel au respect des ressources de Tombouctou », le 4 avril 2012.
Nous parlons au passé, car ce patrimoine n’est désormais plus seulement menacé, il est en grand péril, et les premières dégradations ont débuté.
Nous citons l’Agence France Presse : « Vendredi (1), des gens d’Aqmi, appuyés par (le groupe armé islamiste) Ansar Dine, ont détruit le mausolée du saint Sidi (Mahmoud Ben) Amar. Ils ont brûlé le mausolée ». Cette déclaration a été faite à l’AFP, sous couvert d’anonymat, par un des adjoints au maire de Tombouctou.
Une profanation qui fait, hélas, écho à un précédent que signale Ismaïla Samba Traoré écrivain et éditeur malien : « Un des premiers actes des forces armées, lorsqu’elles ont investi la ville de Douentza, ça a été justement de détruire le monument Djina Dogon ». « On n’est pas dans l’Islam, on est dans la dégradation de toute trace de civilisation et de savoir », ajoutait-il.
Pour l’instant, les différentes collections privées ont été conditionnées par leurs propriétaires, faute de pouvoir être déplacées hors de la cité. Nous sommes désormais dans l’attente et l’espoir d’une éventuelle opération d’exfiltration de ressources maliennes en grand danger. L’isolement de la ville rend, hélas, très difficile une évaluation précise des documents et des meilleurs moyens de préserver le patrimoine de Tombouctou.
Il reste à s’interroger sur ce que peut faire la communauté internationale (au sens le plus large du terme) pour sauvegarder un patrimoine universel. Si l’on a à juste titre déploré les conséquences humaines épouvantables que la folie des uns et des autres a provoqué lors du conflit en Libye, on a, par contre, bien peu parlé des ravages causés sur l’immense patrimoine libyen.
On espérera, enfin, que les solutions qui seront choisies pour Tombouctou et les cités du Nord Mali, préféreront les populations et la culture qu’elles préservent et incarnent, aux intérêts géostratégiques, politiques ou économiques
Pour terminer, nous laisserons la parole au professeur Baba Akib Haïdara, ancien ministre de l’Éducation nationale et ex-représentant de l’Unesco au Mali. L’intellectuel, qui a consacré toute sa vie à la restauration et à l’étude des manuscrits de Tombouctou, est cité par Radio France Internationale : « Je souffre et avec moi, tous souffrent de la même façon
On régresse, on régresse, c’est inacceptable
on s’attaque à des valeurs, à des esprits, à ce qu’il y a de profond dans l’âme de Tombouctou
Il faut dire à l’Unesco de mobiliser l’opinion internationale
Ce n’est pas ça l’Islam et ça peut devenir une grande catastrophe si on ne fait rien ».
(1) 3 mai 2012Cet article est publié en partenariat avec la revue Mosaïques, mai 2012.///Article N° : 10735