Un peuple se soulève. Un président quitte ses fonctions. Un gouvernement de transition est nommé. Et pendant ce temps-là, les opérateurs culturels continuent de s’activer. Qu’en est-il des rendez-vous phares des burkinabè ? Qu’est ce que cela change ou non pour eux ? Dans quel contexte ont-ils évolué ? Comment envisagent-ils l’avenir ? Cette semaine, cas d’école avec le festival de danse Dialogues de Corps, qui se déroule à Ouagadougou depuis 1997.
Alors que plusieurs événements culturels ont été annulés (lire l’article 12851 sur Africultures) suite au soulèvement populaire des 28 au 31 octobre 2014, mettant fin à la présidence de Blaise Compaoré en poste depuis 27 ans, le festival de danse Dialogues de Corps, s’est néanmoins tenu du 5 au 13 décembre 2014.
« La question était : maintenons-nous ou annulons-nous ce festival ? explique le chorégraphe burkinabè Salia Sanou, co-directeur artistique de Dialogues de Corps. Nous avons fait le choix de le maintenir contre vents et marées parce qu’économiquement, c’était compliqué – avec la transition, les budgets étaient gelés – et les partenaires qui avaient donné leur accord avant les événements ont fait marche arrière… Pour nous, la conviction était justement que c’est parce qu’il se passe des choses capitales que la question artistique doit être là pour témoigner ». « Avec la transition, c’est le statut quo« , reconnaît l’opérateur culturel burkinabè Ousmane Boundaoné.
Pour preuve, cette introduction publiée dans le catalogue du festival 2014 :
« Danser malgré la crise sociopolitique
Danser malgré les ravages d’Ebola dans la sous-région
Danser pour résister
Danser pour exister
Danser par passion
Danser pour le futur
Danser la vie. »
Soutenu par le Ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso, la ville de Ouagadougou, l’Institut Français de Paris et de Ouagadougou, l’Organisation internationale de la Francophonie et l’association des Amis du CDC-La Termitière, le festival de danse contemporaine Dialogues de Corps a déjà 11 éditions à son actif.
Avec la thématique 2014 « Danse et Territoire », Seydou Boro (co-directeur artistique de Dialogues de Corps) et Salia Sanou ne pensaient pas viser aussi juste : « dans la programmation il y a eu des spectacles en écho avec ce qui s’est passé comme la création de Serge Aimé Coulibaly, Nuit blanche à Ouagadougou, ou Territoires de la chorégraphe française Sandra Sainte Rose sur les territoires physiques qui se construisent et se déconstruisent. La compagnie ivoirienne Tchetche parlait, elle, de repères… Chaque pièce reflétait, pour nous, le vivre aujourd’hui en Afrique, les problèmes de mauvaise gouvernance, de maladie, de misère, de pauvreté et du combat de la vie« . Malgré les moyens manquants, « 90% de la programmation » a été maintenue.
Alliant spectacles, formations, master classes, et plateaux découvertes, Dialogues de Corps a programmé, en 2014, 16 spectacles chorégraphiés par des compagnies d’Allemagne (Gintersdorfer/Klaßen), du Burkina Faso (Seydou Boro, Salia Sanou, The Moon is Shining, Faso Danse Théâtre, Ba, Kongo Ba Teria, Teguerer Danse, Tamadia), du Canada (Bienvenue Bazié et Jennifer Dallas), de la Côte d’Ivoire (Tchetche), de France (Lanabel, Sandra Sainte Rose, Emmanuel Grivet, Julie Dossavi), du Mali (Gnagamix), du Niger (Abadalah Danse Compagny) et de Suisse (7273).
Si le Burkina Faso recense 670 groupes de danse (1), l’envergure nationale du festival ne cesse d’accroître : « C’est vrai qu’il y a une reconnaissance de la part du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) qui invite chaque année un chorégraphe à proposer un spectacle d’envergure : en 2011 c’était moi, en 2013, Seydou Boro, cette année Irène Tassembedo… Mais au quotidien, la danse reste un combat« , témoigne Salia Sanou.
