Vous venez de monter Errances de l’auteure belge Anita Van Belle qui évoque la figure emblématique de Lumumba. Comment avez-vous choisi d’aborder cette figure tellement forte pour l’imaginaire africain ?
Je me suis d’abord dit qu’il n’y a pas qu’un Lumumba mais qu’il y a des Lumumba en Afrique comme ailleurs. Il ne fallait donc pas qu’il soit » notre » Lumumba, mais un Lumumba universel. Il faut qu’il soit de tous les pays, de tous les continents aussi. Je prend l’idéal de Lumumba comme une multiplicité d’idéaux. Sa passion pour son pays par exemple est la passion que tout homme peut avoir pour son art ou pour toute cause noble.
Est-ce pour cela que l’approche n’est pas du tout réaliste et que ce n’est pas réellement la vie de Lumumba ?
En fait, le texte raconte la vie de Lumumba, mais je ne voulais pas qu’on se lamente, qu’on pleure sur une chose qu’on sait déjà. J’ai donc tenté de rendre le texte gai, de traiter par l’humour même les choses graves que nous avons vécues car il faut bien reconnaître que si l’on veut se lamenter, on passera sa vie à cela, vu ce qui se passe aujourd’hui encore en Afrique.
Une chose qui m’a paru paradoxale, c’est qu’à côté de cette dimension humoristique le personnage de Lumumba apparaît plutôt comme un anti-héros. Il n’a pas l’aura du héros auquel on aurait pu s’attendre, un peu comme un personnage de Kourouma. Pourquoi un tel choix ?
C’est dommage que ce soit perçu ainsi mais je ne le vois pas comme un anti-héros. Je voulais surtout le traiter de façon neutre pour qu’on voit à travers lui tout ce qui est noble et non Lumumba singulièrement. Si je pouvais effacer le nom Lumumba je le ferais.
La rencontre entre l’Occident et l’Afrique se traduit dans votre travail d’abord, me semble-t-il, par la musique, par un vrai travail de rencontre musicale qui tourne à l’humour.
Dès que j’ai eu le texte, je me suis dit : il faut que j’utilise les ressources de ma culture. Mais je ne voulais pas utiliser les tambours qu’on a vus et revus dans les spectacles africains. Nous avons d’autres instruments, d’autres mélodies en Afrique. J’ai été à ce propos perturbé un moment devant les réticences du Festival quant à mes options de mise en scène. On m’a dit que la musique et l’humour n’allaient pas avec Errances qui est une tragédie. Mais je leur ai expliqué que chez nous en Afrique, on chante, on danse, on boit et on rit aux funérailles. Alors je ne me priverai pas de mettre un peu de gaîté dans cette pièce qui, à mon avis, est trop sombre. Même dans Hamlet il y a une scène de clown à côté d’un cadavre, ce qui suppose que les Européens d’aujourd’hui ont perdu ce rapport à la mort. Bref, je l’ai finalement traitée comme je l’entendais.
Il y a des images qui m’ont fait penser à des caricatures de l’époque coloniale. Par exemple quand vous mettez en scène une espèce d’armée de tirailleurs et en face le côté un peu cirque, les vêtements qui font penser à monsieur Loyal incarné par le Blanc…
Je n’avais pas vu ce détail-là. J’ai pensé à une lutte instrumentale, comme un dialogue de sourds entre les colonisés et le colonisateur.
Et le choeur ?
Il y a des choeurs qui n’existaient pas dans le texte mais que j’ai moi-même introduit. Cependant le choeur qui ponctue le discours du colonisateur fait partie du texte. Simplement j’en ai fait un peloton d’armée qui est aussi un peu un groupe de révoltés. J’ai profité de ce choeur pour rendre la pièce dynamique, pour habiller le texte. Parce que, finalement, ce que dit le texte est une chose qu’on sait déjà, et le problème c’est comment redire cela de façon à ce que les gens y trouvent un intérêt.
Et l’idée aussi de jouer sur la batterie musicale, on a l’impression que c’est un camion qui arrive…
Dans le texte d’Anita, le colon venait sur une chaise à porteur. Mais j’ai trouvé cela banal ; ça n’apporte pas grand-chose, c’est une image qu’on connaît. J’ai donc voulu montrer cela autrement en faisant une petite voiture qui soit à la fois clinquante et amusante.
Une chose m’a intriguée : au début ils étaient tous habillés avec une espèce de combinaison de magasinier couleur mauve, et surtout un rond jaune… Je crois qu’il était question d’un supermarché, mais je n’ai pas du tout compris pourquoi c’était un supermarché.
En fait l’histoire est celle d’un griot devenu gardien de supermarché et qui rêve du passé. Il se retrouve au bord du fleuve où Lumumba a été capturé pour être assassiné. Il rencontre Lumumba qui lui demande, parce qu’il est griot, de faire revenir tous les morts afin qu’ils se réconcilient et que son âme retrouve la paix. Car il est devenu une âme errante ; en Afrique on croit que l’âme d’une personne morte prématurément est vouée à l’errance, d’où les nombreuses cérémonies pour apaiser cette âme, comme on le voit à la fin du spectacle avec le drap blanc pour symboliquement ensevelir dignement Lumumba qui n’a pas eu de sépulture.
On a une démultiplication du personnage…
Parce que je me suis dit que comme il est griot, il faut que j’utilise les griots de plusieurs régions pour représenter ce seul personnage.
C’est en quelque sorte plusieurs griots avec chacun leurs habitudes musicales ?
Voilà, et on a conjugué toutes ces habitudes-là. On a donc d’un côté des instruments comme la kora, le mvett, les flûtes… contre la batterie, le trombone et l’harmonica.
Il y a aussi le choix de la scénographie qui repose sur un jeu de transparence et de profondeur. Pourquoi un tel choix ?
Je voulais représenter les deux mondes car si l’on convoque les morts, il faut que ces derniers viennent d’un tréfonds ; je voulais que Lumumba vienne de loin, c’est pourquoi on le voit en trois étapes, la troisième où il apparaît vraiment. On retrouve cette graduation dans le langage des flûtes qui appellent les revenants et qui les renvoient aussi.
Dans le spectacle il y a d’autres figures très fortes que rencontrent Lumumba comme Ghandi et des figures africaines, mais l’ensemble reste du côté du cirque, comme des figures de dérision.
Peut-être parce que j’ai actuellement un projet de cirque avec les enfants à Porto-Novo. J’aime beaucoup m’amuser et je crois que c’est ce qui transparaît.
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