Vous portez seul le texte de Raphaël Confiant, comment définissez-vous cette parole ?
Raphael Confiant a voulu faire un appel aux différentes composantes de la Caraïbe actuelle, sans pour autant nier la base qui est la composante nègre. Nous sommes un peuple créole, tout le globe est représenté à la Caraïbe. Il est important de le rappeler avec une parole comme celle de Confiant où la poésie n’enlève rien à l’urgence du propos.
En dehors de la présence acoustique créée par Laurent Phénis, la mangrove du spectacle semble avoir perdu ses liens avec la nature pour exprimer le pourrissement de la société de consommation.
On ne peut pas parler de la Caraïbe, sans parler de son écologie. L’allégorie du décor est aussi une réalité matérielle, parce que ce symbole de la société de consommation qu’est le plastique étouffe réellement la mangrove. On jette tout dans la mangrove, mais elle revomit tout.
Pourtant le spectacle respire aussi la vie et l’espoir.
La mangrove est un lieu de germination, de croisement où toutes les espèces pélagiques et les espèces d’eau douce se rencontrent. La mangrove est le poumon de la Caraïbe.
Mais on est loin des paysages » cartes postales » que la Métropole associe aux Antilles.
On ne parle pas de la plage ensoleillée et du cocotier, mais de la mangrove et du palétuvier, lieu sombre, lieu de germination. Magnifique et inquiétant, dangereux aussi. C’est ce carrefour de la Caraïbe qui risque de tomber dans la dérive tyrannique, dictatoriale, dans l’intolérance ; sous cette mangrove il y a des terres volcaniques.
Sous l’eau, il y a le feu…
C’est pourquoi il y a une urgence. La forme incantatoire a facilité la mise en scène, car ce n’est pas qu’un monologue à considération philosophique, c’est une parole destinée à être entendue. On a organisé un dialogue souterrain avec le musicien qui, lui, représente la terre, le bambou. Ce qui nous a permis de porter plus facilement le texte.
Il y a aussi ce voyage a travers les cultures musicales des différentes ethnies de la Caraïbe.
C’est la recherche musicale de Laurent Phénis qui fabrique lui même ses instruments. Ce sont des musiques que l’on fréquente dans la Caraïbe parce que les peuples qui sont venus ont apporté leurs musiques. Le Tamoul s’est fabriqué sa cythare, le Cantonnais s’est rappelé les chansons de chez lui. Petit nègre, petit mulâtre, petit chinois, petit indien, nous avons grandi avec ces musiques qui nous appartiennent aussi bien que la langue française.
En France, on connaît mal la multiplicité ethnique de la Caraïbe.
La France s’est arrêtée à l’abolition de l’esclavage. L’émigration massive d’Indiens et de Chinois est postérieure à l’abolition. Quand les nègres ont refusé de cultiver les champs de cannes, les grands propriétaires sont allés voir ailleurs. Les colons anglais notamment sont allés chercher des Indiens. Il leur ont proposé des contrats en bonne et due forme, mais il n’y était pas précisé quand ils seraient payés. Et ils se sont retrouvés emprisonnés dans la Caraïbe. En terme de peuplement, il y plus d’Indiens dans les anciennes colonies anglaises : Trinidad, Tobago, Jamaïque, Sainte-Lucie… En Haïti, Martinique, Guadeloupe, il y a plus de Chinois ; dans les îles françaises, il y a eu aussi des Syriens, des Libanais.
Comment le spectacle est-il reçu, par exemple à Fort de France où vous avez joué ?
Il y a une vieille polémique entre créolité et négritude. Ce qui est un faux problème. Il n’y a pas de négritude sans créolité, l’une et l’autre sont liées. Certains m’ont reproché de » virer casaque « , comme ils disent, parce que j’ai joué également Césaire. Mais pour moi le propos n’est pas si antinomyque que cela. Césaire le dit aussi : » Ce que je veux c’est pour la faim universelle, ce que je veux c’est pour la soif universelle. Un morceau de liberté pour tous. » Le monde tend au métissage. Les peuples se mélangent de plus en plus. Le globe est voué à devenir un grand métis.
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