Ce chorégraphe sait de quoi il parle. Car c’est en 1992 qu’il fait la connaissance du danseur burkinabè Seydou Boro à l’École des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou (Burkina Faso). Un an plus tard, tous deux travaillent avec la chorégraphe française Mathilde Monnier. En 1995, ils créent la compagnie de danse Salia nï Seydou.
Initié en 1997 par les deux artistes, le festival de danse contemporaine Dialogues de Corps proposait au départ des sessions annuelles de formation au profit des artistes danseurs et comédiens burkinabè de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, puis s’est progressivement ouvert au reste du continent. « La danse contemporaine occupe une place forte par le dynamisme insufflé ces dix dernières années, affirme Salia Sanou. L’école des sables au Sénégal, le Studio Kabako de Faustin Linyekula à Kisangani, l’école de danse Rary à Madagascar, le travail de Kettly Noël au Mali, la fondation Zinsou qui accompagne et structure au Bénin, le Marché des arts et du spectacle africains (MASA) qui renaît de ses cendres en Côte d’Ivoire, le Tchad, le Cameroun, les festivals de danse du Mozambique, du Nigéria, de Tunisie, du Maroc et d’Afrique du Sud… Cette décennie a permis une assise de la culture chorégraphique même si beaucoup reste à construire et que le financement de la culture et de la danse n’est pas gagné d’avance« .
« Pendant près d’une décennie, Dialogues de corps a été le seul festival de danse contemporaine au Burkina Faso, confirme François Bouda, chargé de communication du festival depuis 2010. Il a été rejoint à partir de 2013 par d’autres événements comme le Festival international de danse de Ouagadougou (FIDO) d’Irène Tassembédo et In-Out Dance Festival d’Aguibou Bougobali Sanou à Bobo-Dioulasso depuis 2014. Dialogues de corps se positionne aussi comme l’un des festivals majeurs dans le sérail culturel burkinabè et qui, malgré les défis auxquels il fait face, se tient sans discontinuer depuis son lancement« .
Dialogue de Corps se déroule habituellement dans trois lieux de Ouagadougou : le Centre de développement chorégraphique (CDC)-La Termitière, le Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (CITO) et l’Institut Français. Trois lieux qui permettent de fidéliser trois types de publics comme en témoigne Salia Sanou : « Le CDC est installé dans une zone assez ouverte, populaire, et notre premier public est celui-là. L’Institut Français touche une population plus mélangée entre expatriés, milieu professionnel de la danse et artistes. Le CITO est un lieu très intime qui permet de proposer des spectacles à d’autres publics« . Hormis le public professionnel du festival, la diversité des lieux qui permet de présenter des spectacles dont les tarifs varient de 500 FCFA (0,76) à 1000 FCFA (1,52); les spectateurs ne circulent pas vraiment d’un lieu à un autre. « La population d’ici vient voir les spectacles parce qu’elle s’y sent chez elle, explique Salia Sanou. La politique tarifaire que l’on a mis en place permettrait à des jeunes du quartier d’aller à l’Institut Français, mais c’est un peu dans les mentalités de se dire que « c’est l’espace des Français »« .
Pour remédier à cet immobilisme, Dialogue de Corps multiplie les représentations dans des lieux variés et insolites, comme le Marché des Cycles de Ouagadougou (« il y avait 2000 personnes autour des danseurs: des curieux, des commerçants…« ), l’Institut Français de Bobo-Dioulasso (« pour ne pas rester seulement dans la capitale« ) ou encore, cette année, le Camp de réfugiés maliens Saag-Nioniogo, situé à 70km de Ouagadougou : « Une compagnie malienne et une compagnie burkinabè ont pu présenter un spectacle. Danser dans les camps, vivre avec cette population, leur a montré les conséquences d’une guerre qu’ils ne mesuraient pas« .
