Une saison en Afrique

Entretien d'Erika Nimis avec Philippe Guionie

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Philippe Guionie est un jeune photographe français qui s’est découvert une passion pour l’Afrique, en même temps qu’il découvrait l’outil photographique. Sa dernière exposition « Une saison en Afrique » a été présentée à Toulouse, au centre culturel des Mazades, en mars 2001 et sera reprise en mai. Cette exposition rassemblait une trentaine de photographies noir et blanc sur les « tirailleurs sénégalais » (rencontrés au Bénin) et sur les « Hommes de l’eau » (pêcheurs du lac Nokoué, près de Cotonou). « Rencontres » serait le terme définissant le mieux le travail de Philippe Guionie qui, pour interpeller son public, expérimente une forme très originale de « vernissage théâtral ».

Pourquoi avoir choisi de photographier l’Afrique ?
A la base, il y a forcément des rencontres, des raisons très personnelles, amicales ou sentimentales qui font que l’on s’intéresse à un continent, à des pays, à des cultures. Paul Valéry disait : « ce qu’il y a de plus profond, c’est la peau ». Et moi, j’aime la peau noire, j’aime la photographier. C’est un constat de départ.
Comment définiriez-vous votre démarche ?
our moi, c’est une démarche d’auteur. Moins une démarche de photojournalisme au sens premier du terme. Je ne couvre pas de région concernée par une actualité chaude et guerrière. C’est plus une démarche d’auteur photographe, ce qui explique que je me donne du temps. Je fais très peu de photographies quand je suis en reportage. Ce n’est pas par souci d’économie, c’est ma façon de photographier, parce que je rencontre beaucoup, je parle beaucoup. Quand je suis en Afrique, je voyage très, très peu. Je travaille dans un rayon de 50 km maximum, et je tourne, et je tourne… Sur le lac Nokoué, au Bénin, j’avais un surnom, c’était « le Blanc qui revient toujours ».
Comment êtes-vous venu à photographier les anciens combattants ?
Le thème des anciens combattants est venu tout naturellement. A la base, j’ai une formation d’historien. Ce sujet, j’avais commencé à le traiter de façon universitaire. Et puis je me suis dit que c’était un peu dommage de ne pas le traiter autrement, notamment par l’image, comme pour faire un devoir de mémoire par l’image, photographique en l’occurrence, et ça, j’y tiens énormément. Le but est de rendre un hommage à ces soldats. Et c’est aussi de montrer que ces tirailleurs, puisqu’on les appelle ainsi, sont nos contemporains. On a toujours l’impression que ce sont des gens du passé. Ils sont encore là, et ils ont des choses à dire. Comme ils n’ont pas toujours trouvé des interlocuteurs avec qui parler, j’avais envie d’être celui-là, par la photographie, par une rencontre.
Vous avez également entamé un travail sur la lagune…
Je traite de façon concomitante un second thème : les civilisations lacustres en Afrique. Encore une fois, j’ai commencé par le Bénin et les pays limitrophes, dans la sous-région. Mon but est de montrer l’osmose, depuis deux siècles, qu’il y a entre les individus et leur environnement naturel, c’est-à-dire le monde de l’eau. Eux, ils vivent par et pour l’eau. Mon désir est de montrer cette Afrique qui vit au quotidien. Un peu comme les anciens combattants, ce sont des images qu’il faut aller chercher, patiemment.
Parlez-nous du vernissage de votre exposition qui se voulait une rencontre entre des mots et des photos.
La photographie, c’est tourné vers les autres. Les vernissages, j’ai envie que ce soit interactif, dynamique et sensible. J’ai fait la rencontre de deux comédiens, Corinne Vrignon et René Rey, de la compagnie « L’Espace Libre ». Pendant quatre mois, nous avons travaillé sur une mise en scène théâtrale, à partir de mes images et de mon carnet de route. C’est plus une mise en mots, finalement. Cette mise en scène, je la voulais très, très sobre : porter un regard simple sur l’Afrique, par mes images et par un jeu de voix et de lumières décalées… Nous sommes aussi allés puiser dans la littérature africaine. Lors du vernissage, les comédiens ont lu des extraits d’Amadou Hampâté Bâ, de Léopold Sédar Senghor et d’autres auteurs moins connus, mêlés à ma parole et à des enregistrements sonores que j’ai faits là-bas, notamment des chants d’anciens combattants. Le but était de donner aux gens des images à voir et à entendre.
