« Scandaleusement chanceux » se qualifie l’écrivain Ronald C. Paul. En septembre dernier il a été couronné du prix de littérature franco-ivoirien Ethiophile pour Les enfants des cyclones. A 58 ans, il publie ainsi son premier roman, plongeant le lecteur dans le destin de deux enfants, jumeaux, dans les rues de son pays, Haïti. Rencontre avec un activiste culturel.
En quatrième de couverture de Les Enfants des cyclones, Gary Victor écrit que ce roman conte une période où « tous les rêves d’une génération vont faire naufrage ».
Effectivement ça commence après 1986, c’est à dire après le départ de Jean Claude Duvalier. A ce moment-là tous les rêves étaient permis et quelques années après tous les rêves effectivement ont fait naufrage avec les cyclones. Mais il y a toujours quelque chose qui ressort d’un naufrage, des survivants qui témoignent. C’est une période particulière, porteuse de beaucoup d’espoirs et en même temps on a peut-être oublié que des vies se sont simplement déroulées dans ce décor, que des vies pouvaient avoir ce parcours. Nous avons retenu les cyclones, les coups d’Etat, les déclarations extravagantes de part et d’autre. Et on a oublié des parcours de vie qui pour moi sont plus importants que tout ce bruit. Des gens qui vivent dans un décor très silencieux autour de tout ce bruit.
Et puis il fallait que je prenne la distance. Je n’écris pas sur l’actualité. Je n’ai pas écrit sur le tremblement de terre. Peut-être dans 20 ans.
Vous n’étiez pas pressé de le publier confiez-vous lors de la remise du prix Ethiophile en septembre dernier qui vous a été décerné.
Le parcours de l’écriture me parait au moins tout aussi important que la réalisation finale de l’uvre. J’ai commencé à écrire ce livre en 2008. Je prends beaucoup de temps car j’ai beaucoup de plaisir à faire vivre un univers, des situations, des personnages, à les aimer, à être à côté d’eux. J’aime beaucoup flâner donc j’en ai profité pour me promener à travers Haïti avec le bus EXODUS, qu’on retrouve dans le roman, qui prend son temps.
Vous avez choisi comme héros, des jumeaux, un garçon et une fille, Willia et Willio.
Une fille et un garçon, c’est important. Willia et Willio sont le symbole de l’enfance d’abord, puis de Haïti en tant que tel. Au début du livre l’un est habillé en bleu, l’autre en rouge, aux couleurs du drapeau national. Ce sont aussi les enfants de leurs parents. Cela semble banal, mais il faut être l’enfant de quelqu’un, ce sont des repères. Cela nous enracine. En Haïti, les jumeaux sont appelés marassa. Ce sont des êtres qui ont des pouvoirs particuliers, mystérieux, doués de télépathie. Ce ne sont pas des êtres humains ordinaires.
Des jumeaux, enfants des cyclones car nés le jour d’un des fameux cyclones de la Caraïbe. Que représentent-ils ?
L’histoire d’Haïti est jalonnée de cyclones. Gilbert, Gordon et Georges, les « 3G » sont ceux qui ont marqué la période sur laquelle j’écris. Le cyclone tourbillonne. Il représente le mouvement de l’histoire de Haïti : ça va, ça vient, ça tourne en rond autour de quelque chose qui ne change pas. Ce quelque chose qui ne change pas, c’est la plus belle chose, cette capacité à être dans l’il du cyclone. Celui qui est dans l’il du cyclone ne subit pas les vents. Il demeure quasi intact et tout change autour de lui. Haïti est un pays qui ne change pas, dans des choses positives et négatives. On nous le reproche d’ailleurs. Je ne vois pas pourquoi. Il y a de l’éternel. Du perpétuel. Quelque chose de têtu. Un non-vouloir en Haïti. C’est plus que de la résistance. Ce qu’on nous propose, nous n’en voulons pas. Nous ne savons pas le vouloir. Ce n’est pas que nous n’ayons pas de volonté, au contraire. C’est la raison même pour laquelle nous inventons plein de choses. Nous nous imaginons pouvoir faire n’importe quoi par nous-mêmes. Des fois on réussit des fois nous échouons lamentablement.
Au niveau des arts, les créateurs inventent en permanence, ils veulent inventer. On nous le reproche aussi : quand on me fait le compliment « Haïti c’est un pays de créateurs », je sens un reproche. « Arrêter de créer, consommez ce qu’on vous propose. Il faut toujours que vous vouliez faire votre propre truc », semble-t-on nous dire. Nous n’allons pas nous excuser d’exister quand même. Il y a une attitude très équivoque par rapport ça. « Pays créateur » cela ne veut rien dire. IL y a des créateurs dans tous les pays mais nous sommes dans la condition où nous exprimons cela. Nous n’aimons pas les patrons. Jean Casimir, sociologue, a dit que les Haïtiens ont rejeté le système capitaliste. Et depuis nous essayons d’inventer quelque chose qui pouvait nous permettre de vivre en communauté.
Les rêves n’ont pas réellement fait nauvrage alors ?
Les rêves n’échouent jamais. C’est une figure de style. Les rêves s’envolent.
Les enfants des cyclones met en scène le destin de deux enfants, qui nés à la campagne, vont déménager dans la capitale, Port-au-Prince, et devoir y survivre.