Dans le milieu de la danse en Afrique, il n’y a pas de réseau formalisé. Mais les festivals comme Dialogues de Corps servent de plateformes pour tisser des liens entre créateurs et favoriser l’accès à des tourneurs et des directeurs de festival qui repèrent et achètent des spectacles.
Pourtant, qui dit spectacle, dit création. Et qui dit création, dit lieu de fabrication. C’est ainsi qu’a germé dans les têtes de Seydou Boro et Salia Sanou, ce « rêve fou d’avoir un outil de travail, un temple de la danse en Afrique » qu’est aujourd’hui le Centre de développement chorégraphique (CDC)- La Termitière.
« En 1998 déjà, la compagnie Salia nï Seydou avait pour projet de se doter d’un espace de travail, se rappelle Ousmane Boundaoné qui a rédigé et défendu le projet du CDC. La plupart de ses créations naissaient ici. Mais pour commencer, il faut répéter. Et dans quelles conditions ? Les espaces qu’ils avaient pour travailler n’étaient pas à 100% disponibles. Or faire un lieu signifie avoir des ressources propres, une parcelle, des autorisations pour commencer les constructions… C’est ainsi que j’ai repris le projet en 2001, monté ce dossier et intéressé le gouvernement du Burkina en sachant que le Ministre d’alors avait la volonté de mettre en gestion privée les espaces culturels qui existaient« .
Dans le viseur d’Ousmane Boundaoné, le Théâtre Populaire Désiré Bonogo de Ouagadougou qui était une friche culturelle. « Rien ne s’y passait mais l’État continuait de payer les frais d’eau, de gardiennage et d’entretien, poursuit Ousmane Boundaoné. S’est ensuite engagé une vraie bataille : comment convaincre le gouvernement d’entrer dans un pareil projet ?« . Avec diplomatie et persévérance, le projet de création d’un centre de développement chorégraphique est accepté par l’État burkinabè. Le Comité de préfiguration mis en place réussi d’abord à mettre autour de la même
table, puis dans le Conseil d’Administration de l’association en charge de la gestion de l’établissement, plusieurs partenaires dans le cadre d’une dynamique de Partenariat/Public/Privé (PPP) : l’État du Burkina Faso, à travers le Ministère de la Culture et du Tourisme (tutelle de lieu) et le Ministère de l’économie et des finances (propriétaire du patrimoine), la Commune de Ouagadougou, collectivité territoriale abritant l’établissement, l’Ambassade de France au titre
des partenaires au développement et premier bailleurs de fonds, l’Association des chorégraphes et danseurs du Burkina (ABCD) au titre de la société civile culturelle, et la Compagnie Salia nï Seydou en tant qu’initiateur et porteur du projet.
Les artistes rédigent le projet artistique et chaque partenaire délimite sa zone de compétences. »Pour la Culture, on n’avait jamais vu ça, affirme encore l’opérateur burkinabè. Pendant un an, de 2003 à 2004, il y a eu deux à trois réunions par semaine pour définir le projet de préfiguration« .
Inauguré en 2006, le Centre de développement chorégraphique (CDC)- La Termitière s’étend sur un terrain de 4500m2. Équipé de l’un des meilleurs studios du Burkina Faso (avec des gradins de 200 à 300 places amovibles, le noir total, une isolation acoustique en laine de verre…), le lieu bénéficie également de capacités de logement (9 chambres), d’une salle de conférences climatisée, d’un restaurant, de bureaux administratifs, d’un lieu de stockage, d’une paillote et d’un amphithéâtre de plein air de 2500 places que les chorégraphes espèrent réhabiliter pour en faire un lieu de diffusion permanent.
