La diversité était hélas devenue une denrée bien trop rare dans le rap. Ce cd « tombé du ciel » en est une expression enthousiasmante.
Pas étonnant : il nous vient de la « nation arc-en-ciel » !
Depuis près d’un siècle l’Afrique du Sud a toujours su absorber et acclimater avec ingéniosité toutes sortes d’influences musicales extérieures, notamment afro-américaines. Dès les années 1920-1930, ce fut le premier pays capable de réinventer d’une façon originale le blues, le gospel et le jazz, puis le rhythm’n’blues et la soul, avec une remarquable indépendance par rapport aux modèles originels.
Cet album étrange et captivant démontre la même singularité sud-africaine dans le domaine du rap, bien que ce mot ne puisse résumer la musique, d’un éclectisme très extrémiste, de Tumi and the Volume.
Tumi Molekane s’est d’ailleurs fait connaître en éditant ses poèmes avant de les dire, de les enregistrer et de s’imposer comme rapper
Et quel rapper !!!
Écoutez par exemple la façon infaillible dont il swingue sur les syncopes de la batterie dans « Sticks & Stones »
Tumi ne s’est d’ailleurs pas trompé de modèles, puisqu’il avoue s’être éveillé au rap en écoutant Kurtis Blow et LL Cool J.
Tumi est un enfant de la fin de l’apartheid : né en 1981 en Tanzanie où sa mère était exilée, il y a grandi dans un camp d’entraînement de l’ANC. 1992 : amnistie. À onze ans il est brutalement plongé au cur de Soweto et découvre au lycée l’antagonisme raciste – et aussi religieux car il est d’une famille musulmane. À la journaliste canadienne Denise Benson, il expliquera : « c’est alors que j’ai commencé à prendre au sérieux ce que me disait ma grand-mère, et aussi le fait de scander des rimes, comme une sorte de catharsis. »
Musicalement, le déclic décisif viendra de sa rencontre, au début des années 2000, avec le bassiste « blanc-juif » (tel que Tumi le qualifie avec une ironie affectueuse) David Bergman et deux Mozambicains, le guitariste Tiago Paulo et le batteur Paulo Chibanga, issus d’un groupe local de dub dénommé « 340 ml » (contenance des canettes de bière). Au fil de leurs jam sessions dominicales au Bassline, un club fameux du quartier de Melville, l’osmose s’idéalise entre la voix passionnée de Tumi et ce trio instrumental aussi incisif qu’explosif qui se baptise « The Volume » – référence aux 340 ml mentionnés ci-dessus
De la première à la dernière note, on n’a aucun doute sur le fait qu’on entend chanter et jouer une vieille bande de copains, et c’est agréable.
On a d’ailleurs rarement entendu, dans l’histoire du rap et du slam, une telle harmonie entre diction et improvisation musicale
L’influence des trios de Jimi Hendrix est assez transparente à certains moments – comme au début de « Bus Stop Confessions » ou à la fin de « The Story behind the Pain ». En outre tout l’album est un hommage très érudit à l’héritage monumental du jazz sud-africain – un thème est d’ailleurs dédié au génial contrebassiste Johnny Dyani. Cependant il n’y a ici jamais rien de banal ni d’évident. D’une seconde à l’autre on passe du jazz au drum’n’bass, d’un désopilant pastiche du kwaito (« Ladies & Gentlemen ») à une auto parodie de rapper. Le tout est ponctué de superbes solos de trombone, ou de ponctuations délicates de violon et de violoncelle. « In a Minute » séduira les fans des Zap Mama comme ceux de DeLaSoul. Quant à ceux qui ne jurent que par le dancehall et le ragga, ils trouveront aussi tout leur bonheur ici, ainsi que les nostalgiques de John McLaughlin ou de Frank Zappa.
Il n’y a dans tout cela rien de très extraordinaire, sinon qu’il s’agit d’un disque de rap (celui d’un rapper exceptionnel) et qu’à force de perdre tout esprit critique (contrairement aux rappers) on en oublierait presque que le rap, c’est aussi de la musique.
Tumi and the Volume nous rassurent sur ce point, définitivement.
De la première à la dernière seconde, tout est musique dans ce cd, uvre de musiciens tous habités par l’amour et le respect de leur art.
Tumi & the Volume (Sakifo Prod)
(*) Tournée en France de Tumi & The Volume :
Épinay-sur-Seine (13/10) ; Agen (18/10) ; Paris, La Bellevilloise (19/10) ; Châteaulin (20/10) ; Creil (21/10) ; Cergy (24/10).///Article N° : 6985