Une République qui nous respecte

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Le rêve, possible encore, dans le poing qui se lève (sans s’abattre)
Bertold Brecht

Voilà plus de trois ans que les mots servent de lances et d’obus. Etait-ce le début, en juillet 2002, à l’Assemblée Nationale, lors des débats sur la loi d’orientation sur la sécurité intérieure ? Le ministre, déjà le même, tenait à la tribune des propos guerriers pour présenter un texte aux intentions manifestement belliqueuses. Je lui ai dit alors qu’il préparait la guerre civile en France. Il a réagi en monarque susceptible mais offensif, me signifiant que ni ma qualité de femme ni mon appartenance aux ‘DOM-TOM’ne m’autorisaient à lui parler ainsi. En une phrase, il avait posé la préséance virile et révélé son tropisme obsessionnel sur l’origine des personnes. La charge de cavalerie verbale s’est poursuivie depuis, fabriquant la légitimité des assauts par les actes tels que les traques dans les halls d’immeubles, le bourrage des prisons, le démantèlement de la police de proximité, le démaillage social par l’asphyxie du réseau des éducateurs et médiateurs. Mais le ministre n’est pas seul en cause. Tous ceux qui l’ont flatté, craint ou admiré dans ses numéros de saltimbanque narcissique partagent avec lui la responsabilité d’avoir creusé dans le cœur de millions de Français de tous âges un sillon d’amertume et de rancœur. Les plus vieux amortissent. Ceux qui sont dans la fleur de l’âge serrent les dents et les poings. Les plus jeunes n’acceptent pas qu’ayant pourri leur avenir après avoir abîmé leur présent, l’on puisse impunément y ajouter l’humiliation, la provocation, le mépris.
Aujourd’hui, la parole publique française est superstitieuse. Elle a peur de nommer la nature des choses et croit conjurer ainsi les malheurs qu’elle se prépare. Elle entonne le refrain des malfrats de banlieue qui organisent le désordre pour s’assurer le contrôle des territoires. Ces malfrats sont l’alibi éculé de la défausse pour économiser des actions publiques, en refoulant la justice sociale, l’éducation, la culture au rang de colifichets pour Elus avachis. On sait que les bandits aspirent, comme les délinquants en col blanc, à la stabilité et à la tranquillité, qu’ils ont besoin que la police et la justice regardent ailleurs. La parole publique est radoteuse, délibérément trompeuse. Car il est certain que si ces malfrats étaient combattus par temps calme et qu’étaient éradiqués les trafics de stupéfiants et d’armes qui narguent et fissurent l’état de droit, disparaîtrait alors le précieux prétexte qui permet d’absoudre les défaillances d’Etat et de caillasser ‘la racaille’globalisée, sans état d’âme, avec l’arrogance du bon droit abritée derrière ‘la force injuste de la loi’. Dans ce jeu pervers, la responsabilité des Politiques est énorme. Elle est à droite, massivement, cynique. Elle est à gauche, lamentablement, pusillanime. Consensuelle sur l’ordre à rétablir. Quel ordre ? Celui de la discrimination, de la relégation, du préjugé de couleur, de la culpabilité ethnique ?
Même leurs efforts pour compatir sont pathétiques ! Ils parlent, en passant, presque en courant, de la mort regrettable de deux adolescents. C’est la faute à ‘pas de chance’. Que savent-ils des éclats tranchants qui lacèrent les cœurs devant ces destins concassés ? Que comprennent-ils de l’inquiétude au quotidien de ces mères, de ces pères obstinément attelés à dispenser une éducation que les injustices sociales rendent obsolète ? Que perçoivent-ils de ce génie de la dérision qui rend les privations supportables ? Qu’entendent-ils des angoisses familiales lorsque ces enfants trompent la vigilance pour aller respirer dehors, en quête de l’espace qui manque dans les appartements exigus, de l’air de liberté qui donne de l’insouciance, de la camaraderie qui déroute la désespérance ? Que devinent-ils de l’immense béance laissée par ces deux enfants qui ne rentreront plus, ne bouderont plus, ne traîneront plus au lit le matin, occupés à prolonger les rêves de la nuit à l’heure de l’école, de cette école qui ne fait plus rêver ? Quelle part consentent-ils à prendre dans l’engrenage tragique des dérives en zones désécurisées où un enfant perd son père en un éclair dramatique ?
La parole publique est foireuse. Elle doit redevenir courageuse et audacieuse. Et se hisser à la hauteur des défis posés : faire vivre ensemble sur le même territoire, avec la conscience d’un destin commun, ceux que les friches industrielles et les reconversions agricoles ont fracassés, ceux que l’on prend pour des étrangers et qui sont les enfants de France, sans pays de rechange, et réserver à tous autant d’égards qu’à ceux qui dictent au monde son rythme et sa direction depuis les balcons de la Bourse. Des égards et de la justice, au nom d’une République exigeante et juste, d’une République qui nous respecte.

Source : Collectif des Damnés de la Terre – www.damnes-delaterre.org – [email protected]///Article N° : 4143

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