São Tomé et Principe est le seul des cinq pays anciennement sous domination portugaise à n’avoir connu ni guerre de libération ni guerre civile. Il est également de loin le moins bien connu de ces pays, y compris chez les lusophones. Petit tour de la société santoméenne et de sa scène musicale durant ces 40 années d’indépendance.
África Negra, groupe mythique de São Tomé et Principe, tient une place particulière dans l’invention de l’identité culturelle post-indépendance de l’archipel. Formé en 1974, à l’aube de la libération du pays, le groupe est encore aujourd’hui une fierté nationale pour le peuple santoméen.
Années 1970 : l’invention d’un nouveau style
Le début de la légende du groupe África Negra commence officiellement en 1974, quand la formation originale du futur groupe le plus aimé et connu hors-frontières de São Tomé et Principe, sentit que l’heure de jouer en live dans les circuits des fundões’ de la capitale São Tomé était venue. Les fundões étaient des bals en plein air qui regroupaient les différentes communautés : les métis, descendants de Portugais et d’esclaves africains ; les Angolares, descendants d’esclaves angolais naufragés (1) qui s’établirent en communautés de pêcheurs dans la zone sud ; et les descendants de « serviçais » (2), travailleurs contractuels cap-verdiens et mozambicains qui éiatent venus travailler dans les plantations de café et de cacao de l’île.
Tout au long de la décennie 1970, le noyau créatif du groupe, constitué d’Emídio Vaz, guitare solo, de Leonildo Barros, guitare rythmique, et de João Seria, vocaliste, mûrirent le style inimitable du groupe, la rumba santoméenne, musique d’une langueur paradisiaque, qui devait beaucoup à son voisin le soukous, avec des traces suaves de highlife, et qui finit par devenir une contribution fondamentale à la construction culturelle de l’identité de la toute jeune nation indépendante.
Années 1980 : la consécration
Son répertoire original de 40 à 50 chansons fut gravé à la radio nationale de São Tomé au début des années 1980, ensuite éditées en trois 33 tours pressés au Portugal par Iefe Discos : Alice, Angelica et Carambola. À cette époque, les studios d’enregistrement et d’émission de la Radio São Tomé étaient localisés tout à fait l l’Est de la capitale, dans une petite maison qui donnait sur l’océan. Les salles d’enregistrement étaient trop petites pour contenir un groupe élargi de musiciens, et África Negra durent monter leur matériel dans le jardin qui bordait la maison, avec vue sur les vagues de la côte, et ils enregistrèrent leurs morceaux entourés de leurs fans les plus fidèles.
Les années 1980 se révélèrent être la période d’expansion du groupe. África Negra jouait régulièrement un peu partout dans le pays, et faisait des visites régulières au Portugal. Ils se rendirent neuf fois en Angola (en tournées dans les provinces de Luanda, Benguela et Cabinda) et connurent un succès triomphal au Cap-Vert.
Le nom mythique de Mama Djumba’ par lequel leur style musical est connu parmi les fans, est apparu lors d’un concert en 1981 au Portugal, où était célébré le 8è anniversaire de l’indépendance de la Guinée-Bissau. África Negra partageait la nuit avec les tout aussi fabuleux Super Mama Djombo de Guinée-Bissau, les deux groupes alternant les sets durant quatre heures de spectacle. La fin de soirée approchant, on demanda au public présent quel groupe il voulait voir remonter sur scène pour clore le spectacle. Le public, pourtant majoritairement guinéen, laissa de côté le Super Mama Djombo et commença à scander « África Negra ». Les fils préférés de São Tomé remontèrent sur scène tous fiers, et pour calmer la tension avec les collègues attristés, entamèrent leur rappel avec un tribu à Super Mama Djombo, entonnant l’expression impromptue « África Mama Djumba ». Après quelques minutes le public commença à répéter ce chant simple. Quand le groupe rentra à São Tomé, la nouvelle de leur triomphe au Portugal les avait précédé, et lors de leur premier concert de retour au pays, ils montèrent sur scène au son du chant « África Mama Djumba ».
Ces années d’or du groupe terminèrent au moment de la fin de sa tournée au Cap-Vert en 1990. La tournée eu un tel succès qu’elle fit éclater le groupe. Au moment de rentrer à São Tomé, le vocaliste João Seria et le bassiste Pacheco décidèrent de rester à Praia (3), tellement ils appréciaient l’adoration dont étaient objet là-bas.
Années 2000 : le retour
Avec une relative intermittence dans ses activités durant les 20 dernières années, África Negra a édité par ses propres moyens en 2008 un album avec de nouvelles chansons, intitulé’Cua na Sun Pô Na Buà Fa’ – quelque chose comme « Même si tu crois que ça ne vaut pas la peine » – et maintient une régularité tranquille de concerts à São Tomé, en utilisant le même matériel, qui par on ne sait quelle force divine fonctionne encore : amplis et pédales à effets sont ceux que les musiciens utilisaient déjà dans les enregistrements des années 1980, et qui constituent une partie secrète de la magie du son et des morceaux du groupe.
Beaucoup des anciens enregistrements continuent à être des classiques qui passent régulièrement sur la radio santoméenne, et sur Internet dans le reste du monde : les vidéos Youtube du groupe atteignent les 100 000 vues, entre les santoméens expatriés qui veulent assouvir leur nostalgie ou inviter quelqu’un à danser, et les étrangers qui découvrent leur musique. Il est étonnant qu’ils n’aient pas encore profité de la chance que représentent les rééditions – difficile de croire que cela n’ait jamais été fait, quand on met en perspective la singularité de leur identité musicale dans le paysage des musiques produites dans les Afriques Occidentale et Centrale post-coloniales, et quand on sait à quel point leurs 33 tours sont recherchés par les collectionneurs.
Actuellement le groupe est composé de six personnes (voix, deux guitares, batterie, basse et percussion), dont deux font partie de la formation originale, le vocaliste João Seria et le guitariste Leonildo Barros. África Negra a fait une tournée en Europe (Portugal et Allemagne) en 2014, pour les 40 ans du groupe.
(1) On dit que le naufrage aurait eu lieu en 1540.
(2) Serviçais : travailleurs plus ou moins forcés de São Tomé et Principe, amenés d’Angola, du Mozambique et du Cap-Vert par les Portugais, pour travailler dans les champs de café et de cacao. Autrement appelés « contratados » (contractuels).
(3) Praia : capitale du Cap-VertArticle paru initialement sur le site Buala, traduit et adapté par Maud de la Chapelle.
Ler aqui na Buala a versão original do artigo em Português.///Article N° : 13275





