#2 L’immigration portugaise au croisement des discours

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Fenêtre n°2 - Diasporas africaines au Portugal, volet 1, contexte : histoire, chiffres, réalités
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Nous inaugurons ce mois-ci une série de trois « fenêtres lusophones » sur les diasporas africaines au Portugal. Cette première fenêtre pose le contexte : histoire, chiffres et réalités de l’immigration africaine au Portugal. En mars sera explorée la question du militantisme de ces diasporas, et en avril celle de leurs expressions artistiques et culturelles.

Bruno Peixe Dias et Nuno Dias présentent dans cet article les grands axes du livre Immigration et Racisme au Portugal, paru en juin 2012, et dont ils ont assuré la coordination.

Discours sur l’immigration au Portugal, 1980-2010
La perception du phénomène de l' » immigration  » au Portugal s’est construite graduellement, au cours des trois dernières décennies, au moment où les immigrés ont commencé à devenir visibles dans le tissu des grandes agglomérations du pays, principalement à Lisbonne. Ils sont peu à peu devenus objets de discours médiatiques, scientifiques et étatiques ayant une large audience. Ces discours sont profondément interconnectés : le discours médiatique reflète, souvent sans recul critique, le discours des autorités politiques – tant au niveau de la terminologie que du point de vue – et l’agenda des recherches scientifiques est conditionné par les systèmes de financements gouvernementaux.
Mais la relation entre ces différents corps n’est pas non plus à sens unique, avec l’État à la tête du reste. C’est une relation complexe, où la rhétorique officielle sur l’immigration est marquée par l’agenda médiatique, et se laisse pénétrer par les questions et concepts venus des sciences sociales : des expressions comme  » multiculturalité « ,  » dialogue interculturel « ,  » minorités ethniques « ,  » intégration  » ou  » gestion de la diversité « , empruntés aux sciences sociales, sont par exemple entrés dans le vocabulaire politique et médiatique.
Cette production discursive a atteint son apogée dans les années 2000, jusqu’au moment où la crise actuelle du capitalisme est devenue palpable. Peu d’objets de sciences sociales auront marqué de manière aussi visible les programmes de recherches que l’immigration et les immigrés au Portugal. L’organisme gouvernemental responsable des questions d’  » intégration  » (le terme  » intégration « , avec sa charge normative de paternalisme d’État, est l’objet des réflexions plus avancées dans le livre, notamment dans l’article de Nuno Oliveira), d’abord appelé  « Haut-Commissariat à l’immigration et au minorités ethniques », puis renommé en » Haut-Commissariat à l’immigration et au dialogue interculturel » (1), a joué un rôle déterminant dans ce  » boom  » – comparable au développement de l’historiographie coloniale et impériale à partir de la fin des années 1990, avec de gros programmes de financements gouvernementaux, liés au calendrier des commémorations.
La création de l’Observatoire de l’immigration (2), avec la publication de thèses et monographies consacrées à l’immigration et à des thèmes associés – comme le racisme – et, surtout, la commande d’une série de travaux de chercheurs venus, pour la plupart, des milieux académiques (dont a résulté la collection Estudos ( » Études « ) (3), a également représenté un moment important dans la politique de promotion de la recherche sur ces questions.
Dans le même temps, les principaux centres de recherche des universités développaient des projets d’investigation autour des thèmes liés aux migrations, parfois financés par l’Union Européenne, parfois financés par l’État portugais, développant ainsi la littérature sur l’immigration au Portugal de manière significative (4). Certains de ces livres et articles sont une contribution importante à la connaissance des réalités de l’immigration à destination du Portugal, du mode de vie des immigrés sur le territoire portugais et de l’évolution des structures sociales et institutionnelles portugaises au contact de l’immigration.
Lues à la lumière de leurs conséquences politiques, ces études sont souvent d’excellentes bases de réflexions sur la manière dont l’altérité se construit à partir d’une construction de la différence (par exemple, entre l’  » étranger  » ou  » immigré  » et l’  » autochtone « ), et sur comment les sciences sociales elles-mêmes contribuent à la consolidation de catégories à partir desquelles l’État produit et gère des groupes et identités. Elles permettent également, dans leur aspect purement descriptif, d’anticiper certains développements économiques et sociaux, notamment dans le champ du monde du travail, rapidement étendu ensuite à tout le champ social.
Immigration et Racisme au Portugal, un livre qui questionne les discours
Le livre Immigration et Racisme au Portugal revisite de manière critique certains des principaux thèmes politiques, médiatiques, sociaux et scientifiques développés autour de l’immigration ces dernières années. Ce sont les limites intrinsèques des catégories utilisées pour définir les phénomènes qui sont exposées, de manière à dénaturaliser des concepts qui, à force de répétitions, finissent par avoir l’air neutres, miroirs de la réalité qu’ils sont censés refléter, alors que ce sont bien souvent eux-mêmes qui modèlent cette réalité.
Un bon exemple de ce phénomène est le concept d’  » intégration « , l’un des principes qui orientent les politiques publiques en direction des étrangers. L’intégration part du principe que les sociétés nationales ont des systèmes centraux de valeurs, auxquels les immigrés devront s’adapter. Dans sa version  » musclée « , cette adaptation est la responsabilité unilatérale de l’étranger, dans sa version plus douce, c’est un processus dialogique, duquel la société d’accueil retire quelque chose. Mais l’erreur ici est le postulat d’un tel système central de valeurs, qui cache les divisions internes à la propre société d’accueil, et le fait que les travailleurs immigrés seront, probablement, politiquement plus proches des travailleurs locaux que ces derniers ne le sont des capitalistes, même issus de leur propre pays. Cette proximité est d’autant plus évidente, vu la précarisation généralisée des travailleurs aujourd’hui qui étend les difficultés autrefois plus lourdes pour les travailleurs immigrés, à l’ensemble des travailleurs du pays.

(1) C’était un paradoxe légal et institutionnel qu’un organisme gouvernemental porte en son nom une catégorie (celle de  » minorité ethnique « ), qui n’existe pas dans le cadre légal portugais.
Sur l’existence de minorités ethniques ou nationales au Portugal, il est intéressant de lire le rapport du Conseil de l’Europe du 6 mai 2012 sur le Portugal.
(2) http://www.oi.acidi.gov.pt/
(3) http://www.oi.acidi.gov.pt/modules.php?name=Content&pa=showpage&pid=15%C2%A0
(4) Certaines de ces recherches sont disponibles sur ce lien
Article paru originellement sur le site de Buala (www.buala.org).
Traduit du Portugais par Maud de la Chapelle.
Ler aqui (na Buala) a versão portuguesa.///Article N° : 12780

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