Aujourd’hui, le Centre de développement chorégraphique (CDC)-La Termitière salarie neuf personnes à temps plein (administration, technique, gardiennage, entretien) – un nombre doublant en période de festival où l’équipe se fait également épauler pour une dizaine de bénévoles. Principal lieu de représentation du festival Dialogues de Corps, le CDC permet également d’accueillir chaque année en résidence (un à deux mois), huit à neuf compagnies de danse de la sous-région. « Nous offrons le studio et l’accueil, à la compagnie de trouver les financements pour rémunérer les danseurs, l’éclairagiste, le scénographe, etc« . Chaque résidence se termine par une représentation ouverte au public, voire même une programmation dans le cadre de Dialogues de Corps.
Autre aspect de ce lieu de création, la formation de jeunes danseurs dans le cadre du programme « Je danse donc je suis ». Initiées en 2010, ces formations professionnelles d’une durée de deux ans permettent de réinsérer socialement 25 jeunes de 17 à 25 ans venant de quartiers difficiles ou étant en situation précaire. Durant deux ans, les élèves s’initient à toutes les danses (traditionnelles, urbaines, contemporaines) et apprennent le jeu d’acteur, la musique et l’éducation culturelle sur la place de l’artiste au Burkina Faso et en Afrique (2).
Sur la promotion 2011-2013 (2014 fut une année de césure), 12 élèves ont déjà trouvé du travail. « Ils portent eux-mêmes des projets, dansent dans des compagnies ou enseignent dans des écoles comme à l’école américaine ou à l’école française de Ouagadougou« , se réjouit Salia Sanou.
Pour Ousmane Boundaoné, malgré toutes les belles activités menées par le CDC, le festival Dialogue de Corps « aurait pu faire mieux. Il a boosté le secteur de la danse, a contribué à la formation de beaucoup de chorégraphes mais aurait dû faire de Ouagadougou une place tournante de la danse. Le coche a été raté du fait de faibles capacités en terme de ressources humaines et financières et d’un essoufflement en matière de programmation artistique« .
Malgré les multiples activités menées par Seydou Boro et Salia Sanou (le CDC, Sali nï Seydou mais aussi leurs compagnies respectives et les spectacles qu’ils font tourner à l’international), les chorégraphes espèrent faire du CDC un centre de ressources pour les créateurs, où livres et DVD pourront permettre d’offrir des supports de réflexion à la création chorégraphique.
Un projet d’envergure qui se dessine à l’horizon pourrait également aller à l’encontre du point de vue d’Ousmane Boundaoné : « En novembre 2016, nous accueillerons le projet triennal Danse l’Afrique Danse (3). C’est un événement important durant lequel la danse contemporaine en Afrique va être vue et montrée. C’est un rendez-vous à ne pas manquer en terme de pensée artistique – quelle est la place de la danse de création, comment le public se l’approprie – mais aussi en terme d’organisation, pour permettre à la danse du continent de prendre un nouvel envol et, localement, de renforcer ce que l’on a toujours défendu et porté ici« .
Ousmane Boundaoné interroge néanmoins plus largement, le milieu de la Culture au Burkina Faso : « Nous avons de grands chantiers, comme l’Agence de développement des industries culturelles et créatives (ADICC), portée au plus haut sommet. Mais il est tellement ancré en nous de faire appel à des ressources extérieures… A quand une forme d’autonomie ? A quand la souveraineté économique de la culture ? »
Le chorégraphe Salia Sanou demeure optimiste. « Je pense que cette transition peut donner un nouveau souffle à la discipline, aux partenaires qui nous accompagnent et aux artistes pour re-dynamiser et redéfinir des contours de partenariat et de coopération qui seront bénéfiques et utiles à tous« .
Claire Diao, à Ouagadougou
(1) Ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso, Document de présentation de l’Agence de développement des industries culturelles et créatives, p. 10 (Mai 2014)
(2) Le court-métrage documentaire, Je danse donc je suis d’Aïssata Ouarma, étudiante de l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS) de Ouagadougou, a d’ailleurs remporté, sur ce sujet, le Prix du meilleur documentaire des écoles du Fespaco 2015.
(3) Voir le site de l’Institut Français : http://www.institutfrancais.com/fr/afrique-et-caraibes-en-creations/danse-lafrique-danse///Article N° : 12859