Est-ce que la lecture de votre journal (lors du vernissage) ne brise pas un peu le mystère que vous laissez planer sur vos images ?
Non, mon journal est sur la même ligne. Dans mon journal, j’essaie de mettre en évidence tout ce qu’il peut y avoir avant l’acte photographique, tout ce qui amène à une photographie, toute cette déambulation faite d’impasses, de choix, de rencontres, de déceptions, de peurs, de tout ce qui est en amont, de ce qu’il y a pendant aussi.
Il y a une dimension très affective dans certaines de vos légendes.
Je voulais des légendes très simples, très intimistes. En face de moi, il y a le portrait d’Anselme qui était l’un de mes guides : « Anselme, 5 ans » et je l’ai surnommé « Mr Paresseux », parce qu’au début du reportage, il ne voulait rien faire. Après, on est devenu inséparable. Il y a des légendes que je ne mets jamais dans mes reportages, parce que j’estime que les photographies se suffisent à elles-mêmes et que je n’ai pas envie de donner trop de détails, dans la mesure où je constate que les gens s’arrêtent trop souvent à la légende.
Pour revenir à Toulouse, vous y avez entrepris également un travail qui pourrait s’intituler « Afrique sur Garonne »…
99 % de mes images, c’est l’Afrique, en Afrique et aussi en France. Ça fait dix ans que je vis à Toulouse. Et j’y ai grandi avec des Africains. J’ai eu envie de montrer la communauté noire de Toulouse, nombreuse et diverse, par ses origines, ses activités et ses intérêts. C’est un travail en couleur qui n’est pas terminé et que je n’ai pas encore montré. Encore une fois, il y a derrière une volonté pédagogique et militante : c’est montrer que cette communauté noire de Toulouse existe, c’est montrer qui elle est. Je fais aussi en parallèle un petit travail sur la religion catholique en rite zaïrois.
Comment le public africain reçoit-il vos images ?
Il y a quelques temps, la librairie Privat (à Toulouse) a organisé une rencontre autour de mes images. Un ancien réfugié politique congolais m’a interpellé en me demandant quelle était ma responsabilité en tant que photographe blanc sur le continent africain. Je lui ai répondu que j’assumais pleinement ce que je faisais. Je ne pense pas que la photographie puisse vraiment retranscrire une réalité. Mes réalités africaines d’hier et d’aujourd’hui sont forcément subjectives. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer une Afrique positive. Ce n’est pas possible de rester neutre quand on fait de la photographie. En tout cas, moi, je n’y arrive pas. Par contre, il m’a demandé après : « mais est-ce que les gens revoient les images ? Est-ce que tu reviens voir les mêmes personnes ou est-ce que tu ne fais que passer ? » C’est mon troisième voyage au Bénin en un an. Donc je revois les mêmes gens. Je suis « le Blanc qui revient toujours ». Et j’envoie des photographies, dès que je rentre ici. Et je repars avec des photographies en double, en triple, pour que cela circule. Pour finir, c’est vrai que je ne suis pas avare de mots sur l’Afrique. J’aime beaucoup en parler. Mais je n’ai pas la prétention de connaître l’Afrique. Et je pense que c’est bien comme ça, de ne pas chercher à tout comprendre non plus.

L’exposition sur les anciens combattants intitulée « Des mains et des visages pour mémoire » sera reprise intégralement en mai, toujours à Toulouse, et débouchera samedi 12 mai sur une nouvelle rencontre au restaurant associatif Le Ricochet (contact : 05-61-22-45-43 ou 06-22-20-07-10).
Pour les retardataires et ceux qui ne peuvent pas se déplacer jusqu’à Toulouse, Philippe Guionie expose cet été aux Aubenades, festival de photographie à Aubenas, dont cette édition a pour thème le continent africain, en tant que territoire. Nous en reparlerons dans le numéro de juin d’Africultures qui sera consacré entièrement aux « Photograph(i)es d’Afrique ».///Article N° : 2008

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