Ce sont les enfants qu’on trouve dans les rues de Port au Prince mais aussi dans toutes les grandes villes, qui nettoient les rues, les voitures, qui demandent des sous, qui jouent dans la rue, qui vivent dans la rue. Et qui ont cette capacité extraordinaire d’être des enfants malgré les atrocités qui leurs sont faites du fait d’être dans la rue. Parce que dans la rue il n’y a pas d’amitié. Il faut créer un poème pour rappeler qu’il y a de l’amitié comme l’a rappelé le monsieur. [NDRL : pendant l’interview, un homme nous a abordé pour demander un peu d’argent et a déclamé un poéme : L’handicapé / quand il est passé/les gens l’ont regardé / un peu gêné / ils n’ont pas bougé / Alors que l’amitié / il aurait aimé trouver] C’est un lieu de passage la rue ce n’est pas un lieu d’ancrage. Ce sont des enfants, c’est à dire l’espoir du monde. Notre espoir.
Autour d’eux un panorama de personnages, du père, au pécheur, en passant par le trafiquant d’armes, et puis Francine, la belle-mère des enfants.
Francine est un personnage que j’aime beaucoup. C’est quelqu’un qui part à la conquête d’une ville extrêmement violente avec du sirop. Ce n’est pas rien. Avec une douceur. Il faut qu’elle existe sinon on piétine on efface sa douceur. Ce n’est pas parce qu’on a fait d’elle une prostituée par exemple, qu’elle a perdu sa douceur. C’est quelqu’un de fondamentalement douce, toutes ses pensées sont douces. Elle conquiert Willner avec une douceur. Elle est victime de sa douceur avec Raymond. Et puis enfin elle part.
C’est votre premier roman publié. Avant vous aviez notamment écrit des pièces de théâtre
J’écris depuis toujours : des pièces de théâtre, des scénarios. La forme romanesque est pour moi la forme centrale. Les autres sont des dérivés. Avec Daniel Marcellin, je réalise concrètement les pièces que j’écris. Mais pour moi la forme romanesque est celle où je m’accomplis le mieux. Dans le théâtre j’ai besoin du plaisir de la réalisation. Pour les scénarios je suis très frustré parce qu’il n’y pas l’argent pour les réaliser. Par contre le roman, même s’il reste dans mon tiroir, j’ai accompli la jouissance.
Quand a commencé votre histoire avec l’écriture ?
Comme toutes les histoires il y a un élément déclencheur : pour moi c’est une trouille absolument totale que j’ai eu en lisant L’Enfer de Dante dans la Divine Comedie. Je me suis dit que ce monsieur Dante avait un pouvoir par-delà les âges et les distances, celui de provoquer des émotions chez un jeune homme à des milliers de kilomètres, de siècles de distance J’ai trouvé que c’était un pouvoir extraordinaire et j’ai eu envie de l’exercer. J’avais 16-17 ans. Maintenant j’ai 58 ans, j’ai beaucoup de temps. Avant j’étais fonctionnaire.
On vous décrit comme un activiste culturel, c’est-à-dire ?
Je suis un véritable activiste. J’ai mis en place des bibliothèques, participer à l’élaboration des politiques culturelles etc. Ça n’a jamais été très facile, j’ai dû un peu bousculer les gens, les politiques
Je continue puisqu’en dehors de l’écriture je travaille pour renforcer l’éducation culturelle et artistique dans les écoles. J’écris notamment des manuels sur le patrimoine haïtien en version bilingue. Le patrimoine culturel d’Haïti c’est d’abord le créole. Et j’y mets en avant les porteurs de patrimoine. Dont certains font désordre dans les salons. Par exemple les Guédés : même dans le vodou ce sont des subversifs. Les Guédés dans le temps, en Afrique, avaient été victimes de dynasties. Ils avaient été massacrés et ce sont les esprits de ces gens qui ont traversé l’Atlantique.
C’est une sorte de panorama des éléments culturels d’Haïti. Je suis dans la bataille pour intégrer ce patrimoine dans l’enseignement. J’ai fait aussi fait une exposition virtuelle de peintres du Cap du Nord du pays sur une période donnée. Tout ce qui est art m’intéresse. Comme je ne suis pas douée pour la musique, comme je suis trop vieux pour danser, comme je suis maladroit de mes mains, j’écris.
Nous sommes face à une situation où il faut se rendre compte que ce qu’on m’appelle « mondialisation » est aussi pour vendre un modèle esthétique et culturel, en nous faisant oublier qui nous sommes. Résultat : on ne sait rien des Haïtiens. On devient étranger à nous-mêmes. Et si on devient étranger à nous-mêmes je ne pense pas qu’on puisse apporter grand-chose. Il est absolument improbable qu’un Haïtien réinvente l’avion par exemple ou bien la musique classique. Il va inventer une musique de lui-même. Et pour cela il faut qu’il soit avec lui-même, connecté avec lui-même, il faut qu’il soit en résonance avec lui-même, qu’il s’aime aussi, qu’il reconnaisse qu’il est beau. Le concept de beauté c’est quelque chose pour moi de grand, de plus large, c’est politique, c’est éthique, c’est formel, géométrique tout ce que vous voulez. Quand j’étais à l’école j’ai appris Victor Hugo, Chateaubriand. Etc. Je n’ai rien contre. Le problème c’est qu’on ne m’a pas appris les potes haïtiens qui m’auraient peut-être parlé aussi. Si je suis élevé dans l’idée qu’il n’y a pas de poètes ou d’écrivains haïtiens qui puissent m’atteindre je me fais étranger à moi-même. Et c’est pour ça que j’estime que l’éducation culturelle et artistique est un combat.
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